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EXPÉRIENCE ET EXPÉRIMENTATION, sciences

Problèmes posés par le recours à l'expérience

Pour ce qui a trait aux modalités de l'expérience, la question centrale est celle de savoir s'il y a continuité ou discontinuité de l'expérience commune à l'expérience scientifique. L'expérimentation est-elle un recours minutieux et méthodique à l'expérience courante, ou bien rompt-elle radicalement avec celle-ci ? Gaston Bachelard, par exemple, marque très fortement la distinction de ces deux modalités de l'expérience. L'histoire des sciences semble bien lui donner raison, en révélant qu'une expérimentation s'inscrit toujours dans une construction théorique : des concepts, des variables, des problèmes, des hypothèses, des théories sont à l'origine de l'intervention sur la nature. En dehors de ce contexte, qui n'a strictement rien de commun avec celui de l'expérience commune, l'expérimentation est dénuée de sens et de portée.

Quelle est alors la place occupée par le recours à l'expérience au sein de la démarche scientifique ? La réponse courante à cette question tient en peu de mots : l'expérimentation consiste à soumettre nos hypothèses au tribunal de l'expérience. Mais il existe au moins deux types d'hypothèses : généralisation ou condensé de faits observés, ou bien considération que des entités théoriques pourraient expliquer certains faits. On ne saurait sous-estimer la part d'interprétation qui rend le contrôle expérimental complexe et l'impossibilité, soulignée par Pierre Duhem (1906) et retenue par Willard van Orman Quine (1951), de condamner une hypothèse isolée de son ensemble théorique : les hypothèses de la physique subissent le contrôle expérimental de façon collective.

Ces considérations portent à l'examen des conditions du progrès scientifique. Une hypothèse confirmée par l'expérience prend-elle valeur de dogme ? Constitue-t-elle un élément indiscutable qui, d'autres s'y ajoutant, assurerait le mouvement continu de production de connaissances, ou bien faut-il admettre que des révolutions scientifiques viennent périodiquement bouleverser l'édifice entier de la connaissance, conduisant le savant d'aujourd'hui à rejeter les hypothèses les mieux confirmées hier ? Ce n'est pas minimiser le rôle de l'expérience que de souligner la difficulté et la complexité du contrôle expérimental lorsqu'on prend en compte le développement effectif des sciences.

— Jean-Paul THOMAS

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Pour citer cet article

Jean-Paul THOMAS. EXPÉRIENCE ET EXPÉRIMENTATION, sciences [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BERNARD CLAUDE (1813-1878)

    • Écrit par Paul MAZLIAK
    • 4 120 mots
    • 1 média

    Xavier Bichat (1771-1802) donnait encore la prédominance à l'anatomie sur la physiologie puisqu'il attribuait une fonction différente à chacun des tissus de l'organisme. Claude Bernard montra qu'une même fonction (la respiration, par exemple) peut se retrouver dans plusieurs tissus et qu'inversement...

  • ÉPISTÉMOLOGIE

    • Écrit par Gilles Gaston GRANGER
    • 13 112 mots
    • 4 médias
    ...cherche une «  explication », c'est-à-dire l'insertion de la réalité qu'elle décrit dans un système abstrait de concepts, débordant les faits singuliers que l'expérience nous propose. Une explication ainsi entendue suppose que les faits à expliquer soient transposés d'abord sous la forme d'un « modèle » abstrait,...
  • EXPÉRIENCE

    • Écrit par Pascal ENGEL
    • 7 147 mots
    • 1 média
    Cette analyse est conforme à la conception hypothético-déductive classique des théories scientifiques : celles-ci sont des ensembles de lois, soumises au verdict de l'expérience par le biais des prédictions qu'on peut en déduire (moyennant des hypothèses auxiliaires ou des conditions initiales)...
  • EXPÉRIENCE (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 2 783 mots
    Pour quelles raisons les Grecs n’ont-ils pas inventé les sciences de la nature, qui ne verront le jour qu’à la Renaissance, alors qu’ils disposaient d’un arsenal conceptuel très suffisant pour forger une physique mathématique ? C’est probablement parce qu’ils considéraient que notre planète était...
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