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COMMUNAUTÉ

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Communauté et citoyenneté

Porter un regard sur la genèse, l'évolution et la mise en application du concept de citoyenneté dans les États modernes permet de rendre compte de la tension permanente entre universalisme et particularismes, et de la difficulté d'organiser la communauté nationale. La citoyenneté universelle « à la française » repose sur le postulat d'un dédoublement théorique de l'individu qui, en tant que citoyen, est détaché de ses attaches primaires et se trouve ainsi capable d'accéder à l'universel et d'exercer sa part de souveraineté. La nationalisation du lien social s'est également opérée par un travail politique en profondeur pour « produire » l'unité nationale aux dépens des liens d'appartenance primaires, en particulier religieux (Yves Déloye, École et citoyenneté. L'individualisme républicain de Jules Ferry à Vichy : controverses, 1994), et des structures communautaires, notamment villageoises (Eugen Weber, La Fin des terroirs, 1967).

Privilégiant la communauté contre les communautés pour fonder une « République une et indivisible », le modèle français est toutefois moins rigide qu'il n'y paraît. Les études historiographiques et sociologiques ont montré les multiples « arrangements » de l'État français vis-à-vis des particularismes : par exemple l'importance, à l'école de la République, de la glorification des « petites patries » pour encenser la « grande patrie », à la fois diverse et unique ; ou encore la prise en charge institutionnelle dans les années 1970 de la « scolarisation des enfants de migrants » au travers de structures différentialistes inédites. De l'assimilation à l'intégration, la politique française, en rappelant régulièrement sa préférence pour une logique d'égalité et non de minorités, a progressivement organisé la diversité culturelle, en permettant aux communautés de vivre leurs traditions dans la sphère privée, tant que l'espace public demeure préservé des logiques communautaires. La crainte de la dérive « ethniciste » est cependant ravivée devant les nouvelles dynamiques d'affirmation identitaire qui ont émergé depuis les années 1970, qu'elles soient locales ou culturelles. C'est, en particulier, la question du « communautarisme » qui anime le débat français, au risque d'une confusion entre la question de la place de la différence culturelle et celle du communautarisme (Michel Wieviorka, Une société fragmentée ? Le multiculturalisme en débat, 1997) qui suppose la primauté de l'organisation de la société en communautés sur l'exigence d'assimilation des individus selon des règles équivalentes pour tous.

Bien que le contexte français soit fort différent de celui des États-Unis, la question du droit à la différence et de la reconnaissance des minorités culturelles est aujourd'hui ouverte, entraînant une série de questionnements sur l'organisation de la coexistence des identités. Le débat philosophico-politique qui oppose depuis les années 1980 « communautariens » (Charles Taylor) et « libéraux » (John Rawls), importé en France, actualise le dilemme ancien de la conciliation entre l'importance des appartenances identitaires de l'individu et de leur reconnaissance, d'une part, et la nécessité de fonder un consensus social sur des principes de justice admis par tous, d'autre part.

Aujourd'hui, la question des appartenances communautaires se pose dans un cadre élargi, européen, voire supranational, qui recompose en profondeur le jeu des échelles d'appartenance bien que les fondements de ces nouvelles communautés soient à la fois spécifiques et indéfinis, ainsi que le montrent les difficultés de construction de la communauté européenne sur la base d'une identification citoyenne.[...]

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Écrit par

  • : docteur en science politique, centre de recherches politiques de la Sorbonne, université de Paris-I

Classification

Pour citer cet article

Stéphanie MOREL. COMMUNAUTÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/02/2009

Autres références

  • ĀŚRAM ou ASHRAM

    • Écrit par
    • 1 737 mots
    ...coup de gong du réveil, à 4 heures du matin, jusqu'à l'extinction des feux à 9 h 30 du soir, chacun suit un horaire à la fois très strict et très libre. La communauté se rassemble pour les prières du matin et du soir et pour les deux repas : le reste du temps, chacun se consacre à son travail, domestique,...
  • BOSNIE-HERZÉGOVINE

    • Écrit par , , , et
    • 13 495 mots
    • 7 médias
    ...qui passent de 7,6 % à 2,7 %. Ces évolutions sont le produit conjugué des effets de la guerre de 1992-1995 et des politiques qui l’ont suivie. En effet, ces dernières ont largement prolongé les objectifs d’homogénéisation communautaire mis en œuvre durant le conflit par la violence et les mouvements forcés...
  • CABET ÉTIENNE (1788-1856)

    • Écrit par
    • 605 mots

    Jeune avocat, issu d'une famille d'artisans bourguignons, Cabet adhère à la Charbonnerie et devient même membre de son comité dirigeant, la Vente suprême, sous la Restauration. Un moment procureur général en Corse, au lendemain de la révolution de Juillet, puis député de la Côte-d'Or,...

  • CANONIQUE DROIT

    • Écrit par
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    Le droit organise le statut de deux sortes de communautés, les communautés hiérarchiques et les communautés associatives. Ces dernières sont constituées par les fidèles eux-mêmes et structurées comme ils l'entendent. Ils ont un droit d'y appartenir librement. Les liens de l'autorité à ces communautés...
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