Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

GADAMER HANS-GEORG (1900-2002)

L'expérience herméneutique et ses présupposés

Dans la partie centrale de Vérité et Méthode, Gadamer applique le concept ontologique de vérité à l'ensemble des sciences de l'esprit. Il emboîte le pas de Heidegger, en faisant du « comprendre » un mode d'être, au lieu de n'y voir qu'un mode du connaître. Cette orientation ontologique se reflète dans plusieurs termes techniques : « appartenance de l'interprète à son objet », « structure projective du comprendre », travail d'appropriation », « historicité du comprendre », « précompréhension », « fusion des horizons », « fécondité herméneutique de la distance temporelle ».

La méfiance rationaliste envers les préjugés est elle-même le fruit d'un préjugé, suggérant que toute présomption de vérité est une source d'erreur. Ce préjugé fondamental des Lumières rend impossible toute reconnaissance de la fonction positive des concepts d'autorité et de tradition.

L' histoire ne nous appartient pas ; c'est nous qui lui appartenons, parce que les préjugés de l'individu, bien plus que ses jugements, constituent la réalité historique de son être. Tout comme Hannah Arendt, Gadamer refuse de confondre la reconnaissance libre d'une autorité avec l'obéissance aveugle. Si la tradition et l'autorité constituent des sources potentielles de vérité, l'opposition entre autonomie abstraite et hétéronomie opaque doit être remise en question.

L'acte de comprendre nous implique dans le procès de la transmission où se médiatisent constamment le passé et le présent. L'herméneutique occupe l'espace intermédiaire entre la distanciation que crée la connaissance historique et l'appartenance à une tradition. Le temps n'est pas pour elle un abîme qui sépare et éloigne ; il est, au contraire, le fondement où le présent plonge ses racines. La fécondité herméneutique de la distance temporelle ne signifie pas seulement que le temps est plus une chance qu'une menace pour celui qui veut comprendre ; elle nous avertit que nous sommes affectés par le passé, bien au-delà de ce que nous révèle l'objectivité du savoir historique.

En faisant de l'application le cœur du travail de la compréhension, Gadamer redécouvre les vertus de l'herméneutique théologique et juridique, en même temps qu'il donne une nouvelle actualité à la doctrine aristotélicienne de la sagesse pratique (phronèsis).

L'expérience herméneutique, qui nous confronte à l'altérité de la tradition, pose des problèmes analogues à ceux de la rencontre avec autrui. Une chose est d'avoir conscience de la réciprocité du passé et du présent, une autre est d'accepter que le passé continue à nous interpeller. L'art de comprendre (l'herméneutique) est inséparable de l'art de questionner (l'heuristique). Le dialogue platonicien les unit, alors que la dialectique hégélienne est un monologue qui voudrait réaliser d'avance ce qui mûrit peu à peu en tout dialogue authentique. Ce qui prime dans le dialogue herméneutique, ce sont les questions que le texte nous adresse.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteur en philosophie, professeur émérite de la faculté de philosophie de l'Institut catholique de Paris, titulaire de la chaire "Romano Guardini" à l'université Humboldt de Berlin (2009-2012)

Classification

Pour citer cet article

Jean GREISCH. GADAMER HANS-GEORG (1900-2002) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • VÉRITÉ ET MÉTHODE, Hans Georg Gadamer - Fiche de lecture

    • Écrit par Francis WYBRANDS
    • 821 mots

    Ouvrage fondamental de l'herméneutique contemporaine, paru en 1960 (réédité et augmenté en 1965 et 1972), traduit partiellement en français en 1976, intégralement en 1996, Vérité et méthode, de Hans-Georg Gadamer (1900-2002) a profondément marqué le renouveau de la réflexion sur la notion...

  • ARCHITECTURE & MUSIQUE

    • Écrit par Daniel CHARLES
    • 7 426 mots
    • 1 média
    ...nous éloignent-elles pas et de l'architecture et de la musique ? Au contraire : pour le fidèle disciple de Heidegger qu'est, tout au moins au départ, Hans Georg Gadamer, l'architecture est de tous les arts celui qui invite le plus clairement à quitter les parages désastreux de la « conscience esthétique...
  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    ...meilleure constitution ? etc. Il est d'autant plus difficile de départager ces deux courants que l'un et l'autre s'enracinent dans l'aristotélisme lui-même. H.-G. Gadamer proclamait en 1960 « l'actualité herméneutique de l'aristotélisme », en ce sens que celui-ci est le modèle indépassé de toute interprétation,...
  • CRITIQUE LITTÉRAIRE

    • Écrit par Marc CERISUELO, Antoine COMPAGNON
    • 12 918 mots
    • 4 médias
    ...ne constituent pas des significations absolues et universelles, contrairement à ce que voulait Schleiermacher. Jauss prend appui sur l'herméneutique de Hans Georg Gadamer, pour qui le sens du texte dépend d'un dialogue sans fin entre passé et présent, la position relative de l'interprète influençant...
  • ESTHÉTIQUE - Histoire

    • Écrit par Daniel CHARLES
    • 11 892 mots
    • 3 médias
    Gadamer, qui développe dans son maître ouvrage Wahrheit und Methode (1960) une théorie de l'interprétation assez proche, au départ, de la conception wittgensteinienne des jeux de langage, prend directement appui sur l'histoire récente de l'esthétique pour dénoncer, dans cette discipline, ce qui éloigne...
  • Afficher les 10 références

Voir aussi