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SERVICES SECRETS

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« On ne doit jamais laisser se produire un désordre pour éviter une guerre ; car on ne l'évite jamais, on la retarde à son désavantage. » Cette citation tirée du Prince de Nicolas Machiavel (1469-1527), au-delà des diverses interprétations qu'elle inspire, permet en tout cas de rappeler combien les notions de raison d'État, de services secrets, de pratiques d'influences sont intimement liées. Ces caractéristiques multiples inhérentes à la guerre de l'ombre s'inscrivent dans une dimension pluriséculaire. Au-delà des clichés combinant mystère, mythe du complot et révélations sensationnelles pour décrire l'action des « barbouzes », les opérations clandestines et les activités de guerre de l'ombre répondent à des impératifs étatiques. Ces derniers nécessitent la mise sur pied de moyens de coercition plus ou moins feutrée, entre espionnage et contre-espionnage. Les actions occultes, menées de manière régulière par tous les services secrets, quelle que soit la nature du régime politique en place, relèvent systématiquement du secret d'État. Elles ne sont donc jamais reconnues par le pouvoir exécutif, sauf si elles conduisent au final à de cuisants échecs dont la concordance de preuves désigne les responsabilités initiales. Le démenti officiel est donc communément appliqué et peut même parfois conduire au sacrifice des agents dont le silence et l'abnégation sont poussés jusqu'à leurs limites ultimes.

Les services secrets recourent donc à des méthodes et des pratiques dont la justification est intimement liée à la raison d'État et au secret-défense. Redoutables, ils sont surtout l'apanage historique des puissances occidentales qui, notamment à l'époque contemporaine, ont contribué, par le jeu des alliances transcontinentales, à forger les services spéciaux de nombreux pays tiers. Avec, comme composants systématiques, les services d'espionnage et de contre-espionnage, de recherches d'information (Renseignement), de pôles technologiques et techniques, de guerre psychologique (surtout depuis le milieu du xxe siècle), de planification et coordination, enfin, d'opérations spéciales.

Une constante dans l'histoire des sociétés

Approche théorique

Par définition, tout repose sur la notion clé de renseignement ou, selon le terme anglo-saxon, d'intelligence. Il s'agit de réunir des informations d'importance stratégique pour le pouvoir, d'apporter des éléments destinés à orienter une politique particulière, une action économique ou militaire, combinée ou non. Le renseignement témoigne ainsi des imbrications entre démarches politiques, policières, militaires et économiques. Caractérisés par leur pratique du secret, les services de renseignements sont en action permanente, chargés de prévenir toute menace réelle ou hypothétique. Ils intègrent un versant offensif de recherche d'informations et un versant défensif, pouvant recourir par exemple à la désinformation ou « intoxication » de l'ennemi. Ces multiples activités n'ont cessé de se complexifier avec le temps, depuis l'Antiquité jusqu'à l'époque la plus récente.

L'activité de renseignement recouvre tout un éventail de moyens spécifiques. Il y a tout d'abord le secteur du recueil des informations de toute nature, tactiques ou stratégiques, soit par recensement, compilation et recoupement des sources ouvertes (observation des déplacements, presse générale, revues spécialisées, livres, radios, Internet, etc.), soit, pour les sources fermées, par infiltration d'agents, espionnage (écoute des communications, notamment par satellite), interrogatoire, communication de données par des transfuges (ou personnes « retournées »).

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Les actions offensives peuvent aussi être déclinées : soutien apporté à des mouvements de guérilla ou de contre-guérilla dans des pays étrangers ; missions d'assassinats ciblés, d'enlèvements, de subversion, de déstabilisation, parfois sous couvert d'actions diplomatiques ou économiques officielles. Quels que soient les services secrets pris en exemple, les membres d'un service Action sont l'objet d'une sélection draconienne, où seuls un ou deux candidats sur dix sont retenus, au terme d'une série très éprouvante de tests physiques, psychologiques et d'exercices de simulation.

Même si le versant action est celui qui suscite le plus d'attention et de commentaires du fait des risques qui l'entourent, il faut souligner l'importance primordiale de la collecte d'informations en fonction des besoins politiques exprimés. De la qualité des informations obtenues dépendra les décisions politiques prises en dernier lieu, au terme d'une procédure par étapes successives qui marque l'action de renseignement en tant que telle : transmission des données, leur sélection, leur analyse et leur exploitation avant remise aux autorités.

Une pratique très ancienne

Depuis des siècles, les chefs politiques font systématiquement appel à des agents chargés de collecter des renseignements, tant sur l'opinion de leurs sujets pour mesurer le sentiment d'hostilité susceptible d'amoindrir leur autorité que sur les puissances adverses La pratique des services de renseignements s'étend à tous les continents, à tous les régimes qu'ils soient considérés comme autoritaires ou démocratiques, monarchiques ou républicains.

De l'Égypte pharaonique à la Rome des Césars en passant par la Chine des Han, le recours aux espions et aux agents de renseignements est indissociable de la stratégie militaire et de la diplomatie ouverte. Les pacifiques commerçants sont aussi des espions chez les Vikings et plus tard, chez les Normands, où l'action clandestine, source de renseignement, est intégrée au processus d'échanges économiques et diplomatiques ; une imbrication qui, sans jamais être reconnue explicitement, est toujours bien réelle dans les réseaux diplomatiques contemporains.

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Au Moyen Âge, le processus se complexifie peu à peu, au fur et à mesure que les États émergent. De la guerre de Cent Ans (1337-1453) à l'époque moderne, les recours aux espions, aux agents de renseignements est de plus en fréquent chez les princes, les monarques et les chefs de guerre. Machiavel, au cœur de l'Italie des cités-États, à Florence, légitima le recours aux agents de l'ombre, en mesure de recueillir des informations de premier ordre mais aussi de propager des rumeurs ou de fausses informations, véritable démarche dite désintoxication, aujourd'hui largement répandue.

Sous l'Ancien Régime, les monarchies d'Europe mettent sur pied des services structurés de renseignements au profit de leur politique étrangère. En France, comme Richelieu (1585-1642) puis Mazarin (1602-1661), face à la Fronde des grands du royaume, Louis XIV (1638-1715) peut compter sur un réseau redoutable d'espions.

À la fin du xviiie siècle, tous les pays développent leur propre service d'espionnage, en déployant à travers l'Europe leurs agents, faisant même de la Suisse et de la ville d'Hambourg de véritables plates-formes de l'espionnage à dimension internationale. Clausewitz (1780-1834) met en avant les notions de renseignement militaire et de renseignement global, au profit du pouvoir politique soucieux de préparer la guerre. En France, les budgets alloués à ce que l'on appelait alors les « missions extraordinaires » n'ont cessé de s'accroître, plus particulièrement à partir de la Révolution de 1789, sous la Ire République (1792-1799) et sous le premier Empire. Les espions sont le plus souvent français, mais on y compte aussi beaucoup d'étrangers, dont une majorité d'Irlandais. À la même époque, la Couronne britannique utilise la communauté des émigrés pour l'obtention d'informations plus ou moins capitales, grâce à leurs échanges épistolaires avec la France, ce que l'on appelle la correspondance des Princes.

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Le xixe siècle révèle, dans une Europe en pleine effervescence patriotique et nationaliste, l'omniprésence des services secrets. Sur les traces de son rival l'Empire austro-hongrois son rival, le royaume de Prusse se dote d'un puissant service de renseignements, le Nachrichtendienst, dirigé par Wilhelm Stieber (1818-1882) à l'époque du chancelier Bismarck. Les Britanniques, pour leur part, sauront tirer les leçons de la guerre de Crimée (1853-1856), de la guerre franco-prussienne de 1870 et des deux guerres des Boers (1877-1881 et 1899-1902). Ces événements avaient en effet révélé de graves failles dans leurs capacités en matière de renseignement. Au terme d'une vigoureuse remise à niveau de leurs services secrets, le Royaume-Uni devient incontestablement l'une des puissances dominantes dans les actions secrètes et spéciales.

Quant à la France, elle demeure à la fin du xixe siècle modeste en capacités de renseignement, même si est créé, en juin 1871, un pôle de renseignement militaire rattaché au deuxième bureau de l'état-major des armées, dénommé section de statistiques et de reconnaissances militaires. Ce service, pourtant, ne survécut pas au scandale de l'affaire Dreyfus. Principal artisan du complot échafaudé contre l'officier juif, il est dissous en 1899.

Mais c'est surtout au xxe siècle que les services secrets connaissent une réelle montée en puissance. Parallèlement, les unités chargées d'actions occultes vont de plus en plus intégrer l'assassinat comme mode opératoire, à l'encontre d'opposants intérieurs, de personnalités ou leaders étrangers dont la disparition de la scène politique, à la faveur d'un coup d'État, peut faciliter les actions d'envergure et servir les intérêts géopolitiques de l'État commanditaire.

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Écrit par

  • : docteur en histoire, enseignant en histoire et géographie, en géopolitique et défense intérieure

Classification

Média

Machine Enigma - crédits : Corbis/ Getty Image

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