AFRIQUE NOIRE (Arts) Aires et styles

La perception que l'Occident a pu avoir des arts africains a été fortement perturbée par ce que, dans les années 1920, on a appelé l'« art nègre ». Le choc esthétique et l'influence de ces formes sur les avant-gardes a un temps eu pour effet de faire passer au second plan la richesse des styles, ainsi que la complexité des liens entretenus avec l'univers social et religieux. Ce n'est que par l'étude des relations entre les objets et les cultures qu'une perspective historique a pu se dessiner, laquelle a permis de mettre en évidence les relations que les différentes cultures entretenaient entre elles, et d'inscrire la diversité des styles dans des unités collectives plus vastes.

Les arts d'Afrique de l'Ouest

L'Afrique de l'Ouest n'a pas connu un isolement géographique comparable à celui de l'Afrique centrale. Son histoire est marquée par les contacts qu'elle eut, de tout temps, avec le nord du continent et la Méditerranée. Dès le viie siècle, les sociétés situées dans la zone soudanaise, entre le Sahara et les régions forestières, subissent progressivement, et dans des proportions inégales, l'influence de l'islam. À partir de la fin du xve siècle, les Européens, présents sur les côtes du Sénégal et du golfe de Guinée, la mettent en relation avec le monde occidental.

En l'absence de sources écrites et d'archives, la connaissance très fragmentaire de cette histoire se fonde essentiellement sur l'étude conjointe des données livrées par la tradition orale et par l'archéologie. Le sol nous a laissé cependant peu de vestiges au regard d'autres régions du monde. Les raisons en sont simples : l'archéologie est une discipline encore peu développée et disposant de moyens très modestes au sein des États modernes africains. Par ailleurs, les fouilles et l'exportation illégales, l'ignorance des populations locales quant à la valeur historique et scientifique des objets trouvés dans le sous-sol, leur pauvreté et le vol dans les musées nationaux au profit des marchés d'art internationaux, contribuent à ruiner les sites avant que les chercheurs n'aient pu y travailler. Dans de nombreux cas, nous n'avons, pour nous renseigner sur les périodes anciennes, que les objets eux-mêmes. Ainsi, nous ne savons presque rien des populations qui ont produit la statuaire céramique de Nok (Nigeria), fleuron de l'art africain du passé, dont la découverte continue à être le fruit du hasard, celui de l'exploitation de mines d'étain ou des labours des cultivateurs. Nous demeurons tout aussi ignorants, les sites ayant été souvent pillés, de celles qui nous ont laissé les terres cuites du delta intérieur du Niger et de la région de Djenné (Mali).

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L'intérieur et les côtes de l'Afrique de l'Ouest furent explorés à un rythme différent. Les Européens prennent position en divers points du littoral dès le xve siècle, les Portugais atteignant les premiers l'embouchure du fleuve Sénégal en 1445. Avant le xixe siècle cependant, ils n'ont laissé que peu de témoignages sur les hommes avec lesquels ils commerçaient, leurs coutumes et leurs arts. Aux xvie et xviie siècles, quelques objets gagnèrent pourtant l'Europe des cours princières et des cabinets de curiosités : répondant aux commandes des Occidentaux, les ivoiriers sapi (côte de la Sierra Leone) ou bini (royaume du Bénin, Nigeria) surent associer avec dextérité des motifs européens à un traitement stylistique proprement africain pour produire des coupes et des salières, des cuillers ou des olifants. Au-delà d'une étroite frange côtière, l'intérieur demeura longtemps inconnu des Occidentaux jusqu'à ce que commence la conquête coloniale. C'est alors qu'eurent lieu les premières collectes d'objets qui vinrent prendre place dans les vitrines des musées des grandes capitales européennes, de la seconde moitié du xixe siècle aux années 1930. L'essentiel de nos collections muséographiques, en Europe et aux États-Unis, s'est constitué durant cette période.

Des routes commerciales transsahariennes, jalousement préservées de la curiosité des étrangers, ont très tôt relié le cœur de l'Afrique occidentale, les rives des fleuves Sénégal et Niger, au Maghreb et à l'Égypte. Les textes en langue arabe rédigés, dès le viiie siècle, par les voyageurs issus de ces contrées évoquent la puissance des souverains de Gao, de Ghana ou du Mali, avec lesquels traitaient les négociants venus du nord pour acquérir des esclaves et l'or extrait dans les régions forestières situées en pays mandingue, en échange de produits tels que les textiles ou le cuivre. Kanku Musa, qui régnait sur l'immense Mali au début du xive siècle, acquit une telle notoriété pour ses richesses en ce métal que son pays fut figuré dans l'Atlas catalan établi, vers 1350, pour le compte de Charles V. Sa présence dans l'imagerie européenne de l'époque atteste l'importance de cet État dans le paysage géopolitique d'alors.

Les descriptions arabes intéressent essentiellement les mœurs des seigneurs et des cours de ces États nouvellement islamisés ; et bien peu la grande masse des paysans qui formait l'essentiel de la population. Pour imprécises qu'elles soient, elles évoquent néanmoins les conditions économiques, sociales et culturelles qui ont permis le déploiement d'expressions artistiques dont on ne connaît pas d'équivalents dans les autres parties du continent.

La statuaire céramique ancienne

Les potiers des sociétés anciennes d'Afrique de l'Ouest produisirent des œuvres remarquables. Le développement et la diffusion des arts céramiques furent étroitement liés à la métallurgie du fer et du cuivre, les arts du feu dans leur ensemble ayant été encouragés par un contexte favorable, dû à la formation, dès le viiie siècle, et à la faveur des échanges avec les populations du nord du Sahara, de centres commerciaux importants et d'États. Le fleuve Niger, dont le cours s'étire sur plus de 4 000 kilomètres, a joué un rôle de premier plan dans la circulation des hommes, des biens et des savoir-faire.

Un théâtre de gestes

La statuaire en terre cuite la plus anciennement connue à ce jour est celle de Nok, nom du petit village nigérian où fut trouvée en 1943 une première œuvre. La culture de Nok se serait épanouie entre 900 avant J.-C. et 600 après J.-C., soit durant presque deux millénaires. La datation des sculptures céramiques donne une période moins longue (de 500 av. J.-C. à 200 apr. J.-C.). Leur fabrication s'est étendue, avec quelques variations stylistiques, sur un très vaste territoire : jusqu'à 400 kilomètres au nord et à l'ouest de Nok par exemple, dans les régions de Sokoto et de Katsina.

La maîtrise technique dont elles témoignent – ce sont à ce jour les plus grandes terres cuites connues en Afrique subsaharienne (jusqu'à 1,20 m) –, la délicatesse du modelage et de l'interprétation plastique donnent à penser que les céramiques nok sont l'œuvre d'artisans rompus à l'exercice des arts du feu et qui travaillaient pour les membres puissants d'une société florissante.

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Cette prospérité est inscrite dans les représentations de personnages savamment parés et coiffés : la variété des ornements – pectoral, colliers, bracelets, éléments de vêtements (étui pénien, cache-sexe, cape) – le dispute à celle des coiffures à la composition soignée, reproduisant avec un grand souci de vérité des modèles réels. Une même recherche de diversité se lit dans le rendu des attitudes corporelles dont on peut penser qu'elles expriment une signalétique gestuelle extrêmement précise. L'art nok est en effet très détaillé, tout comme celui, qui lui est postérieur, de la région de Djenné.

Les sites de Jenné-Jeno, l'ancienne ville de Djenné établie dès le ixe siècle dans le delta intérieur du Niger, et la région comprise entre Djenné et Bamako (Mali), ont livré de nombreuses figures de terre cuite (xiie-xve siècle). L'essentiel du corpus consiste en animaux et surtout en personnages d'une quarantaine de centimètres de hauteur en moyenne, dont les attitudes corporelles sont rendues avec un grand souci de vérité : mains sur les joues, sur la tête, paumes ouvertes posées sur les cuisses, bras croisés sur la poitrine, femme allaitant un enfant, homme agenouillé derrière une femme, une main posée sur son épaule, personnages présentant des objets... La variété de ce théâtre des attitudes, répondant probablement à une gestualité rituelle parfaitement réglée, tranche avec le hiératisme de la statuaire en bois de ces mêmes régions telle qu'elle est parvenue jusqu'à nous. On trouve des traces de son influence jusqu'au nord du Ghana en pays koma, où de petites terres cuites (xve-xvie siècle) figurant des personnages agenouillés ont été retrouvées sur des sites funéraires.

La présence soutenue du serpent dans l'iconographie de la statuaire de Jenné-Jenno fait écho à la place qu'occupe encore l'animal dans les cultes actuels et dans les récits de tradition orale où l'émergence du Mali est vue comme l'une des conséquences du meurtre d'un serpent-génie, Bida, auquel un culte était autrefois rendu. Un motif figuré dans cette statuaire fut repris jusqu'au xxe siècle : l'homme barbu pourvu d'une poitrine féminine, ou occupant la position d'un nourrisson dans les bras d'un personnage féminin, se retrouve dans la sculpture en bois dogon (Mali) et kurumba (Burkina Faso). Dans les deux cas, il s'agit, par le biais de ce motif iconographique, de représenter le principe qui veut que toute vie, au sein du lignage et du clan, s'inscrive dans un processus cyclique de mort et de renaissance initié par un premier ancêtre mythique.

La figure équestre

La statuaire céramique du delta intérieur du Niger aurait été produite pour une grande part au cours du xive siècle, période de pleine expansion de l'empire du Mali. La présence du thème du cavalier, absent de l'art nok, évoque l'importance qu'eut la cavalerie dans la formation et la puissance des États soudanais. L'animal est richement harnaché ; l'homme vêtu d'un pagne est paré, portant un carquois sur l'épaule et parfois un poignard enfilé dans un brassard. À la même époque, ce thème se retrouve dans la région du Guimbala (vers Tombouctou au Mali) figuré dans des couvercles de poterie, ainsi que dans la vallée moyenne du Niger, ce qu'attestent des découvertes archéologiques récentes réalisées en amont de Niamey (Niger) dans la nécropole de Bura : y ont été retrouvés, parmi d'autres vestiges tels que des têtes en céramique prolongées parfois par un buste et des bras, les restes d'une figure équestre de grande taille (62 cm), datée du iiie-xie siècle après J.-C.

Encore aujourd'hui, le cheval demeure un animal de prestige dans toute la région des savanes, son usage étant d'ordinaire réservé aux rois, aux chefs et aux dignitaires. Hier, il était l'apanage des guerriers, des envahisseurs et des émissaires royaux. On le retrouve dans l'art du royaume de Bénin (Nigeria) situé en zone tropicale humide, où sa difficile acclimatation en faisait un bien rare et fragile. Au xviiie siècle, les fondeurs de Bénin représentaient encore les royaumes du Nord (Sokoto, Kanem-Bornou, États haoussa) par l'intermédiaire de figures équestres en laiton. Des objets semblables ont été produits en pays sao (Tchad) pris dans la sphère d'influence du royaume du Kanem-Bornou. Les Dogon (Mali) ont aussi exploité ce thème dans leur propre statuaire en bois.

Les arts de cour

L'Afrique de l'Ouest a connu des empires et des royaumes puissants. Beaucoup ont disparu au cours du temps. Certains demeurent encore au sein des États modernes, leurs souverains continuant à jouer un rôle non négligeable dans la vie politique nationale. Ils nous ont laissé un important patrimoine artistique.

L'histoire des royaumes installés en zone forestière, non loin des côtes, nous est mieux connue que celle des États soudanais. Les Européens furent en effet en contact avec eux dès le xve siècle. Leurs récits ont pu être confrontés aux traditions orales perpétuées jusqu'à nos jours par les chroniqueurs des palais, et aux rites royaux encore observables.

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Conçu dans le cadre d'une société hiérarchisée, l'art de cour a pour fonction première d'exalter la puissance du souverain, tant économique et guerrière que spirituelle et mystique. Le droit à l'utilisation d'œuvres sorties des ateliers royaux, réservées en priorité au chef ou au roi, à sa famille et aux membres des lignages nobles, distingue, en marquant leur place dans l'échelle sociale, ceux qui sont proches du pouvoir de ceux qui en sont éloignés. Aux titres nobiliaires correspondent toujours des ornements et des objets particuliers.

Les artisans de la cour, forgerons, fondeurs, tisserands, brodeurs, sculpteurs, joailliers, etc., consacrent leur production à la famille royale et à l'aristocratie. Dans certains royaumes, comme ceux de Bénin (Nigeria), de l'ancien Danhomè (Bénin) ou de l'Ashanti (Ghana), les artisans sont rassemblés en corporations. Ces regroupements d'artisans aux origines ethniques souvent diverses, ont facilité l'échange de savoirs, non seulement techniques mais aussi esthétiques. C'est ainsi que les bronzes d'Igbo-Ukwu (ixe-xe siècle, Nigeria) ont pu être conçus. Il s'agit de vases, de bols, de coupes, d'ornements de hampes, de pendentifs dont la facture dénonce une remarquable maîtrise de la technique de la fonte à la cire perdue. Le fait que ces objets soient en bronze, et non pas constitués d'alliages cuivreux, confirme le savoir technologique de ses fondeurs.

De nombreux auteurs ont également relevé l'influence des arts musulmans dans l'iconographie et dans la configuration des objets de prestige akan (Côte d'Ivoire et Ghana), ashanti en particulier : l'art des bijoux filigranés, de la feuille de métal façonnée par repoussage, le style des motifs décoratifs observés sur les tissus et sur de nombreux objets évoquent certains traits de la plastique musulmane.

Une tradition du portrait

Dans les sociétés africaines, le roi est un être sacré. Des énergies cosmiques siègent dans sa personne, souvent d'origine divine, dans la mesure où les généalogies dynastiques remontent fréquemment à un fondateur divin. Il est le garant du bien-être du royaume et de ses sujets et de l'équilibre du monde. En conséquence, l'ensemble de ses actes, le déroulement de son existence et même ses émotions sont susceptibles d'affecter le cours des événements et la stabilité du royaume. Pour cette raison, le corps du roi doit être en bonne santé et ne présenter aucune infirmité physique.

La statuaire des royaumes akan (Ashanti, Anyi, Fanti du Ghana ou de Côte d'Ivoire), d'Ilé-Ifé et de Bénin (Nigeria) comprend des représentations de ces grands personnages. Les plus anciennes (xiie-xve siècle) ont été retrouvées à Ilé-Ifé, la ville qui constitue toujours le centre mythique et spirituel des Yoruba et qui dut sa prospérité et son expansion, à partir du xie siècle, à sa situation géographique. Elle contrôlait l'accès aux produits de la forêt et à l'embouchure du Niger et traitait avec l'empire du Mali. Les œuvres d'Ilé-Ifé sont contemporaines de la statuaire de Jenné-Jeno. Comme la plupart des céramiques nok, elles ont été réalisées par la technique du colombin.

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Les portraits d'Ilé-Ifé se composent essentiellement de têtes en terre cuite et en cuivre (un seul portrait en pied est parvenu entier jusqu'à nous), figurant des hommes et des femmes, scarifiés pour certains et portant parfois des coiffes. Ces têtes révèlent une grande habileté quant à la représentation du modelé des chairs du visage humain. L'attention portée à l'implantation du nez, au gonflement des narines, au dessin des lèvres renflées, parfois légèrement entrouvertes et arrêtées dans l'esquisse d'un sourire s'évanouissant aux commissures, exprime combien était grand le désir des sculpteurs de saisir le souffle et le frémissement du vivant. Ces visages sont cependant idéalisés. Ils offrent l'image d'êtres androgynes et éternellement jeunes, une interprétation plastique qui vient corroborer l'image d'un roi divin dont le corps incorruptible associe le féminin au masculin.

Le rayonnement d'Ilé-Ifé s'est étendu à l'ensemble du monde yoruba jusqu'au royaume edo de Bénin où furent réalisées en cuivre de nombreuses effigies de rois, de reines mères, de dignitaires et d'officiers de la cour. Là où, à Ilé-Ifé, les sculpteurs s'efforcent de rendre compte d'une ressemblance physionomique, les fondeurs de Bénin ont reproduit un modèle canonique. Toute l'humanité présente dans l'art edo partage avec le roi un même visage. Contrairement aux œuvres d'Ilé-Ifé, celles de Bénin regorgent de détails quant à la description des coiffures, des parures, des vêtements, des emblèmes et des attributs qui permettent de définir l'identité sociale du personnage représenté.

Tête, culture de Nok - crédits : Werner Forman Archive/ Bridgeman Images

Tête, culture de Nok

À Bénin et à Ilé-Ifé, nombre de ces portraits royaux se limitent à des têtes. Cette particularité n'est pas étrangère à la place qui est plus généralement accordée à la tête dans les représentations africaines. Siège de l'écoute, du regard et de la parole, elle est aussi le lieu où se concentrent les qualités réflexives de la personne, pensée, patience, caractère. C'est à l'expression de ces fonctions que l'on peut sans doute attribuer les trous effectués dans les yeux, les oreilles et la bouche des sculptures nok ou de certaines petites têtes trouvées dans la région de Bura (Niger). Nombre de sociétés de l'Ouest africain rendent ainsi des cultes à la Tête, entendue comme principe spirituel dont dépend le bien-être d'un homme et de sa famille.

Certaines traditions akan voulaient, jusqu'à une date récente, que soient exécutées pour les défunts de haut rang de petites têtes en terre cuite, de taille parfois proche de la grandeur nature, prolongées dans certains exemplaires par un buste. Stylistiquement très diversifiées, ces céramiques offrent pourtant des traits communs : la forme des yeux reproduit en général celle du grain de café, évoquant un regard aux paupières mi-closes. Le cou présente fréquemment une conformation annelée évoquant des plis de graisse, une marque de prospérité que l'on trouve aussi dans l'art d'Ilé-Ifé. Lors des cérémonies funéraires, ces céramiques pouvaient être incorporées à un ensemble plus vaste, comportant des figurations de serviteurs et de courtisans érigées aux abords de la tombe royale.

Représenter l'histoire

L'iconographie africaine comprend peu d'exemples d'images, qu'elles soient en plan ou en volume, où sont représentés un ou plusieurs personnages engagés dans l'accomplissement d'une action. Font exception les scènes rencontrées dans les plaques de cuivre qui ornaient les colonnes de bois du palais royal à Bénin ou dans les scènes ornant les murs et les tentures du royaume du Danhomè (l'actuel Bénin).

L'art de Bénin couvre cinq siècles environ. Il comprend quelques milliers de pièces, soit le plus important corpus d'objets appartenant à une même culture que nous ait laissé l'Afrique. Les plaques, d'une cinquantaine de centimètres de côté en moyenne, ont été produites essentiellement aux xve et xvie siècles. Leur style, réaliste et narratif, incite à penser qu'elles sont en partie le fruit de l'influence qu'exercèrent les images apportées par les Européens avec lesquels le royaume entretenait d'étroits liens commerciaux.

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Ces images célèbrent les rites de renouvellement du royaume (fêtes des prémices), les guerres, les victoires et la nature divine du roi. Les hommes sont abondamment figurés – qu'il s'agisse du souverain, des dignitaires, des chefs vaincus ou des Portugais. Certains animaux étroitement liés à l'expression de la royauté reviennent fréquemment, comme la panthère, vénérée pour sa férocité, ou le silure, un poisson capable d'attendre le retour des pluies en se lovant dans une gangue de boue. Symbole de continuité, évoquant la renaissance cyclique et nécessaire des saisons et des hommes, le silure est très présent dans toute l'iconographie ouest-africaine.

Le passé historique et la puissance du roi suivent encore d'autres voies pour se manifester au plus grand nombre. Le décor des objets utilisés par les gens de cour, strictement contrôlé par le souverain, exalte et remémore sans relâche la royauté. Au Bénin, à Abomey et dans l'ensemble des États akan, la prolifération des pectoraux, pendentifs, bagues, parures, bracelets, armes, ornements de ceinture, sièges exprime l'unité du royaume, l'ubiquité du pouvoir royal et sa domination sur le monde. Les royaumes guerriers de l'Ouest africain ont accordé une place essentielle à leurs messagers, qui portaient la lourde responsabilité diplomatique de la réussite de la politique royale et du maintien de la paix. Chez les Ashanti, ces dignitaires étaient munis d'un insigne immédiatement identifiable, un bâton à l'extrémité sculptée de scènes figuratives matérialisant la parole du souverain et illustrant des proverbes. Ces insignes, recouverts de feuilles d'or, sont montrés aujourd'hui encore dans les cérémonies royales.

Les arts populaires

Les sociétés d'Afrique de l'Ouest sont composées pour la majorité d'entre elles d'agriculteurs. Là où ne se sont pas encore implantées les religions musulmanes ou chrétiennes, ceux-ci continuent à pratiquer des cultes traditionnels dont la conception et le calendrier sont étroitement liés à l'activité agricole. Dans la région des savanes, la principale céréale cultivée est le mil. Deux grandes saisons y alternent : la saison des pluies, commençant avec les semailles et consacrée aux travaux de la terre, et la longue saison sèche, période de relative oisiveté. En zone forestière, le mil fait place aux tubercules comme l'igname et l'année n'est plus ponctuée par une morte-saison. Ces agriculteurs ont produit et fabriquent toujours une statuaire en bois ou en alliage cuivreux, ainsi que de nombreux autres objets destinés tant à la vie quotidienne que rituelle et perpétuant des modèles anciens. Aux côtés des agriculteurs vivent également des sociétés de pasteurs, comme les Peuls, nomades et semi-nomades, convertis à l'islam pour beaucoup d'entre eux. Pour des raisons religieuses entre autres, ils n'ont pas recours à la figuration. Mais ils ont développé, les femmes en particulier, un art de la parure très élaboré.

Les textiles

L'ancienneté de l'usage et de la production de textiles en Afrique de l'Ouest ne peut être datée avec précision : une sculpture nok (150 av. J.-C.-200 apr. J.-C.) figure un homme assis, richement coiffé et paré, qui semble porter, descendant dans le dos à la manière d'une cape, ce qu'on pense être une bande de tissu orné de motifs géométriques. La fabrication de textiles est attestée par l'archéologie au ixe siècle à Igbo-Ukwu (Nigeria) où des fragments d'étoffes de liber ont été retrouvés. Les nécropoles (xie et xiie siècle) de la falaise de Bandiagara (Mali) ont également livré des restes de tissus de coton, écru ou teint à l'indigo, certains à rayures ou à carreaux.

Le coton, la laine, la soie sauvage, le rafia, le liber, l'abaca sont autant de fibres produites et travaillées traditionnellement en Afrique de l'Ouest. Aujourd'hui de nombreuses fibres sont importées de l'étranger, comme la soie, la rayonne, la viscose ou le Lurex. Elles offrent une palette plus chatoyante.

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À l'époque médiévale, l'Afrique occidentale importait de grandes quantités de tissus. Les cours des souverains soudanais adoptèrent dans le sillage de l'islam le port d'un vêtement cousu dont le modèle était originaire du Moyen-Orient : cotonnades à grand métrage, larges pantalons bouffants, grande tunique, turbans et bonnets, ornés de broderies colorées. Ces bouleversements vestimentaires permirent que se développent localement les arts du tissage, de la teinture et de la broderie. L'Afrique sahélienne et soudanaise contemporaine a hérité de ces usages où l'ampleur du vêtement, le mariage des coloris, la qualité du tissu expriment toujours la fortune sociale et économique de son porteur. En zone forestière et en milieu non musulman comme chez les Akan, le tissu est drapé au lieu d'être cousu. Les Ashanti sont connus pour leurs étoffes de grande amplitude (plus de 3 m de longueur), à dominantes rouge et jaune, couleur de l'or et de la royauté, dont ils se drapent encore dans les occasions festives.

Les motifs brodés, teints ou tissés ont toujours eu une vocation signalétique, ce que vient confirmer aujourd'hui la pratique consistant à donner un nom aux tissus de pagne en fonction de leurs dessins. On leur attribue encore un rôle protecteur (contre la maladie, le mauvais œil, par exemple), des fonctions rituelles ou de marquage social. Par l'intermédiaire des textiles, des styles iconographiques ont voyagé. C'est ainsi que l'on retrouve des motifs d'origine berbère jusque dans les étoffes ashanti du sud du Ghana.

Cultes villageois

La figuration de l'être humain, mais aussi de l'animal, tient une place importante dans les arts plastiques ouest-africains. La statuaire cultuelle villageoise, déposée dans des sanctuaires ou présente sur des autels, ne représente pas des personnes réelles mais des personnages mythiques, fondateurs de village, de clan ou de culte ou des êtres censés vivre dans l'autre monde. Inférieures à la taille humaine (les plus grandes dépassent rarement 1 mètre), ces figurations prennent comme modèles des hommes et des femmes adultes, debout ou assis, le corps saisi dans une attitude où prévalent la frontalité et un hiératisme marqué. On les trouve chez les Dogon et les Bambara (Mali), chez les Mossi ou les Lobi (Burkina Faso) et plus au sud chez les Baoulé (Côte d'Ivoire), les Jukun, les Tiv, les Igbo, les Yoruba (Nigeria)... Elles offrent des images archétypiques d'individus à la maturité physique et sociale accomplie : une statue à la poitrine protubérante exprime la féminité riche de promesses de la jeune fille, une maternité, l'accomplissement de la reproduction biologique, une statue d'homme barbu, la plénitude de l'âge mûr. Les scarifications corporelles indiquent l'appartenance à telle classe sociale ou à telle classe d'âge, et par conséquent les obligations qui incombent à ses membres ; les coiffures, parures et emblèmes jouent un rôle identique immédiatement compréhensible par les intéressés.

Les sociétés de l'Ouest africain continuent, pour nombre d'entre elles, à avoir recours aux masques. Les cérémonies où ils apparaissent mobilisent toutes les énergies de la communauté villageoise et comportent une forte dimension festive.

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Aux hommes initiés revient en priorité le droit de porter les masques dont l'usage intervient dans le cadre d'institutions, telles que le poro des peuples de la Sierra Leone, du Liberia et de la Côte d'Ivoire, ou l'ekpo des peuples du sud-est et du centre du Nigeria, dont les activités, qu'elles soient connues de tous ou qu'elles se déroulent dans le cadre de sociétés secrètes, intéressent l'ensemble de la collectivité. Ces institutions ont un rôle structurel essentiel en ce qu'elles exercent un contrôle social et politique sur la communauté. Ainsi, c'est sous leur tutelle que s'effectue rituellement l'entrée dans l'âge adulte des filles et surtout des garçons, marquée par des épreuves au cours desquelles est dispensée par les aînés une formation éthique et religieuse.

Dans la région des savanes, les cérémonies à masques se déroulent lors des mois de sécheresse. Leur apparition consacre ce temps de l'année où les champs en repos retournent à la friche et où les frontières entre le monde des hommes, que circonscrit le village, et celui qui est associé à la brousse (ou, plus au sud, à la forêt) s'estompent. L'irruption des masques met en scène la venue au village des entités non humaines du monde sauvage, censées avoir une action sur la fertilité des plantes cultivées, des hommes et des bêtes.

On rencontre des masques au costume entièrement végétal et à la durée de vie éphémère au Sénégal (chez les Bedik), au Nigeria (en pays ekiti, par exemple) ; à ce costume peut être associée une tête en bois sculpté. D'autres sont entièrement exécutés en sparterie ou en tissu, comme les masques egungun ou ijele du Nigeria. Ceux des régions des savanes comprennent fréquemment une tête de bois sculpté unie à un habit de fibres. Ce modèle se retrouve jusque chez les Baoulé de Côte d'Ivoire. L'habit de tissu semble en revanche plus répandu parmi les peuples de la forêt et de la côte du golfe de Guinée, tels que les Igbo du Nigeria.

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Ces arts ne sont pas figés et intègrent de nombreux traits propres à la modernité et à l'univers urbain : couleurs vives, recours à des motifs alphabétiques, formes nouvelles empruntant aux produits industriels. En témoignent les effigies blolo des Baoulé (Côte d'Ivoire), arborant cravates, casquettes et sacs à main, les figurations aux allures de princesse hindoue de Mami Wata et les masques gelede ripolinés (Nigeria), ou encore les cercueils en forme de Mercedes (Ghana).

— Michèle COQUET

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Écrit par

  • : docteur en histoire de l'art
  • : agrégée de grammaire, docteur ès lettres, directeur de recherche honoraire au C.N.R.S.
  • : anthropologue, chercheur au C.N.R.S.
  • : professeur émérite à l'université catholique de Louvain, membre titulaire de l'Académie royale des sciences d'outre-mer de Belgique
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Tête, culture de Nok - crédits : Werner Forman Archive/ Bridgeman Images

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