MONROE DOCTRINE DE
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Une réplique à l'impérialisme européen
Devant cette double menace, et surtout celle de la Sainte-Alliance, George Canning, alors secrétaire au Foreign Office, fit des ouvertures au gouvernement des États-Unis qui, fort embarrassé, consulta les deux anciens présidents encore en vie, Jefferson et Madison. Le besoin d'énoncer clairement les bases de la politique étrangère des États-Unis semblait à tous évident : mais il valait mieux ne pas se lier à l'Angleterre, pour ne pas se laisser entraîner par une puissance européenne, et il convenait en outre de ne pas donner à cette déclaration un caractère trop provocateur. C'est pourquoi ce qu'on appelle la doctrine de Monroe tient en quelques paragraphes à l'intérieur du long message sur l'état de l'Union, de décembre 1823.
Deux principes y sont définis : le premier affirme que le continent américain doit désormais être considéré comme fermé à toute tentative ultérieure de colonisation de la part de puissances européennes, ce qui visait à la fois les puissances de la Sainte-Alliance et la Russie, et le second, qui en découle, que toute intervention d'une puissance européenne sur le continent américain serait considérée comme une manifestation inamicale à l'égard des États-Unis. Ces derniers se posaient en défenseurs de l'intégrité et de l'indépendance du Nouveau Continent, mais ne possédaient aucun moyen de faire respecter leurs principes.
Dans l'immédiat, le message de Monroe n'eut aucun effet pratique. Si les nouvelles républiques d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud l'accueillirent avec sympathie, elles étaient davantage portées à se tourner vers l'Angleterre, comme leur défenseur naturel, que vers les États-Unis, alors dénués de toute puissance militaire ou navale. En Europe, il passa pratiquement inaperçu, les États-Unis étant considérés comme une puissance négligeable dans le monde. En Angleterre, il suscita une certaine amertume chez Canning, mécontent de cette prise de position unilatérale, mais eut la sympathie de l'opposition. En fait, sur le moment, en l'absence de toute menace directe, comme l'ont montré les historiens américains, il ne pouvait avoir qu'un écho fort limité.
Dans les années qui suivirent, les États-Unis se refusèrent à tirer les conséquences des principes qu'il contenait. Ainsi, lorsque, au congrès de Panamá (1826), Bolívar chercha à obtenir des engagements précis au sujet d'une coopération entre les États-Unis et les nouvelles républiques, il se heurta à un refus. Les interventions de la France et de l'Angleterre en Amérique du Sud, dans les années 1830, ne suscitèrent aucune réaction de la part des États-Unis. Ils furent plus sourcilleux pour les territoires contigus à la République (le Texas, la Californie ou l'Oregon, ou même le Yucatán) à propos desquels le président James Polk, par deux fois, en 1845 et en 1848, réaffirma les principes de Monroe, pratiquement sans effet. Dans la réalité, cependant, aucune puissance européenne ne parvint à s'installer à proximité du territoire des États-Unis, si l'on excepte la colonisation anglaise au Canada, antérieure à l'indépendance américaine. Peu à peu s'élaborait ainsi l'idée d'une « Amérique américaine », fondée sur la déclaration de Monroe, à laquelle le temps avait conféré de l'autorité. D'où la première mention de la doctrine dans une banale dépêche diplomatique de 1854.
Les premières applications vinrent du secrétaire d'État de Lincoln, William H. Seward, au moment de la guerre de Sécession : il invoqua la doctrine de Monroe contre l'Espagne, qui venait de réoccuper la République dominicaine, son ancienne colonie, et contre la France, qui cherchait à placer Maximilien à la tête du Mexique. Elle joua d'une manière différente, en 1867, en faveur de l'achat de l'Alaska par les États-Unis à la Russie.
Jusqu'à la fin du xixe siècle, la doctrine de Monroe connut des interprétations diverses, de plus en plus étendues. Dans un mémorandum du 17 juillet 1870, Hamilton Fish, secrétaire d'État du président Ulysses S. Grant, établit le principe de « non-transfert », en vertu duquel aucun territoire du Nouveau Monde ne pouvait être transféré d'une puissance à une autre, en particulier à une puissance européenne. Quand Ferdinand de Lesseps entreprit de percer l'isthme de Panamá, le secrétaire d’État James C. Blaine, dans une note du 24 juin 1881, exprima sa défiance à l'égard de puissances européennes qui pourraient acquérir des intérêts sur le continent américain : il pensait ainsi décourager les projets français. Quelques années plus tard, en 1895, à la suite d'incidents répétés entre le Venezuela et la Grande-Bretagne pour les frontières de la Guyane britannique, les États-Unis, s'érigeant en arbitre, imposèrent à ces deux puissances un compromis. Chaque fois, la doctrine avait été appliquée de façon purement défensive.
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Écrit par
- Claude FOHLEN : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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