ROSTAND EDMOND (1868-1918)
« Mon panache ! »
Cyrano de Bergerac, « comédie héroïque en cinq actes, en vers », offre une succession de péripéties, sur un rythme enlevé, dans les lieux les plus divers : l'Hôtel de Bourgogne, en 1640, où Cyrano empêche de jouer l'acteur qui lui déplaît ; la rôtisserie de Ragueneau, où Roxane confie à son cousin Cyrano son amour pour le baron Christian de Neuvillette ; une place de l'ancien quartier du Marais où demeure Roxane et où a lieu la célèbre scène du baiser ; les remparts du siège d'Arras où Christian est tué ; quinze ans plus tard, en 1655, le couvent des Dames de la Croix, où Cyrano vient voir chaque semaine Roxane qui s'y est retirée après son veuvage. Des déclamations de Cyrano, qui sont autant de morceaux de bravoure, ponctuent ces scènes : la tirade du nez, la proclamation d'une liberté sans Dieu ni maître, la déclaration d'amour à Roxane, les encouragements aux Cadets affamés, le défi à la mort : « Je crois qu'elle regarde... / Qu'elle ose regarder mon nez, cette Camarde ! » Le Cadet de Gascogne a prévu ainsi son épitaphe : « Philosophe, physicien, / Rimeur, bretteur, musicien, /Et voyageur aérien, / Grand riposteur du tac au tac, / Amant aussi – pas pour son bien ! »
Duelliste, poète, philosophe – l'esprit et la bravoure qui caractérisent Cyrano sont à la mesure du nez démesuré dont la laideur l'afflige. Son destin s'inscrit dans cette contradiction entre son âme noble et généreuse et sa disgrâce physique. Le sens de l'honneur, la verve railleuse, cocasse ou lyrique, la tendresse cachée sous l'orgueil et l'allure superbe, la haine du mensonge et des mesquineries, l'impitoyable mépris envers les parvenus, les médiocres, les lâches, voilà quelques traits du héros fantasque et émouvant autour duquel s'organise l'intrigue. Amoureux de sa cousine Roxane, une précieuse, il a pris sous sa protection le baron Christian qui plaît à la belle, mais manque d'esprit ; pour lui permettre de la séduire, il va lui prêter ses mots d'amour, sa propre voix. Après le mariage hâtif des amants, et la mort de Christian, tué au combat, c'est encore lui qui écrira les lettres à Roxane, qu'il envoie au péril de sa vie pendant le siège d'Arras. Et ce n'est que blessé à mort qu'il laissera entendre à sa cousine l'amour passionné qu'il éprouva pour elle. C'est en lui souriant, et en s'adressant une dernière fois aux bassesses du monde, qu'il lance le mot, qui le caractérise à jamais : « Il y a malgré vous quelque chose / Que j'emporte [...] ; / Quelque chose que sans un pli, sans une tache, j'emporte malgré vous, et c'est / Mon panache. »
Le héros de Rostand n'a que de lointains rapports avec Savinien Cyrano de Bergerac (1619-1655), écrivain libertin, auteur notamment d'un double récit de voyage interstellaire : Les États et Empires de la Lune, Les États et Empire du Soleil, prétexte à une méditation critique sur l'état de la France de 1650. Les sources d'inspiration de Cyrano de Bergerac se trouvent plutôt dans la commedia dell'arte, la comedia espagnole du Siècle d'or, le drame romantique... ; les multiples registres dramatiques de cette pièce hors du commun permettent cependant d'y déceler bien d'autres influences.
Tandis que la pièce entrait au répertoire de la Comédie-Française en 1938, Cyrano de Bergerac devenait une manière de héros national.
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Écrit par
- Bernard SESÉ : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española
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Médias
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