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CYBERCRIMINALITÉ

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Enjeux symboliques

S'il est difficile de l'appréhender objectivement comme phénomène, la cybercriminalité fait néanmoins sens au regard des tentatives globales de régulation d'Internet de la part des autorités étatiques. Plus exactement, elle appartient au lexique dans lequel les États ont puisé afin de légitimer l'intervention des organismes de sécurité dans le contrôle et la surveillance des flux informatiques. Du point de vue des sciences sociales, la notion de cybercriminalité n'est donc pas neutre, elle procède – tout en le renforçant – de l'univers symbolique d'un cyberespace miné par la subversion (« pirates »), l'épidémie (« virus », « propagation », « contamination »), les parasites (« vers »), la fourberie et la ruse (« Cheval de Troie », « porte dérobée »), etc. L'utilisation de ce type de langage a permis de recréer un univers virtuel binaire, partagé comme dans le monde « réel » entre les bons et les mauvais, entre ceux qui respectent les règles et ceux qui les enfreignent. En jouant sur le mimétisme entre espace physique et cyberespace, ce langage a ainsi abouti à justifier l'intervention de l'État comme garant de la sécurité et à ruiner symboliquement le projet d'un Internet comme « nouvelle frontière ».

La focalisation sur la cybercriminalité a permis de redessiner les contours de la menace informatique en déplaçant l'attention, depuis des adolescents ou des individus guidés par le défi, sur un continuum sécuritaire englobant la criminalité organisée, les mafias, les organisations terroristes, mais aussi des activistes politiques. Le succès de cette notion révèle alors la réussite d'une entreprise de normalisation d'Internet, menée par l'État, via la stigmatisation de certains comportements qui n'ont parfois de criminels que le simple fait de prouver l'inefficacité et la défaillance des systèmes de sécurité informatiques existants.

La mise en avant d'un discours sur la menace a donc facilité la criminalisation des actions perpétrées sur Internet tout en masquant la réalité de phénomènes dont l'origine réside fréquemment dans des carences en termes de formation du personnel, dans des défauts de conception des logiciels, voire dans des incidents naturels ou involontaires. Relayé par des entreprises informatiques désireuses de diffuser le sentiment d'insécurité pour mieux vendre leurs logiciels de protection, comme dans le cadre de la peur du « Bogue de l'an 2000 », les États se sont installés au cœur de la surveillance des réseaux, imposant leurs vues en matière de cryptologie, restructurant leurs organismes de sécurité intérieure, négociant directement avec les fournisseurs d'accès à Internet pour l'accès aux données, voire développant des programmes secrets – et par ailleurs illégaux – pour espionner les messageries électroniques comme dans le cas du programme Carnivore lancé par le F.B.I. en 1999, et dévoilé en 2000.

Néanmoins, il convient de ne pas surestimer l'opposition entre, d'une part, la vision sécuritaire des États épaulés par les firmes de sécurité informatiques et, d'autre part, la vision libertaire des « cyberpunks », du nom de la contre-culture qui a émergé au cours des années 1980. Cette dualité ne doit pas masquer les liens profonds qui unissent ces deux mondes. Les itinéraires des hackers « repentis », les programmes informatiques conçus par les sociétés de sécurité pour tester leurs propres vulnérabilités ou pour traquer les versions gratuites de leurs logiciels (les spywares), l'espionnage économique effectué par les services secrets au profit des sociétés nationales... ces pratiques mimétiques révèlent des formes de connivences, qui ne sont ni exceptionnelles ni surprenantes. En réalité, elles[...]

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Écrit par

  • : doctorant en science politique à l'université de Paris-II, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris

Classification

Pour citer cet article

Olivier PALLUAULT. CYBERCRIMINALITÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • PSYCHOLOGIE ET JUSTICE

    • Écrit par
    • 4 431 mots
    ...sciences humaines et sociales (sociologie, économie, etc.), ainsi qu’aux sciences et techniques de l’information et de la communication. La lutte contre la cybercriminalité et celle contre la criminalité organisée, au sein de laquelle figurent le terrorisme et la traite humaine, sont ainsi des enjeux majeurs...
  • VIRUS INFORMATIQUE

    • Écrit par
    • 4 367 mots
    • 3 médias
    – perpétrer une action délictueuse (activation de la charge virale) qui va de la simple gêne (affichage d'un message) au cybercrime (par exemple, vol de numéros de cartes bancaires) ;