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GESUALDO CARLO, prince de Venosa (1560 env.-1613)

Le prince de Venosa appartient à l'une des plus anciennes et des plus nobles familles du royaume des Deux-Siciles, remontant au roi normand Roger II. Sa vie tourmentée — qui a inspiré à Anatole France l'une des nouvelles du Puits de Saint-Claire est celle d'un grand seigneur de la Renaissance italienne, passionné d'art et de poésie, violent, ombrageux. Marié en 1586 à la belle et ardente Maria d'Avalos, il la tue quatre ans plus tard, de sa propre main semble-t-il, ainsi que son amant Fabrizio Carafa, duc d'Andria : tous les poètes du temps, de Marino au Tasse, composèrent sur ce drame « qui fit pleurer Naples entière » (Le Tasse). Pendant deux ans, Gesualdo se terre dans son château de Venosa, et c'est durant cette réclusion que la musique cesse d'être pour lui un simple passe-temps de dilettante infiniment doué. En 1593, il reparaît à la cour de Ferrare, alors l'un des plus brillants centres artistiques de l'Italie, fréquenté par les poètes (Le Tasse), et par les musiciens de l'Europe entière qui y séjournèrent tour à tour (Obrecht, Lassus, Josquin des Prés, Dowland...). Gesualdo s'y remarie avec Éléonore d'Este et publie ses quatre premiers livres de madrigaux, à cinq voix, déjà très personnels (I et II, 1594 ; III, 1595 ; IV, 1596). C'est la période la plus pacifiée de sa vie. Mais à la mort du duc Alphonse II (1597), Ferrare cesse d'être un foyer artistique ; les artistes s'éloignent. Gesualdo retourne dans ses États du Sud, où il va mener une existence de plus en plus renfermée, peu aimé si ce n'est haï, bizarre et sombre. C'est alors qu'il compose les Ve et VIe livres de Madrigaux, à cinq voix (1611), les plus pathétiques et les plus fascinants (d'un livre de madrigaux à six voix, il ne reste q'une seule œuvre). Simultanément, sa vie intérieure se tourne vers un mysticisme violent, dramatique, et il écrit un ensemble d'œuvres religieuses aussi grandioses et aussi pathétiques que ses madrigaux profanes.

Un être « hors du commun », au sens social aussi bien que psychologique. Une personnalité étrange, inquiétante : une sorte de Cenci doublé d'un Maître de Santiago. Une œuvre tombée au milieu du tissu de l'histoire de la musique comme un météore : pas d'antécédents, pas de postérité. Un langage violent, excessif, bouleversant. Une sensibilité baroque — et c'est en cela que Gesualdo tient à son temps — au sens précis où l'on entend ce mot dans l'histoire des arts plastiques : goût du contraste, de l'irrationnel, du mouvant, de l'équivoque. Mais ces caractères, qui sont communs à l'Italie de ces années 1600, sont ici sous-tendus par ceux de l'homme, cette sensibilité authentiquement inquiète, instable, fiévreuse, pathétique. Le baroque n'est ainsi pas seulement pour lui une forme, c'est un langage. En outre, cet artiste baroque est en même temps un grand seigneur, un aristocrate qui ne doit rien à personne, et en tout cas pas au public. En cette époque de mécénat et de profonde intégration de l'art à la vie sociale, lui peut se laisser guider par un individualisme hautain, il a la liberté d'aller où il veut, et jusqu'au bout de la moindre de ses impulsions. Ainsi sa situation sociale, sa personnalité farouche, violente et mélancolique à la fois, et les tendances de l'art italien de ce temps se recoupent et se renforcent pour donner jour à cette œuvre unique en son espèce.

Les poèmes sur lesquels sont construits les madrigaux sont d'inégale valeur ; les plus beaux textes du Tasse y voisinent avec d'insipides versifications. Peu importe ; il suffit à Gesualdo qu'ils puissent lui fournir les quelques mots clés dont il a besoin : crudele, ardente, dolorosa, et surtout : morire, morte, et les paires : amarti[...]

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Écrit par

  • : directeur de l'Institut de musique et danse anciennes de l'Île-de-France, conseiller artistique du Centre de musique baroque de Versailles

Classification

Pour citer cet article

Philippe BEAUSSANT. GESUALDO CARLO, prince de Venosa (1560 env.-1613) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • Ve ET VIe LIVRES DE MAGRIGAUX (C. Gesualdo)

    • Écrit par Juliette GARRIGUES
    • 279 mots
    • 1 média

    Prince et assassin, Carlo Gesualdo publie en 1611 ses Ve et VIe Livres de madrigaux, à cinq voix, qui renferment les plus tragiques, les plus violentes et les plus fascinantes de ses compositions. Le madrigal italien, illustré notamment par Luca Marenzio et Claudio Monteverdi, atteint chez Gesualdo...

  • FIGURALISME

    • Écrit par Antoine GARRIGUES
    • 1 324 mots
    ...harmonique fut assimilé à une figure de rhétorique, parfois dans la confusion des genres créateurs. Diversement jugé par ses contemporains et par la postérité, Carlo Gesualdo (vers 1561-1613) déploya, à partir du Quatrième Livre de madrigaux (publié en 1596), des ressources de plus en plus complexes de l'écriture...
  • MADRIGAL

    • Écrit par France-Yvonne BRIL
    • 2 193 mots
    ...env.-1605, qui, avec l'Amfiparnasso, donna une sorte d'interprétation musicale de la commedia dell'arte) et surtout Luca Marenzio (1553 ou 1554-1599) et CarloGesualdo (1560 env.-1613), qui portèrent à leur perfection tous les caractères stylistiques du madrigal jusque-là ébauchés.

Voir aussi