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HOPPER EDWARD (1882-1967)

Le vide et le silence

<it>Tôt un dimanche matin</it>, E. Hopper - crédits : AKG-images

Tôt un dimanche matin, E. Hopper

En considérant l'ensemble des tableaux d'Hopper consacrés au milieu urbain, on découvre une remarquable absence : celle de la ville de New York. La ville n'existe presque pas, même dans des œuvres portant des titres tels que Bureau à New York (1962, Montgomery Museum of Fine Arts) ou Cinéma à New York (1939, Museum of Modern Art, New York). Aucun paysage urbain ne nous renvoie aux aspects particuliers de la métropole, et cela est lié à la conception du monde du peintre : tous ses efforts convergent vers un seul but, fixer sur la toile les moments singuliers où la réalité urbaine bascule dans l'absence de vie, en mettant en valeur le vide physique ou bien psychologique. Dans l'iconographie urbaine de Hopper le gigantisme et la puissance des bâtiments new-yorkais sont absents, ils font place à de petits immeubles de deux ou trois étages, souvent d'une totale simplicité, parfois de style victorien. Les portes des immeubles sont obscures, les façades sont rythmées par des stores qui cachent des intérieurs probablement inoccupés. On est proche ici des décors de théâtre, simples façades en guise de praticables métaphysiques qui évoquent certaines œuvres de Giorgio De Chirico. Les personnes sont absentes ou bien immobiles et méditatives, parfois tournées vers la lumière du soleil. La vie, l'action, les désirs et le travail ne sont même pas évoqués indirectement. Deux tableaux parmi d'autres témoignent de ce parti pris. L'un Dimanche matin tôt (1930, Withney Museum, New York), avec sa longue façade rythmée par les fenêtres, ses ombres très allongées sur le trottoir et ses inscriptions illisibles sur les vitrines des boutiques fermées, incarne parfaitement l'idée qui domine son œuvre : représenter un espace déserté, saisir cette absence, irrémédiable qui anime un grand nombre de ses toiles. Night Hawks (Noctambules, 1942, Art Institute of Chicago) a été inspiré par une courte nouvelle d'Ernest Hemingway, The killer (1927). Au croisement de deux rues plongées dans le noir profond de la nuit apparaît l'espace triangulaire d'un bar, fortement éclairé et largement vitré. Un couple se tient immobile, assis au comptoir, l'air de n'être concerné ni par l'endroit, ni par l'atmosphère glauque qui s'en dégage. Un client nous tourne le dos, alors que le garçon, indifférent, est plongé dans son travail. Le sculpteur sur plâtre George Segal reprendra à son compte dans les années 1960 l'ambiance de solitude qui avait tant compté pour Hopper, et en construisant des environnements urbains, comme House Movie (Entrée de cinéma, 1966-1967, Centre Georges-Pompidou).

<it>Soir à Cape Cod</it>, E. Hopper - crédits : AKG-images

Soir à Cape Cod, E. Hopper

Les tableaux d'Hopper qui ont comme thème dominant la nature de la côte Est, semblent obéir aux mêmes règles qui régissent les scènes urbaines. Deux compositions – dans lesquelles apparaissent pourtant des êtres humains – témoignent de ce choix esthétique. Il s'agit de Soir à Cape Cod (1939, National Gallery of Art, Washington) et Essence (1940, Museum of Modern Art, New York). Le premier tableau a donné lieu à des commentaires de la part de l'auteur qui nous explique que « ...les arbres en phalange s'avancent dans l'obscurité... ». En effet, cette vue inspirée par South Truro, où Hopper avait acheté une maison, montre l'affrontement silencieux entre la nature, la maison et ses habitants. Le couple d'aspect nordique, immobile, semble envahi à la fois par le bosquet de caroubiers et par l'herbe calcinée, ondoyante. Ils se replient contre la façade de la maison, alors que le chien, un colley écossais, s'avance en écoutant un bruit lointain. L'homme semble tenir dans sa main une pierre. Tout est immobile, les personnages sont enfermés dans leur solitude silencieuse et recherchée.

Essence reprend cette ambiance de désarroi inexplicable.[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense

Classification

Pour citer cet article

Charles SALA. HOPPER EDWARD (1882-1967) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Automat (Distributeur automatique)</it>, E. Hopper - crédits : Francis G. Mayer/ Corbis Historical/ Vcg/ Getty Images

Automat (Distributeur automatique), E. Hopper

<it>Summertime</it>, E. Hopper - crédits :  Bridgeman Images

Summertime, E. Hopper

<it>Hôtel près d'une voie ferrée</it>, E. Hopper - crédits : AKG-images

Hôtel près d'une voie ferrée, E. Hopper

Autres références

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Les arts plastiques

    • Écrit par François BRUNET, Éric de CHASSEY, Universalis, Erik VERHAGEN
    • 13 464 mots
    • 22 médias
    ...précisément absente des œuvres de deux artistes qui ont souvent été rattachés au régionalisme, alors que leur individualité grinçante les en distingue : Edward Hopper et Grant Wood. Le réalisme de Hopper n'est jamais maniériste ; qu'il représente la ville ou la campagne, ce sont toujours des lieux où se...

Voir aussi