BARBA EUGENIO (1939- )
Parmi les hommes de théâtre de renommée internationale, Eugenio Barba est une figure à part, irrécupérable par l'establishment, inclassable dans son activité protéiforme, et toujours prêt à rencontrer d'autres cultures et à faire en sorte qu'elles se fécondent mutuellement. Depuis qu'il a établi à Holstebro (Danemark) son Odin Teatret, cette petite ville du Jutland est devenue un pôle rayonnant de la culture et un point d'attraction pour gens de théâtre et spécialistes des sciences humaines. Pour Barba, la représentation théâtrale n'est qu'un des aspects d'une activité de tournées dont le champ s'étend de la Scandinavie à l'Italie, de l'Amérique du Sud à l'Extrême-Orient. Autour de ses spectacles se développent rencontres, colloques, séminaires, films, éditions. Les sessions de l'I.S.T.A. (International School of Theatre Anthropology) sont des points forts du parcours d'Eugenio Barba et de sa troupe internationale.
Rien ne prédestinait Eugenio Barba au théâtre, et lui-même ne s'est pas découvert d'emblée une vocation de metteur en scène. Né en 1936 à Brindisi, fils d'un officier mort des blessures reçues au cours de la Seconde Guerre mondiale, il est enfant de troupe jusqu'à dix-sept ans. Peu tenté par la carrière militaire mais déjà par l'aventure, il déserte l'école et, en auto-stop, s'achemine vers le nord. À Oslo où il se fixe, il entreprend des études de lettres et d'histoire des religions ; pour vivre, il sera débardeur, ouvrier ferblantier... L'Asie exerce sur lui un tel attrait qu'il s'embarque comme matelot-mécanicien sur un bateau à destination de l'Extrême-Orient, baptisé Talabot (titre de l'un de ses récents spectacles). Il retournera fréquemment en Inde, à Bali, au Japon. De retour en Norvège, il obtient une bourse de l'U.N.E.S.C.O. pour des études de théâtre à conduire en Pologne. Il est prêt à repartir, déçu, quand il rencontre Jerzy Grotowski, dont il est pendant trois ans l'assistant au Théâtre-Laboratoire d'Opole (1961-1964). Là, il se pénètre de l'importance de la technique pour l'acteur et de l'efficacité d'une scénographie où scène et salle s'interpénètrent. Il apprend l'exigence, la rigueur et l'éthique du métier. Doué pour la communication, Barba est le premier à faire connaître à l'étranger le travail de Grotowski encore confiné en Pologne. Ainsi apparaît-il comme son disciple, et il est vrai que l'Odin Teatret fondé par Barba à Oslo, en 1964, s'engage dans le même type de recherches reposant sur un travail intensif du corps et de la voix de l'acteur, en référence à Stanislavski, Meyerhold, mais aussi aux traditions orientales. Mais c'est paresse d'esprit que de faire encore de lui un « disciple de Grotowski ». Il y a longtemps que Barba a conquis son originalité et que les activités de ces deux personnalités de premier plan, liées toujours par la plus grande amitié, ont divergé. « Il faut toujours partir d'un point concret », dit Barba. « L'important est qu'à la fin de la route on ne rencontre pas le modèle, mais soi-même. »
L'Odin Teatret
Les jeunes gens refusés par le Conservatoire d'Oslo que recrute Barba en 1964 se nomment Else Marie Laukvik, Torgeir Wethal, et sont toujours membres de l'Odin. Ils donnent aujourd'hui des cours dans ce même conservatoire. Mais Oslo boude Barba, et il connaît au début de sa carrière des moments difficiles. C'est à Holstebro que des édiles, jouant la carte culturelle pour favoriser l'essor de leur petite ville (alors 25 000 hab.) qui se consacre aux techniques de pointe, décident en 1966 de subventionner Barba après son premier spectacle, Ornitofilene. Ils mettent à sa disposition une petite ferme désaffectée et ses annexes, en plein champs, que l'urbanisation a aujourd'hui fait disparaître. Le soutien municipal ne s'est jamais démenti. Si Holstebro est connu dans le monde, il le doit à l'Odin Teatret qui accueille en permanence troupes et chercheurs, où des séminaires se déroulent fréquemment, où des spectacles de haut niveau sont invités.
Barba fixé à Holstebro, des Danois entrent dans la troupe : Iben Nagel Rasmussen, Tage Larsen, Ulrik Skeel... Au fil des tournées, des éléments étrangers les rejoignent : l'Italienne Roberta Carreri, l'Anglaise Julia Varley, des Canadiens, toujours présents ; mais des Finlandais, des Espagnols, des Sud-Américains sont aussi passés par l'Odin. Les premiers spectacles sont d'inspiration nordique : Kaspariana (1967), et Ferai (1968), qui dès l'année suivante, porte le renom de l'Odin Teatret en Europe. À partir de là, tous ses spectacles sont joués en France. Min Fars Hus (La maison du père) inspiré librement de la vie de Dostoïevski (1973) est une œuvre maîtresse où se révèlent l'originalité et la force du metteur en scène, ainsi que la maîtrise des moyens d'expression scénique de la troupe, maintenant internationalement connue, et particulièrement célèbre en Italie et en Amérique du Sud. Viennent ensuite Come ! and the Day willbe ours (1976-1980), Cendres de Brecht (1982), OxyrhyncusEvangeliet (1985-1987), Talabot (1988). Les dispositions scéniques varient, mais placent toujours acteurs et spectateurs dans un rapport de proximité, aussi ne peuvent-ils accueillir qu'un public restreint. Ces spectacles ne reposent pas sur un texte préexistant, mais développent un thème reflétant les préoccupations sociales et politiques de Barba, qui, par soif de justice, se sent proche des marginalisés et des révoltés.
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Écrit par
- Raymonde TEMKINE
: ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, critique dramatique de
Regards et des revuesEurope ,Théâtre/Public , auteur d'essais sur le théâtre
Classification
Autres références
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THÉÂTRE OCCIDENTAL - Théâtre et sociétés
- Écrit par Jean-Marie PRADIER
- 9 670 mots
Répondant à un journaliste, qui évoquait l'aspect « religieux » de son théâtre, Eugenio Barba remarquait que le mot « rite » était une « formule vide que les critiques appliquent sur les phénomènes théâtraux quand ils n'ont plus d'étiquette pour les cataloguer » (...
Voir aussi