CACHEMIRE ou KASHMIR
Enclavé au cœur de l'Asie, le Cachemire ou « Kashmir », dont l'appellation est d'origine sanskrite, a joui, à plusieurs reprises, au cours de sa longue histoire, d'un certain degré d'autonomie, voire d'indépendance. La domination sikh, établie au début du xixe siècle et sanctionnée par un traité entre les Britanniques et Ghulab Singh en 1846, a conduit à l'unification d'un ensemble relativement hétérogène de 218 000 kilomètres carrés, bien plus étendu que la vallée du Cachemire qui en constitue le centre vivant et peuplé. Inclus jusqu'en 1947 dans l'Empire britannique, avec le statut d'État princier, le Cachemire constitue aujourd'hui comme par le passé un enjeu pour les États de la région. Il est divisé entre l'Inde et le Pakistan, et la Chine contrôle tout au nord-est le district d'Aksai Chin. La question du Cachemire a d'importantes répercussions internationales, dans un contexte de nucléarisation de la région depuis 1998.
Une diversité liée aux caractères naturels
Deux régions basses rassemblent la plus grande part des quelque 8 millions d'habitants du Cachemire : l'une, marginale, sur le piémont de l'Himalaya, forme les régions de Jammu et de Poonch ; l'autre, intérieure à la chaîne, est la vallée du Cachemire elle-même. En dehors de ces domaines favorisés, l'immense région montagneuse n'est que faiblement peuplée.
L'ensemble est assez facile à diviser en un certain nombre d'unités bien différenciées, que nous décrirons du sud au nord.
La région de piémont et des Siwaliks
Une plaine de piémont assez ravinée, large de 20 à 30 km, constitue en fait un simple prolongement du Pendjab. Puis, une masse de terrains très récents, débris provenant de l'érosion de la chaîne himalayenne en formation, eux-mêmes plissés à l'extrême fin du Tertiaire et au Quaternaire, constitue la région des Siwaliks. Celle-ci présente une série de chaînons parallèles, hauts de 600 à 1 200 m seulement, séparés par de longues dépressions connues sous le nom de duns.
Le climat est nettement tropical avec des pluies relativement abondantes, surtout pendant la mousson d'été ; mais des dépressions d'ouest apportent aussi des pluies hivernales non négligeables, comme dans toute l'Inde du Nord-Ouest.
Ce climat explique la présence – sur les pentes des Siwaliks, surtout en exposition nord – d'une belle forêt de conifères. Il favorise aussi l'agriculture à deux saisons avec une culture d'été (kharif) produisant surtout du maïs et du bajra (céréale de la famille des millets), et une culture d'hiver (rabi) fondée sur l'orge et le sésame. C'est une version appauvrie de la culture du Punjab voisin : les sols sont généralement médiocres et menacés par le ravinement ; de plus, l'irrigation y est peu développée. Dans le Poonch, on a bien construit le barrage de Mandla, mais il est surtout destiné à l'irrigation des plaines en contrebas, dans le Pakistan occidental.
Au sud-est, dans la région de Jammu, la population est de religion hindouiste, à laquelle elle emprunte la structure classique des castes. Parmi ces hindous, les Dogras, émigrés du Rajahstan, constituent un groupe actif aux traditions guerrières bien affirmées. Ghulab Singh et ses descendants, souverains du Cachemire jusqu'en 1947, étaient issus de ce groupe. Au nord-ouest, les populations du Poonch sont au contraire musulmanes.
Le Pir Panjal
Le Pir Panjal est une chaîne qui prolonge vers le nord le Moyen Himalaya. Elle est déjà assez impressionnante, puisque les sommets s'élèvent à plus de 4 500 m et que les cols les plus bas sont à près de 3 500 m. Elle est formée de nappes de charriage assez peu métamorphiques. Les plus hauts sommets sont constitués par des terrains plus durs, quartzites et terrains volcaniques surtout.
Encore bien arrosée par la mousson, la chaîne est couverte au sud de forêts de chênes, jusque vers 3 500 m, et sur le versant nord de conifères.
Le peuplement n'est pas très dense, cultivateurs et pasteurs y coexistent.
La vallée du Cachemire
C'est la deuxième région vivante de l'ensemble, le Cachemire historique. L'origine de cette grande dépression de 140 km de long paraît être un mouvement de subsidence très récent à l'intérieur de l'édifice des nappes de charriage himalayennes. Elle est suivie sur l'essentiel de sa longueur par la rivière Jhelum, qui s'en échappe par une gorge puissante à travers le Pir Panjal.
Un contraste fondamental oppose des régions basses et humides, émaillées de nombreux lacs, à des terrasses sèches, très plates, connues sous le nom de karewas. Le fond de la vallée est à environ 1 500 m d'altitude ; aussi le climat est-il du type tempéré à hiver marqué. En janvier, les températures minimales moyennes sont de — 3 0C, les maximales ne dépassant guère 5 0C. Il neige assez abondamment de novembre à février. L'été est chaud, avec des températures diurnes de 31 0C en moyenne, et nocturnes de 18 0C. Les pluies d'été sont assez faibles, puisque les deux mois les plus arrosés ne comptent guère plus de 50 mm chacun (juillet et août) : quantités insuffisantes, compte tenu de la forte évaporation diurne.
Ce climat rend possible une agriculture estivale comparable à celle de l'Inde des plaines. Le riz y réussit bien, grâce à un système d'irrigation très développé. Les rivières, bien alimentées par l'eau qui ruisselle des montagnes, sont dérivées par un réseau très dense de canaux. Sur les terres sèches, le riz cède la place au maïs, tandis que sur les pentes l'altitude oblige à lui préférer les millets, puis l'orge. Cette céréaliculture est complétée par l'exploitation des arbres. Les nuits et les hivers froids excluent les espèces tropicales, si bien que le Cachemire offre de très beaux exemples de ces oasis à peupliers, si caractéristiques de l'Asie centrale. De très nombreux arbres fruitiers, pommiers, poiriers, abricotiers, donnent une production importante, exportée vers les contrées tropicales voisines. Les mûriers sont à l'origine d'un actif élevage de vers à soie. Autour des lacs et souvent sur les lacs, les paysans du Cachemire cultivent des légumes dans leurs célèbres jardins flottants.
La fraîcheur des nuits d'été, et surtout la modération des températures en mai et juin, la beauté des lacs, des lignes de saules et de peupliers, expliquent l'attrait touristique du Cachemire pour les populations des plaines desséchées, brunies et surchauffées pendant les mois qui précèdent la mousson. Aussi le tourisme est-il une des grandes ressources de la vallée.
Il contribue pour une large part à l'activité de Srīnagar, ville de plus de 900 000 habitants, actif centre d'artisanat, malgré la disparition de la très célèbre industrie des fins châles de laine. Les maisons de bois se groupent autour des lacs et des canaux, si bien que la ville évoque « quelque Venise un peu sordide plantant un décor branlant autour de canaux jaunes » (J. Dupuis).
Cette vallée en apparence heureuse connaît cependant de graves problèmes. La population paysanne, essentiellement musulmane, a été longtemps soumise aux pandits, hindous de haute caste, et surtout aux grands propriétaires semi-féodaux, les jagirdars dogras. Cependant, une réforme agraire assez radicale a bien allégé les charges pesant sur les tenanciers, dont un nombre important sont devenus propriétaires.
L'ensemble montagneux du Nord
Le grand ensemble montagneux du Nord est composé de trois parties bien distinctes :
– Le Grand Himalaya commence à l'ouest par un massif très puissant et individualisé, celui du Nangha Parbat. Une énorme masse cristalline, soulevée par des mouvements très récents, s'élève à plus de 8 000 mètres. Comme elle est entourée sur trois côtés par la gorge de l'Indus, dont le fond est seulement à 1 300 m d'altitude environ, les grandes falaises de plus de 5 000 m de dénivellation ne sont pas rares, et l'ensemble constitue un des plus énergiques reliefs de l'Himalaya. Les montagnes qui font suite au Nangha Parbat vers le sud-est sont moins impressionnantes, avec des sommets culminant à plus de 6 000 m et des cols voisins de 3 500 m. Cette chaîne est sculptée dans des nappes sédimentaires, les grandes masses cristallines qui reparaîtront au Népal étant ici absentes.
– La zone de l'Indus est caractérisée par la très curieuse vallée longitudinale de ce fleuve, qui suit une suture fondamentale, limite nord de l'Himalaya. Elle est bordée au nord par la chaîne du Ladakh. Cette région est caractérisée par la sécheresse des vallées. À 3 500 m d'altitude, Leh ne reçoit que 80 mm de pluie par an, et d'immenses versants ne sont couverts que d'une steppe à armoise, où seule l'irrigation permet aux peupliers et aux arbres fruitiers d'apporter une note plus riante.
– Le Karakorum est une énorme montagne de plus de 350 km de long. Le soulèvement très récent d'une zone axiale cristalline explique le prodigieux ensemble de pics de plus de 8 000 m, plus impressionnant que celui du Népal. D'énormes glaciers couvrent de 30 à 40 p. 100 de la superficie du Karakorum (contre 2,2 p. 100 dans les Alpes). À l'extrême nord-est, les hauts plateaux d' Aksai Chin évoquent le Tibet. La population de cet ensemble montagneux est très faible. Ses habitants tirent leur subsistance de champs irrigués, portant de l'orge et des arbres fruitiers (pommiers et abricotiers), et d'un élevage pastoral de montagne (yacks, chèvres et moutons). Les grands monastères y possédaient jusqu'à une date relativement récente une grande partie des terres.
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Écrit par
- François DURAND-DASTÈS : professeur à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot
- Alain LAMBALLE : lieutenant-colonel d'infanterie, docteur de troisième cycle en sociologie politique
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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