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TUTSI GÉNOCIDE DES

Une « guerre » pour toute justification

La négation du génocide des Tutsi a commencé pendant qu'il était perpétré. Le premier défi des responsables de ce génocide a été de dissimuler au monde la nature des actes, alors que les appels au meurtre étaient publics, lancés sur les ondes de la radio RTLM et pouvaient par conséquent être captés par tout un chacun, être enregistrés et conservés sur les bandes magnétiques, reproduits et utilisés comme autant de motifs de poursuites judiciaires, d'inculpation et de preuves de culpabilité. Les tueurs « travaillaient » en plein jour, commençaient à l'aube et s'arrêtaient de tuer au coucher du soleil, ce qui leur permettait de repérer et de reconnaître sans difficulté les victimes et leur évitait, dans les zones proches du front, le risque de croiser les soldats rebelles réputés pour leur capacité d'infiltration et de mouvement à la faveur de la nuit. Le travail en plein jour était la double garantie de l'efficacité de la chasse à l'homme et de la sécurité de ceux qui y étaient engagés. Enfin, le souci de terminer le « travail » accélérant sans cesse le rythme des tueries, les corps n'étaient plus enterrés. Partout dans le pays, les cadavres jonchaient le sol, barraient par endroits les chemins, les charniers creusés à la hâte en débordaient, les rivières en charriaient des milliers.

Ne pouvant pas cacher les massacres, ceux qui les ont organisés et les orchestraient ont trouvé le moyen d'en dissimuler la logique et l'intention génocidaires dans la rhétorique de la guerre. La presse étrangère et en particulier française, qui refusait de voir que les massacres étaient commis par les FAR loin du front, reprit ce schéma durant des semaines. Selon elle, le pays était bel et bien en guerre contre la rébellion du FPR. Mais de nombreux éléments discursifs et factuels montraient très clairement que la cible était les civils tutsi, hommes, femmes et enfants.

L'extermination comme objectif de cette « guerre pas comme pas les autres » ne fait aucun doute. Le 4 juin 1994, la RTLM appelle les jeunes à traquer les personnes au « joli petit nez » et à les exterminer :

« Regardez donc une personne, voyez sa taille et son apparence physique, regardez seulement son joli petit nez et ensuite cassez-le. »

Le 5 juin 1994, la RTLM annonce à ses auditeurs une aube nouvelle, un Rwanda sans Tutsi :

« Nous sommes en train de nous acheminer vers une journée éclairée, vers une journée où nous dirions : „il n'y a plus un seul inyenzi dans le pays“...le nom inyenzi pourrait donc être oublié, s'éteindre définitivement... Cela ne sera donc possible que si nous continuons notre élan de les exterminer... »

C'est donc à une guerre d'extermination que la RTLM appelle. Mais en même temps, elle rassure et disculpe en présentant le génocide comme une action de légitime défense contre l'ennemi intérieur allié de l'ennemi extérieur. Pourtant, en dépit des affirmations véhémentes du « nous sommes en guerre », la description des cibles montre qu'il s'agit de civils fugitifs, exténués :

« Mais à y regarder de près, il s'agit pour ces inkotanyi d'un suicide. Les soldats rwandais les attendent. Personne ne sait ce dont ils se nourrissent, à part qu'ils mangent même la poussière... Ils sont très maigres. Ils font peur à voir : beaucoup de cheveux sur la tête, de gros ventres, des bottes qu'ils n'ont pas lavées depuis plusieurs jours... Ils sont vêtus de haillons. Ils puent... » (RTLM, 20 juin 1994).

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Pour citer cet article

Marcel KABANDA. TUTSI GÉNOCIDE DES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Génocide au Rwanda - crédits : Scott Peterson/ Liaison/ Getty Images

Génocide au Rwanda

Autres références

  • UNE SAISON DE MACHETTES (J. Hatzfeld)

    • Écrit par Mona CHOLLET
    • 988 mots

    « Nous connaissons mieux les victimes, nous les avons écoutées, alors qu'il ne nous reste presque rien des bourreaux, constatait un jour l'écrivain biélorusse Svetlana Alexievitch. Ils ont dissimulé et laissé sous scellés dans leurs archives secrètes l'expérience la plus importante du siècle passé. »...

  • AUDOIN-ROUZEAU STÉPHANE (1955- )

    • Écrit par Paula COSSART
    • 922 mots
    • 1 média
    À partir de la fin des années 2000, Stéphane Audoin-Rouzeau dirige un séminaire de recherche sur les pratiques et les imaginaires du génocide des Tutsi perpétré par les Hutu au Rwanda en 1994. Y sont privilégiées les études de terrain, celles qui placent la focale sur les pratiques, les gestuelles...
  • DANS LE NU DE LA VIE. RÉCITS DES MARAIS RWANDAIS (J. Hatzfeld)

    • Écrit par Mona CHOLLET
    • 995 mots

    « En 1994, entre le lundi 11 avril à 11 heures et le samedi 14 mai à 14 heures, environ 50 000 Tutsi, sur une population d'environ 59 000, ont été massacrés à la machette, tous les jours de la semaine, de 9 h 30 à 16 heures, par des miliciens et voisins hutu, sur les collines...

  • DES FORGES ALISON (1942-2009)

    • Écrit par Catherine CHOQUET
    • 943 mots

    Née le 20 août 1942 à Schenectady, dans l'État de New York, Alison Bowe Des Forges, née Liebhafsky, a disparu le 12 février 2009. Cette historienne, spécialiste de la région des Grands Lacs, était une femme extraordinaire, au sens littéral du mot, une personnalité hors du commun, d'une rare intelligence...

  • FRANCE - L'année politique 2021

    • Écrit par Nicolas TENZER
    • 6 168 mots
    • 5 médias
    À la suite du rapport de la commission présidée par l’historien Vincent Duclert, le chef de l’État se rend à Kigali le 27 mai pour reconnaître la « responsabilité accablante » de la France dans le génocide rwandais, tout en se refusant à employer le terme de « complicité ».
  • Afficher les 8 références

Voir aussi