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DE CHIRICO GIORGIO (1888-1978)

C'est à tort qu'on chercherait, pour l'œuvre déconcertante de De Chirico, une autre clef que celle que proposent ses propres écrits et certains détails de sa biographie. Non que ceux-ci rendent compte et totalement de l'évolution du peintre, mais ils en permettent une lecture chiffrée. À aucun degré, l'artiste n'a voulu être l'interprète de « l'angoisse de l'homme actuel ». Il s'agit d'un cas probablement unique de dédoublement de la personnalité, assumé par une sorte de lucidité pathétique dans une première carrière, puis nié sur le ton des sarcasmes ou des « omissions » tout au long d'une seconde et longue – on est tenté d'écrire trop longue – carrière.

Qu'écrivait en effet le jeune De Chirico découvrant son génie ? « Pour qu'une œuvre d'art soit vraiment immortelle, il faut qu'elle sorte complètement des limites de l'humain [...]. De cette façon elle s'approchera du rêve et de la mentalité enfantine. » L'œuvre s'inscrit d'emblée sous le signe de la transmission d'une voyance, comme celle de Rimbaud (avec lequel il présente une analogie psychanalytique, partielle certes, mais frappante).

Les ombres longues

Né à Volo, en Thessalie, où son père dirigeait la construction de chemins de fer, De Chirico fut initié de bonne heure au dessin et étudia la peinture à Athènes (1899), puis à Munich. Ce second et décisif apprentissage coïncide avec la mort du père (1906), gentilhomme sicilien qui a certainement beaucoup marqué son fils. Moins toutefois que sa mère, la baronne De Chirico, personnalité tyrannique qui décide tant de son séjour à Munich que du retour en Italie (1909) et du départ du jeune artiste pour Paris (1911).

À Munich, De Chirico s'est moins intéressé à l'enseignement officiel des Beaux-Arts qu'à la peinture d'Arnold Böcklin et de Max Klinger, et surtout qu'à la philosophie de Schopenhauer et de Nietzsche. Il a la révélation, à Turin, de la suspension du temps (écho possible de L'Éternel Retour) dans l'allongement insolite de l'ombre des statues à certaines saisons. « Pour qu'une œuvre d'art soit vraiment immortelle, il faut qu'elle sorte complètement des limites de l'humain : le bon sens et la logique y font défaut. De cette façon, elle s'approchera du rêve et aussi de la mentalité enfantine. », déclare De Chirico en 1985. Enfin, à Paris, il entre en contact avec Apollinaire, dont il fait le portrait en 1914 (Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire, Musée national d'art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris) et Picasso. Il expose au Salon d'automne en 1906 et à celui des Indépendants en 1913, Apollinaire qualifie, le premier, ses toiles de « métaphysiques ».

Ses premières peintures importantes ont précédé de peu son départ (L'Énigme d'un après-midi d'automne, 1910 et L'Énigme de l'oracle, 1910) : l'exil n'est pas moins fécond. C'est la période « des arcades » : portiques, tours, places quasi désertes expriment une nostalgie qu'il serait vain de réduire à l'anecdote subjective. D'autant que De Chirico rédige alors (1913) quelques cahiers d'une importance extrême, où il se montre essentiellement soucieux de capter et de transmettre les messages d'une « inspiration » qui vient de bien plus loin, d'un « lieu » où travaillent des « forces obscures », dont le « chant » s'éveille en nous comme celui d'un oracle antique, d'un « dieu qui aurait pleuré de joie ». Des toiles comme Mélancolie et mystère d'une rue (1914, Collection privée), ou Le Chant d'amour (1914, Museum of Modern Art, New York) ne visent à rien de moins qu'à communiquer le sentiment de l'éternité. Aux arcades et aux murailles[...]

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Pour citer cet article

Gérard LEGRAND. DE CHIRICO GIORGIO (1888-1978) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ÉMILIE

    • Écrit par Noëlle de LA BLANCHARDIÈRE
    • 2 403 mots
    • 2 médias
    ...(1890-1964), qui jouent subtilement des bruns, des ocres, des gris et des blancs, ont les couleurs austères des collines de l'Apennin. Les Muses inquiétantes de Giorgio De Chirico (1888-1978) se meuvent dans des paysages abstraits inspirés par Ferrare, et derrière la transcription moderne se devine l'influence...
  • L'UNIVERS POÉTIQUE DE VILHELM HAMMERSHØI 1864-1916 (exposition)

    • Écrit par X.-Y. LANDER
    • 1 297 mots

    L'œuvre du Danois Vilhelm Hammershøi a fait l'objet à Paris d'une rétrospective aussi remarquée que le fut peu le séjour de six mois que fit le peintre dans cette même ville, en 1891-1892. Son chef-d'œuvre de jeunesse, Portrait d'une jeune fille (1885), exposé chez...

  • PEINTURE MÉTAPHYSIQUE

    • Écrit par Charles SALA
    • 2 229 mots

    La peinture métaphysique n'est attachée ni à un mouvement ni à une école : elle n'obéit pas à une doctrine. Elle est cependant liée à un groupe très restreint de peintres qui, entre 1910 et 1920, ont refusé d'axer leurs œuvres sur l'unique recherche formelle que proposaient les avant-gardes. Pas de...

  • SAVINIO ALBERTO (1891-1952)

    • Écrit par Christian CHALMÉ
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    • 1 média
    ...était Andrea de Chirico. Son père était un ingénieur ferroviaire florentin ; d'où l'importance que prennent souvent les trains et les gares dans son œuvre. Son frère, le célèbre peintre, fut lui aussi fortement inspiré par l'activité de son père, puisqu'il est connu comme le peintre des gares. Et de la même...

Voir aussi