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MAUPASSANT GUY DE (1850-1893)

Les contes du désespoir

Comme toute sa génération, marquée par l'expérience de la guerre et désenchantée par le spectacle d'une époque où le pouvoir financier se stabilise, Maupassant ne peut échapper au pessimisme. C'est ce sentiment qui le pousse, à ses débuts, vers les naturalistes – Boule de suif paraît dans Les Soirées de Médan –, mais, hostile à toute tendance, il voudra rester fidèle à l'« esthétique d'observation » de Flaubert, et s'obligera, au nom de cette fidélité, à ne militer en faveur d'aucun espoir.

Il est convaincu que l'espoir est un piège. C'est la thèse qu'il s'obstine à répéter dans ses récits fondés, pour la plupart, sur le même schéma : on espère se libérer, sortir d'un espace clos ou d'une situation étouffante, si ce n'est pour toujours, au moins pour un dimanche, puis, lorsqu'on croit respirer enfin, l'étau se resserre brutalement, et, si l'on n'en meurt pas, on sera ligoté par un engagement, étranglé de dettes, noyé dans le chagrin. D'un récit à l'autre, l'histoire varie : dans La Maison Tellier, des prostituées passent une journée à la campagne où elles sont traitées en grandes dames, mais le soir elles doivent retourner dans la maison close ; dans La Parure, la femme d'un petit fonctionnaire brille un soir au bal du ministère, elle y perd un collier de diamants emprunté pour cette occasion, et, pour le racheter, elle devra passer le reste de sa vie confinée dans la pauvreté... Mais c'est partout le même piège, symbolisé, si sa présence n'est pas explicitée dans l'anecdote, par des objets – eaux noires, tourbillons, trappes, trous, cordages, filets, colliers, bouts de ficelle, liens, lianes – qui renvoient à une clôture perfide. Les acteurs de cette farce sinistre sont nécessairement interchangeables parce qu'ils sont tous issus de la même espèce, d'une humanité qu'une fatalité universelle a condamnée à l'asphyxie ou à la strangulation.

Omniprésente dans l'œuvre de Maupassant, cette fatalité, qui supprime le statut d'individu, reste indéfinie : elle est incompréhensible comme le pouvoir de l'argent, et elle est impénétrable comme la puissance des pulsions qui agissent par des voies inconscientes. Car le pessimisme de Guy de Maupassant ne résulte pas seulement de l'observation d'une société où l'homme, ayant perdu toute prise sur une réalité économique qui n'est plus à sa mesure, doit se contenter de la satisfaction d'appétits momentanés ou d'une cupidité sordide. Si le désespoir dépasse ici le mal du siècle, c'est qu'il fait résonner aussi les angoisses d'une personnalité prépsychotique (la prédisposition à la psychose et la syphilis semblent s'entraider chez Maupassant pour le conduire à la paralysie générale). D'où ce fantasme du piège terrifiant, qui accuse une fixation à une période précoce de l'édification de la personnalité, où prédomine l'attachement à une figure maternelle archaïque – Maupassant l'appellera « la femme sans tête » – dont la matrice toute-puissante ne laisse sortir ses créatures que pour les reprendre dans sa clôture meurtrière. Personne n'échappe, parce que nous sommes tous enfants de cette mère-nature, tous, comme elle, sans identité, et tous, par elle, voués au même destin. C'est elle qui commande, de concert avec le grand capital, également sans visage, la production en série.

Irrationnelle par définition, cette fatalité sera, cependant, rationalisée par un écrivain qui se veut réaliste. Elle apparaît comme inhérente à un réel inconnaissable pour « nos sens entrouverts et cadenassés » – chez Maupassant, les idées de Schopenhauer renforcent les doutes empiristes –, et, sur le plan idéologique, comme la conséquence[...]

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Pour citer cet article

Antonia FONYI. MAUPASSANT GUY DE (1850-1893) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Maupassant - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Maupassant

Autres références

  • LE HORLA, Guy de Maupassant - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 156 mots
    • 1 média

    « Le Horla » est un récit fantastique de Guy de Maupassant (1850-1893), paru dans deux versions successives : la première, le 26 octobre 1886 dans la revue Gil Blas ; la seconde en mai 1887, chez Ollendorff, au sein d'un recueil auquel il donne son titre. Cette seconde version, considérée...

  • PIERRE ET JEAN, Guy de Maupassant - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 005 mots
    • 1 média

    Pierre et Jean, quatrième roman de Guy de Maupassant (1850-1893), a été publié en trois fois dans la Nouvelle Revue, entre le 1er décembre 1887 et le 1er janvier 1888, avant de paraître en volume chez Ollendorf, qui venait d'éditer Le Horla. Trop souvent occulté par le célèbre texte théorique...

  • BEL-AMI, Guy de Maupassant - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 937 mots
    • 1 média

    Publié chez Havard en 1885 après avoir paru quelques mois plus tôt en feuilleton dans la revue Gil Blas, Bel-Ami est le deuxième des six romans de Guy de Maupassant (1850-1893). Le premier, Une vie (1883), était le récit d'un lente et inexorable déchéance ; Bel-Ami est celui d'une réussite...

  • CONTES DE LA BÉCASSE, Guy de Maupassant - Fiche de lecture

    • Écrit par Didier MÉREUZE
    • 979 mots
    • 1 média

    Les Contes de la bécasse (1883) sont le troisième recueil de nouvelles de Guy de Maupassant (1850-1893), succédant à La Maison Tellier (1881) et Mademoiselle Fifi (1882). Alors âgé de trente-trois ans, Maupassant est un auteur célébré, dont les nouvelles paraissent régulièrement dans les journaux....

  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XIXe s.

    • Écrit par Marie-Ève THÉRENTY
    • 7 758 mots
    • 6 médias
    ...le symbolisme. Quant au naturalisme, il trouve avec Émile Zola (1840-1902) un chef de file impressionnant mais les partisans majeurs du mouvement –  Guy de Maupassant (1850-1893), Joris-Karl Huysmans (1848-1907) – se dispersent rapidement. Pour la postérité, ces dénominations aident à prendre conscience...
  • NATURALISME

    • Écrit par Yves CHEVREL
    • 5 363 mots
    • 5 médias
    ...l'écrivain naturaliste est de cacher la trame pour mieux expliquer le réel (c'est, à nouveau, le grand éloge que Zola fait de L'Éducation sentimentale). Maupassant a parfaitement exprimé le problème du romancier qu 'il appelle réaliste : “Faire vrai consiste [...] à donner l'illusion complète du vrai, suivant...
  • RÉALISME (art et littérature)

    • Écrit par Gerald M. ACKERMAN, Henri MITTERAND
    • 6 499 mots
    • 4 médias
    ...les plus zélés défenseurs de l'esthétique réaliste, ou naturaliste, sont aussi les artistes les plus visionnaires, ou les plus formalistes. L'un d'eux, Guy de Maupassant, ne s'y est pas trompé. Il montre, dans le texte qui sert de préface à Pierre et Jean (1888), que ce que le lecteur prend pour...

Voir aussi