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VAN SANT GUS (1952- )

Entre rêve et folie

En 2008, Gus Van Sant réalise enfin un film qu’il avait tenté de monter depuis une trentaine d’années, Harvey Milk, un biopic consacré au supervisor (principal adjoint au maire) de San Francisco, militant pour les droits civiques des homosexuels, assassiné en 1978. C’est un retour à un cinéma grand public  et une œuvre politique très éloignée des recherches formelles qui marquaient les quatre précédents films. Comme Paranoid Park, Harvey Milk est construit sur un flash-back : le héros écrit lui aussi ses mémoires, non pour les oublier mais au cas où il serait assassiné… Après avoir vécu la vie libre des homosexuels dans le quartier gay de San Francisco en préférant oublier la discrimination menaçante, Harvey Milk ressent la nécessité de « sortir du placard », non pas en rejetant l’innocence adolescente à la façon du Walt de My Own Private Idaho, mais en la faisant entrer dans le monde réel pour l’y imposer en pleine lumière. À la sortie du film, Van Sant confiait d’ailleurs au Monde qu’il se sentait fier d’avoir réalisé « le premier film hollywoodien grand public où le personnage est gay sans s’excuser de l’être. » Le film a été nominé huit fois aux oscars et a remporté celui du meilleur acteur pour Sean Penn – époustouflant dans le rôle de Milk –, et du meilleur scénario pour Dustin Lance Black.

Harvey Milk a pourtant déçu les admirateurs de My Own Private Idaho ou de Gerry. Mais bien moins que Restless (2011), dont la trame évoque des succès à l’eau de rose comme Love Story ou Harold et Maud. Depuis la mort accidentelle de ses parents, Enoch est fasciné par la mort et hante les enterrements, avec pour seul ami Hiroshi, fantôme d’un kamikaze japonais de la Seconde Guerre mondiale. Annabelle, une jeune fille, atteinte d’un cancer incurable, demande à Enoch de l’aider à vivre ses derniers mois… Le thème de l’échange est étrangement bien plus « vivant » ici que dans Will Hunting et À la recherche de Forrester, dans la mesure où Van Sant filme ce conte de fées morbide avec le plus grand respect pour l’univers imaginaire adolescent, quitte à faire frémir les amateurs de réalisme et de logique. Restless, c’est un peu l’adolescence conçue comme un moment fragile et précieux sans cesse sous la menace de la mort, ne serait-ce que par l’inéluctable passage à l’âge de raison…

L’âge de raison, l’âge adulte croit-il, c’est celui qu’a atteint Steve Butler (Matt Damon) dans Promised Land (2012). Malgré les risques écologiques, il a choisi de travailler pour un grand groupe industriel qui exploite le gaz de schiste, parce qu’il a vu sa famille et son village sombrer dans la misère absolue pour n’avoir su accepter à temps de vendre ses terres aux industriels… Le film semble décliner les épisodes d’un film militant classique, auxquels Van Sant ajoute quelques effets de signature, comme les accélérés sur les nuages. Mais la véritable originalité de Promised Land consiste à amener le spectateur à partager les espoirs d’un héros a priori négatif, serviteur des « puissances du mal », et à renverser l’image idéalisée de son adversaire écologiste… Dans le monde de Gus Van Sant, Steve a commis l’erreur de choisir de passer de l’enfance à l’âge adulte sans avoir auparavant accepté la transition nécessaire par l’innocence de l’adolescence.

The Sea of Trees (Nos souvenirs, 2015) est une œuvre potentiellement grand public qui entremêle plusieurs histoires, entre mélodrame et fantastique. Un Américain, Arthur, venu dans la forêt d’Aokigahara au pied du mont Fuji pour mettre fin à ses jours, porte secours à un autre « suicidé » potentiel, Takumi. Il revit dans le même temps ses rapports difficiles avec sa femme, Joan, avant que celle-ci ne meure dans un accident… Est-elle bien morte ? Et Takumi serait-il autre chose qu’un fantôme ? Dans cette[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Joël MAGNY. VAN SANT GUS (1952- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ELEPHANT (G. Van Sant)

    • Écrit par N.T. BINH
    • 1 019 mots

    Réalisateur singulier, Gus Van Sant débuta au milieu des années 1980, avec des films longtemps restés inédits en France (MalaNoche, 1985). Également peintre, musicien et photographe, il a élu domicile à Portland, dans l'Oregon. C'est dans cette ville qu'il situe l'action de la plupart de ses films....

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Le théâtre et le cinéma

    • Écrit par Geneviève FABRE, Liliane KERJAN, Joël MAGNY
    • 9 328 mots
    • 11 médias
    Bien plus surprenantes sont les différences que l'on perçoit dans les œuvres deGus Van Sant, entre des films aussi remarquables que My Own Private Idaho (1991) ou Prête à tout (1995), qui impose la star Nicole Kidman, et Psycho (1998), un remake aussi navrant qu'inutile du film d'Hitchcock. Arrive...

Voir aussi