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CONFLITS SOCIAUX

L'analyse topique

Nous empruntons le mot « topique » à la psychanalyse pour désigner un type de conflit qui ne se réduit à aucun des types précédents. Tout système d'action sociale peut être considéré comme la mise en forme de rapports fondamentaux.

Il existe divers niveaux de formalisation, qui possèdent chacun une certaine autonomie et peuvent donc entrer en conflit avec les autres, ne serait-ce que parce que leurs transformations ne sont pas nécessairement synchroniques.

Les institutions sont des modes légitimés de traitement des rapports sociaux. Elles organisent la représentation des intérêts. Elles constituent le système politique, qui ne doit pas être confondu avec le système des rapports de pouvoir, que nous nommons aussi système d'action historique. Elles définissent des règles du jeu et non des normes de conduites. Celles-ci sont établies par ce qu'on peut nommer avec Parsons le système social, et qui est précisément le système normatif de la société, définissant les attentes légitimes de chaque acteur vis-à-vis des conduites des autres.

Il est difficile de placer ces instances – pour reprendre le vocabulaire freudien – sur l'axe infrastructure-superstructure, parce que ces termes en sont venus dans l'usage courant à opposer les bases matérielles de l'activité sociale aux représentations et aux formes d'organisation sociale. Il faut donc souligner avec Marx que l'infrastructure, nommée par lui structure, n'est pas définie par les forces de production, mais par le système des rapports de production inséparables des forces de production.

Crise et conflit

Quelle que soit la définition retenue, ce qui importe ici, c'est que chaque instance peut entrer en conflit avec les autres, parce que chacune constitue un système, donc possède une inertie propre.

Ce type de conflit est d'une tout autre nature que les conflits de classes. Dans l' histoire sociale, il faut nettement distinguer, à l'intérieur de la société capitaliste, deux types de contradictions : celles qui opposent le capital au travail et celles qui opposent une infrastructure à des superstructures possédant une forte résistance au changement, ce que Ogburn a appelé le décalage culturel (cultural lag). La même analyse peut s'appliquer à des systèmes non capitalistes de développement industriel.

En réalité, on ne devrait pas parler ici de conflits sociaux, mais de crise. Il est souvent difficile de les distinguer à l'intérieur d'un même événement, mais il est indispensable de les séparer. En 1968, en France, le soulèvement étudiant fut en partie l'expression d'une crise sociale, d'un retard et d'une inadaptation de l'Université à des conditions économiques et sociales qui s'étaient plus rapidement transformées que l'organisation universitaire. Plus le système de décision est centralisé et bureaucratique, et moins, selon l'excellente analyse de M. Crozier, dans Le Phénomène bureaucratique, il peut se transformer autrement que par bonds et par crises. Mais on peut penser aussi que la crise de mai 1968 était une crise révolutionnaire, c'est-à-dire annonciatrice de nouveaux conflits sociaux, mettant en cause le système de pouvoir.

1968 dans le monde - crédits : Pathé

1968 dans le monde

Affrontements entre les étudiants et la police, mai 1968 - crédits : Jean-Pierre Tartrat/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Affrontements entre les étudiants et la police, mai 1968

Une analyse approfondie des événements permet de montrer que la crise et le conflit, en même temps qu'ils ont conjugué leurs effets, ont entraîné des actions souvent contradictoires. La crise ne peut être résolue que par un appel à la cohérence du système culturel et social ; le conflit révèle au contraire des contradictions structurelles.

Le conflit le plus total, qu'on nomme une révolution, n'est nullement un cas extrême, exacerbé, de conflit de pouvoir. Il est la conjoncture d'un conflit et d'une crise. La classe ouvrière anglaise au xixe siècle a été massivement engagée dans des luttes[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (E.H.E.S.S.).

Classification

Pour citer cet article

Alain TOURAINE. CONFLITS SOCIAUX [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

Attraction-répulsion - crédits : Encyclopædia Universalis France

Attraction-répulsion

Zone de recouvrement - crédits : Encyclopædia Universalis France

Zone de recouvrement

Zone de conflit, zone d'échange - crédits : Encyclopædia Universalis France

Zone de conflit, zone d'échange

Autres références

  • ACTION COLLECTIVE

    • Écrit par
    • 1 466 mots
    ...Les théories du choix rationnel représentent une véritable alternative aux approches psychosociales de l'action collective. Ainsi, dans son travail sur le conflit entre un syndicat ouvrier et la direction d'une entreprise, Anthony Oberschall (Social Conflict and Social Movements, 1973) conçoit l'action...
  • AFL-CIO (American Federation of Labor-Congress of Industrial Organizations)

    • Écrit par et
    • 6 913 mots
    • 2 médias
    Dans l'histoire sociale du monde occidental, le cas américain a été notoirement brutal. Comme l'écrivent Philip Taft et Philip Ross (in H. D. Graham et T. R. Gurr dir., The History of Violence in America) : « Les États-Unis ont eu l'histoire du travail la plus sanglante et la plus...
  • ARGENTINE

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  • AUSTRALIE

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    Le maintien du rationnement jusqu'en 1948, la frilosité du gouvernement en matière de hausse des salaires,la lutte engagée par les syndicats pour la semaine de quarante heures (acquise en 1947) et l'amélioration des conditions de travail (notamment dans les mines) sont autant de sujets qui, comme...
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