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BOURGUIBA HABIB (1903-2000)

Bourguiba et la fédération maghrébine

Premier leader nord-africain à acquérir une audience internationale (aux États-Unis, notamment, dès 1950), Habib Bourguiba crut pouvoir être non seulement l'inspirateur mais le promoteur d'un Maghreb ouvert sur l'Occident. Il aurait ainsi joué un rôle de médiateur entre l'Ouest, auquel l'attachent sa culture et ses convictions anticommunistes, et l'Orient, auquel appartient la Tunisie.

En dépit de son rôle diplomatique pendant la guerre d'Algérie, de son talent, des capacités de l'élite tunisienne, de l'excellente position stratégique de son pays, Habib Bourguiba n'a pas réussi dans son rôle de fédérateur-médiateur. Objet de la méfiance des Marocains, trop fiers pour être pris en tutelle, considéré par les Algériens comme un modéré pro-occidental, très violemment critiqué au Moyen-Orient arabe pour ses prises de position réalistes vis-à-vis d'Israël, Bourguiba en fut réduit à un rôle de leader trop grand pour un petit pays, souvent donné en exemple aux Orientaux par des dirigeants d'Occident (John Kennedy, notamment) et, par là même, un peu suspect aux foules du monde arabe.

Ainsi Habib Bourguiba n'avait-il atteint, au moment de sa destitution, en 1987, qu'un seul de ses objectifs fondamentaux : la fondation de l'État tunisien – ce qui est considérable. Les progrès dont son peuple lui était redevable en matière de rapports humains, notamment en ce qui concerne la condition féminine, étaient fâcheusement obscurcis par l'ossification du pouvoir absolu, la paralysie croissante que provoquait, au sommet de l'État qu'il avait fondé, sa décrépitude physique, évidente à partir du début des années quatre-vingt.

De cette impuissance à agir, le pouvoir tunisien ne sortait que pour réprimer les agitations sporadiques déclenchées par des intellectuels mécontents, des travailleurs affamés ou des intégristes religieux brimés. Il fallait ranimer cet État figé par la déchéance physique de son créateur : ce que fit en novembre 1987 Zine el-Abidine ben Ali, chargé depuis le mois précédent des fonctions de Premier ministre, qui sut, avec dextérité, sans effusion de sang, et dans des conditions décentes, opérer la destitution du vieux chef et assurer la relève.

Le chef du Néo-Destour n'en aura pas moins inventé ce qu'on appelle le « bourguibisme » et qui pourrait bien un jour, dans la science politique arabe, se substituer au mot « machiavélisme ». Car il aura appris à ses contemporains d'Orient, comme le secrétaire florentin à l'Occident chrétien de la Renaissance, que la politique est l'art d'ajuster ses fins aux moyens dont on dispose.

Contre la stratégie du tout ou rien, contre le comportement incantatoire qui avait cours avant lui, Bourguiba a imposé sa politique des « étapes » et son réalisme. De la Tunisie même à l'Algérie, du Congo à la Palestine, il a plaidé pour faire du vrai le fondement de la politique. Ses échecs en d'autres domaines ne peuvent voiler la réalité de cet apport.

— Jean LACOUTURE

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Habib Bourguiba, 1961 - crédits : Ron Case/ Hulton Archive/ Getty Images

Habib Bourguiba, 1961

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