BRÉSIL La conquête de l'indépendance nationale

L'indépendance politique acquise par le Brésil, au début du xixe siècle, influe sur sa vie économique. Le roi du Portugal, fuyant Napoléon, se réfugie à Rio en 1808 et ouvre aussitôt les ports brésiliens au commerce extérieur. Le pacte colonial est aboli : désormais, les navires et les produits étrangers entrent librement au Brésil, en échange d'un droit égal à 24 p. 100 de la valeur des marchandises. Le Blocus continental fait que la grande bénéficiaire de cette mesure est l'Angleterre, qui obtient d'ailleurs en 1810 une réduction des droits de douane de 15 p. 100 pour ses marchandises, entre autres avantages. Ce traité de 1810 est un contrat léonin dont le Brésil essaie en vain de limiter les effets par quelques mesures en faveur du commerce portugais et français. Ses conséquences apparaissent vite : déséquilibre de la balance commerciale, ruine de la marine marchande, impossibilité de créer une industrie.

Brésil : drapeau - crédits : Encyclopædia Universalis France

Brésil : drapeau

1800 à 1850. Indépendances américaines - crédits : Encyclopædia Universalis France

1800 à 1850. Indépendances américaines

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L'indépendance ne fut proclamée qu'en 1822. Elle achevait de faire du Brésil une colonie économique de l'Angleterre. Cette situation ne cessera qu'avec la Première et surtout la Seconde Guerre mondiale, au cours desquelles les États-Unis reprendront le rôle jusqu'alors tenu par l'Angleterre. À la période de domination britannique correspondent les deux cycles du café, à celle des États-Unis le cycle de l'industrialisation.

L'économie : d'une domination à l'autre

Le café

Premier cycle

Récolte du café - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Récolte du café

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Selon la tradition, c'est en 1727 que le premier plant de café fut introduit de Guyane au Brésil. Pendant cinquante ans, le café est presque exclusivement cultivé dans la capitainerie du Pará, mais, en 1761, il s'implante dans celle de Rio. Sa culture se développe d'abord autour de la baie, puis gagne la vallée du Paraíba au nord de la ville, entre la serra do Mar et la serra da Mantiqueira. C'est dans cette vallée, où passent les routes de Rio à Ouro Preto et à São Paulo, que va se développer, au xixe siècle, la première économie caféière du Brésil, encore liée à l'esclavage. L'historien américain Stanley Stein a étudié ce premier cycle du café dans le municipe, assez représentatif, de Vassouras. Très tôt on y trouve deux types d'agriculteurs : de grands fazendeiros, possesseurs de nombreux esclaves, et qui se consacrent à la culture du café, et de petits sitiantesqui pratiquent surtout la culture vivrière.

À l'origine, les fazendas ne disposaient que d'installations assez primitives et le lancement des exploitations exigeait moins de capitaux que la création d'un moulin à sucre. Le café a donc été, comme l'or, une activité plus « démocratique » que la canne. Cependant, une politique de mariages entre fazendeiros conduisit à une concentration de la propriété et de l'exploitation. Entre familles alliées, on n'hésite pas à se prêter de l'argent à titre gratuit, sans compter les prêts hypothécaires ou ceux que font, de Rio, les maisons de commissions, intermédiaires entre les planteurs et les exportateurs. Il s'agit alors de prêts de campagne à 12 ou 18 % garantis par les récoltes. Enfin les banques, après 1850, aident les planteurs, car les capitaux, jusqu'alors utilisés pour le trafic des esclaves, deviennent disponibles après l'abolition de la traite. Ce développement du crédit est particulièrement intéressant pour les grandes fazendas qui s'étaient endettées avant 1850 pour accumuler de grandes réserves d'esclaves, mais néfaste aux petites fazendas qui n'ont pu faire ces réserves.

La culture du café se fait sur brûlis ; l'arbre peut atteindre six mètres de haut et un esclave cueille en moyenne 75 livres de fruits par jour. Le fruit est mis à sécher sur la plate-forme (terreiro) qui s'étend devant la casa grande du fazendeiro. Puis il est écrasé par un engenho de pilões(machine à piler) pour donner la graine qui est triée selon sa taille. Certains fazendeiros, dès 1852, possèdent une machine à vapeur, mais la plupart, jusqu'en 1870, n'utilisent que la force hydraulique.

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La production et la surface cultivée n'ont cessé de s'étendre jusqu'en 1860. Après cette date apparaissent déjà des signes de fatigue. Le nombre des esclaves diminue et leur âge moyen augmente. Les sols s'épuisent. Les sitiantesspécialisés dans les cultures vivrières ne peuvent plus avoir d'esclaves. Ils deviennent agregados– presque tenanciers – des fazendeiros. La production des subsistances diminue. Leur prix augmente et le mouvement est encore accentué par les manœuvres spéculatives des gens de Rio. De plus, les procédés de culture sont restés trop traditionnels. Le caféier est atteint de maladies. Les fazendeiros s'endettent.

Pourtant, depuis 1856, on construit le chemin de fer qui, de Rio, dessert la vallée. Vassouras par exemple est atteinte en 1862. Jusque-là il fallait, après la récolte, mobiliser le tiers des esclaves pour conduire, sous la direction de l'arreador, le convoi de mulets chargés de café jusqu'à Rio. Une mule ne pouvait porter que huit arrobes (1 arrobe = 12 kg env.), et les chemins étaient souvent défoncés par les pluies ou inondés de fleuves de boue. En 1855, le transport absorbait plus du tiers du prix du café. La voie ferrée le rend beaucoup plus aisé : il suffit désormais de quelques chars à bœufs pour transporter le café jusqu'à la gare la plus proche. Et l'on voit l'agriculture se développer plutôt le long des voies ferrées.

Après 1870, les maux déjà signalés s'aggravent. S'y ajoutent l'invasion des fourmis et des sauterelles, ainsi qu'un assèchement du climat dû à la destruction des forêts. L'affranchissement progressif des esclaves amplifie la crise : tous les enfants nés après le vote de la loi Rio Branco de 1871 sont libres ; la « loi des sexagénaires » de 1885 affranchit tous les esclaves de plus de soixante ans ; la lei aureadu 13 mai 1888 proclame l'émancipation totale. Enfin le marché européen connaît une longue dépression économique : le prix du café, qui n'avait cessé de monter jusqu'en 1873, s'effondre de façon spectaculaire et se relève ensuite avec peine.

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C'est la fin du premier cycle du café. Il avait permis, à Rio et dans la vallée du Paraíba, le développement d'une société de planteurs et de commerçants assez cultivés, au courant des modes de Paris et de Londres, reflet au-delà des mers de la civilisation européenne contemporaine du second Empire.

Second cycle

En même temps, les pays industriels augmentent beaucoup leur consommation de café. De 10 millions de kilos en 1832, celle de la France passe à 70 millions en 1870. Parallèlement, aux États-Unis, la consommation par habitant double entre 1844 et 1902. À la suite de la crise de 1873 est fondé à Francfort le premier syndicat international pour contrôler le commerce du café, et, en 1880, se crée à New York un véritable trust de l'importation et de la vente du café.

En 1881, São Paulo produit 1 200 000 sacs de café et Rio 4 400 000. En 1892, la production des deux régions s'équilibre : 3 700 000 sacs pour chacune. Mais, dès 1906, São Paulo produit 15 400 000 sacs, le reste du Brésil 4 900 000 et les autres pays 3 700 000. La récolte de São Paulo représente alors 64 p. 100 de la production mondiale. Elle atteindra le chiffre record de 21 850 000 sacs.

Les crises de 1900 et 1929

Cependant, le café de São Paulo a subi deux grandes crises, celle de 1900 et celle de 1929. L'État de São Paulo a connu une grande fièvre de plantation à la fin du xixe siècle. Sans doute la crise cyclique de 1896 avait secoué le marché international. Mais la dévaluation du milreis (cruzeiro) avait empêché la répercussion de la crise internationale sur le marché brésilien. Or, en 1900, le gouvernement revalorise le milreis. Le café brésilien, devenu trop cher, se vend très mal à l'étranger. Le Brésil a donc ressenti la crise de 1896, mais avec retard. D'ailleurs le marasme subsistera longtemps. En 1906, il suffira d'une récolte record pour provoquer un effondrement des cours. Là-dessus éclatera la crise internationale de 1907. La reprise s'affirmera seulement en 1912, malgré les mesures rapides du gouvernement (limitation des plantations et des exportations, constitution d'un stock).

La crise de 1929, prolongement de la crise mondiale, marque pour le Brésil la fin du second cycle du café. Ce n'est pas que le café ne fasse pas, après 1929, de nouvelles conquêtes ; mais c'est l'industrie qui devient maintenant l'activité motrice. L'État de São Paulo est intervenu pour juguler la crise qui a commencé à se manifester au lendemain de la guerre. Mais, en 1931, l'Institut du café de São Paulo, qui rachetait les excédents grâce à des emprunts anglais, doit cesser ses paiements. Le gouvernement fédéral reprend l'affaire en main, contracte un nouvel emprunt à l'Angleterre et crée un Département national du café, chargé du contrôle de toutes les affaires caféières. Celui-ci perçoit un impôt pendant cinq ans sur chaque pied nouvellement planté. Il reprend la politique de stockage, mais seulement pour les cafés de bonne qualité, les autres étant régulièrement détruits : du 1er juillet 1931 à la fin de l'année 1937, 34 millions de quintaux ont ainsi été brûlés ou noyés. Pour financer stockage et destructions, des taxes élevées sont instituées sur les exportations.

Les pionniers du São Paulo

L'extraordinaire progression du café dans l'État de São Paulo s'explique par le dynamisme des pionniers héritiers des bandeirantes. Mais il faut distinguer les leaders de la masse. Les premiers appartiennent souvent à des familles installées depuis assez longtemps dans le massif cristallin ou la dépression périphérique, tel les Almeida Prado, les Itu. Depuis ce foyer initial, il vont vers l'ouest, découvrent une tache de terra roxa, la mettent en valeur, puis la revendent et vont plus loin à la recherche d'une nouvelle terra roxa. Leader aussi le coronel, commerçant enrichi qui s'est fait beaucoup d'amis auprès des petites gens qui lui doivent quelques factures. Leader le grileiro, le « grillon », falsificateur de titres de propriété, homme très utile dans une région pionnière où il est fort difficile de retrouver le premier occupant, de savoir si cet occupant a régulièrement acquis un titre de propriété. Leaders enfin les marchands de terres, capitalistes qui font des lotissements, supplantés parfois eux-mêmes par de véritables sociétés comme la Paraná Plantation, d'origine anglaise, qui possédait plus de 515 000 alqueires de terre (1 alqueire = 25 ha env.) dans le nord du Paraná avant son rachat par un groupe brésilien.

À côté des leaders, la masse. Entre 1827 et 1936, l'État de São Paulo reçoit 3 millions d'immigrants. Le mouvement est important surtout à partir de 1886, avec un creux entre 1900 et 1910 à cause de la crise, pendant la Première Guerre mondiale et après 1929. La répartition ethnique manifeste la domination des Méditerranéens (55 p. 100 dont 30 p. 100 d'Italiens, 13 p. 100 de Portugais et 12 p. 100 d'Espagnols), puis des Brésiliens (24 p. 100), enfin des Japonais (6 p. 100). Les Brésiliens viennent du nord-est : ils remontent le São Francisco dans les « vapeurs » et prennent le train à Pirapora. À São Paulo, l'Hospedaria dos emigrantes est à la fois un hôpital, un hôtel et un bureau de placement. L'immigrant devient, en général, un « colon », c'est-à-dire un ouvrier agricole. Il aura donc tendance à aller toujours de l'avant pour qu'on lui offre des salaires plus élevés. Il favorise donc la progression du café.

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Vers 1905, la frange pionnière a atteint le plateau et occupé même les grandes taches de terra roxaqui couvrent sa partie septentrionale. Le plateau est relié à São Paulo et à Santos par trois voies ferrées correspondant aux trois grandes directions de l'expansion : la Companhia Mogiana vers le nord, la Paulista vers le nord-ouest, la Sorocabana vers l'ouest.

Vers 1929, le sud comme le nord du plateau sont occupés par le café. Le chemin de fer atteint le rio Paraná. À côté de la fazenda existe souvent le sitiodu petit propriétaire exploitant. Vers 1950, toutes les terres ont été vendues dans l'État et le café a envahi l'État voisin de Paraná. Les villes se sont développées au fur et à mesure. En 1940, Marília, sur le plateau, dans une position assez avancée, compte 23 750 habitants.

Cacao et caoutchouc

Parallèlement à celle du café, la culture du cacao s'est développée autour de la petite ville d'Ilhéus au sud de Bahia. La production brésilienne (dont Ilhéus représente 95 p. 100) est passée de 316 000 quintaux en 1913 (4rang dans le monde) à 1 280 000 en 1937 (2e rang). Les romans de Jorge Amado décrivent la société cacaoyère d'Ilhéus

La collecte du caoutchouc est restée limitée à la forêt équatoriale d' Amazonie. On connaissait depuis longtemps l'existence de cette gomme, mais son importance n'a été reconnue qu'en 1840, lorsque l'Américain Goodyear a découvert le procédé de la vulcanisation et que sont apparues peu après la bicyclette puis l'automobile. La collecte se développe alors en Amazonie. Il existe deux catégories d'arbres producteurs : l' Heveabrasiliensis, dans les zones humides, qui donne la borracha, et le Castilloaelastica, sur la terre ferme, qui donne le caucho. Le prix du caoutchouc atteint son maximum sur le marché international en 1910. La forêt amazonienne fournit alors plus de la moitié de la production mondiale. Pour récolter la borracha, les seringueiros remontent les fleuves, recherchant les zones où la densité est élevée. Entre les arbres, ils taillent un chemin à la machette et s'abritent dans une hutte de feuilles et de branchages sommairement construite. Chaque matin, les arbres du lot sont incisés et, chaque soir, le latex est recueilli dans des godets placés au bas de la blessure. La vie du seringueiro a été décrite par le romancier Ferreira de Castro (1898-1974). Pour le caucho, les caucherosse déplacent dans des forêts moins denses, où ils saignent mais aussi abattent les arbres. Tous ces travailleurs sont dans la dépendance des propriétaires ou concessionnaires qui leur offrent le voyage pour venir sur les lieux de travail, mais à qui, ensuite, ils doivent acheter toutes les denrées qu'ils consomment. Ils paient en caoutchouc. Mais ces exploitants sont eux-mêmes dans la dépendance de commerçants qui les commanditent : les aviadores. Les uns comme les autres subissent la concurrence des marchands ambulants, les regatõesdont les embarcations remontent les fleuves.

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À partir de 1912, le caoutchouc brésilien subit la concurrence des plantations malaises, sauf pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque la Malaisie est occupée par les Japonais. Le constructeur automobile Ford essaie de lancer des plantations en Amazonie (Fordlandia) : c'est un échec.

Développement des cultures tempérées

Les cultures tempérées se sont développées dans le sud du Brésil (États de Paraná, Santa Catarina et Rio Grande do Sul) et en particulier autour de Porto Alegre, capitale du Rio Grande do Sul, grâce à l'immigration allemande et italienne. Celle-ci s'est installée dans la plaine du rio Jacuí et de ses affluents septentrionaux, laissant le Sud à l'élevage traditionnel. La colonisation allemande a été encouragée dès le deuxième quart du xixe siècle, mais elle s'est développée surtout dans la période 1850-1880 et au début du xxe siècle. Au cours de cette dernière période, les Italiens sont arrivés aussi. Entre 1824 et 1914, le Brésil avait reçu 48 000 immigrants allemands ; entre 1918 et 1940, il en reçoit 100 000 dont 30 000 dans le Rio Grande do Sul. Mais, parmi ces derniers, beaucoup repartent ; 18 000 seulement restent au Rio Grande de façon définitive. La population totale du Rio Grande qui, en 1822, était de 100 000 habitants atteint en 1950 le chiffre de 4 millions, dont 17 p. 100 d'Allemands.

Vers 1890, le front pionnier sort de la plaine et monte sur le plateau septentrional. Les productions essentielles restent les mêmes : canne à sucre, tabac, pomme de terre, haricot noir, maïs, manioc, vigne. Mais la culture tend à se moderniser, malgré la petite propriété et la petite exploitation. En même temps se développait un réseau commercial mettant en relation tous les agriculteurs avec Porto Alegre et son industrie ou avec le grand négoce d'importation ou d'exportation. Avant 1914, on y trouve filatures, métallurgie, verrerie, papier, textiles, industries alimentaires, en particulier celle de la bière (13 brasseries en 1900). À partir de 1914, le Rio Grande a beaucoup profité du cycle de l'industrialisation. De 1920 à 1939, la production industrielle a plus que quadruplé ; de 1939 à 1949, elle a sextuplé ; le nombre des établissements a doublé au cours de cette dernière période, et le nombre des ouvriers a augmenté de 50 p. 100. Il y a donc eu à la fois croissance et concentration technique.

Le cycle de l'industrialisation

À l'époque coloniale, l'industrie était prohibée au Brésil. Il n'existait qu'une petite production artisanale, à moins de considérer la fabrication du sucre blanc dans les raffineries comme une industrie du raffinage. L'industrie textile, qui s'était installée dans le Minas Gerais vers 1750, a été supprimée par décision gouvernementale en 1785. Comme le Portugal était déjà une colonie de l'industrie anglaise, le Brésil jusqu'en 1808 fut la colonie d'une colonie.

Après 1808, il est passé sous la domination directe de l'Angleterre. Celle-ci s'est bien gardée d'encourager les industries de biens de production, malgré les efforts de l'intendant Camara pour construire trois hauts fourneaux et des forges. Rio et le Minas ont produit un peu de fonte, mais c'était pour les besoins purement locaux. En revanche, les Anglais ont développé les moyens de transport (chemin de fer, marine à vapeur) pour favoriser l'échange de leurs produits manufacturés contre les denrées alimentaires brésiliennes. Par exemple, entre 1853 et 1885, cinquante-sept voies ferrées ont été ouvertes et un cabotage à vapeur organisé le long de la côte. Un actif ministre brésilien, Mauá, favorisait, aussi bien en Uruguay qu'au Brésil, la construction des voies ferrées, la pose de lignes télégraphiques et même le développement de l'industrie. Mais, en 1889, le Brésil n'avait encore que quarante-huit manufactures. Au nom du libéralisme économique et sous la pression des planteurs, le gouvernement se refusait à toute politique protectionniste. Cependant en 1892, sous l'influence des politiques protectionnistes des États européens, il change d'attitude et aide l'industrie textile. Et comme, pour lutter contre la dépression, il a permis aux banques d'émettre du papier monnaie, le pays connaît une période de boom dont profite l'industrie. Mais c'est seulement en 1914 que l'industrie brésilienne prend son essor définitif. Elle passera par trois phases : prospérité de 1914 à 1930, dépression de 1930 à 1940, prospérité à nouveau de 1940 à 1960.

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La poussée de 1914-1930 s'explique par les besoins de la guerre et de l'immédiat après-guerre. L'Europe – en particulier l'Angleterre – ne peut plus fournir au Brésil les produits industriels dont il a besoin, et elle ne peut plus investir au Brésil. Or celui-ci possède d'immenses ressources naturelles et a reçu à la veille de la guerre une immigration technique ou prédestinée à la technique : Allemands ou Italiens. Les exportations ayant augmenté, la balance commerciale devient très favorable et les Brésiliens peuvent acheter beaucoup à l'étranger, par exemple des machines. En 1920, ils possèdent une industrie alimentaire (40 p. 100 de la production totale), des industries textiles fondées sur des capitaux japonais et américains (coton) et vendant à des acheteurs allemands, enfin des industries « subsidiaires », filiales des grandes entreprises européennes ou américaines qui trouvent préférable de produire sur place pour éviter les droits de douane. Pour certaines branches industrielles, la filiale brésilienne se contente de conditionner le produit (industrie chimique ou pharmaceutique) ; dans d'autres secteurs, la filiale possède des ateliers de montage (General Motors, Ford) ; dans d'autres enfin (ciment), on trouve la matière première sur place, mais on importe le combustible. Finalement, ces filiales ont acquis une grande autonomie et souvent n'ont conservé avec la maison mère qu'un lien financier. En 1921, s'est installée à Sabará, dans le Minas, la première grande usine sidérurgique autonome, la Belgo-Mineira, formée de capitaux français, belges et luxembourgeois et exploitant un minerai de fer de haute teneur (de 65 à 75 p. 100). D'autres s'installent ailleurs. En 1931, la production de fer est de 71 000 t pour l'ensemble du Brésil.

Après la crise de 1930, la Seconde Guerre mondiale a donné un coup de fouet à l'industrie, et le développement de la culture du coton dans l'État de São Paulo, sur les terres abandonnées par le café, a entraîné la construction de nombreuses manufactures textiles (20 000 métiers à tisser vers 1950) ; les industries préexistantes ont connu un nouvel essor.

Une tragique instabilité monétaire

Ce développement économique pose le problème de la monnaie. Celle-ci fut toujours déficiente au Brésil, sauf à la belle époque de l'or noir du Minas. Après 1808, le désordre monétaire est à son comble et la Banque du Brésil, créée en 1808, disparaît en 1829 après avoir émis des billets en trop grande quantité. Une nouvelle Banque du Brésil est fondée en 1851 par Mauá, en même temps que des banques commerciales dans les principales villes. La politique d' inflation pratiquée par la première Banque du Brésil est reprise. Sous la République, la nécessité de donner des salaires aux anciens esclaves, d'indemniser les propriétaires et de développer les affaires du café oblige à la poursuivre : les banques sont autorisées à émettre pour le triple de leur dépôt en métal. Mais elles ne parviennent pas à le faire dans le temps fixé, et l'autorisation qui leur avait été accordée est supprimée. D'où la loi du 17 janvier 1890 : sous prétexte que cela se faisait en Angleterre et aux États-Unis, les banques reçoivent le droit d'émettre des billets garantis par des titres de la dette publique. Le Brésil est divisé en trois zones : Nord, Centre et Sud. Dans chaque zone est créée une banque qui peut ouvrir des succursales et émettre des billets qui n'ont cours que dans la zone. Ce sont des banques à tout faire (émission, court et long terme). C'est l'encilhamento, le boom déjà évoqué. À la fin de l'année, l'ensemble des banques a ses émissions gagées, moitié sur l'or, moitié sur des titres de la dette publique. Cette facilité de l'argent engendre la spéculation boursière. Pendant l'année 1891, on assiste à la fondation de 313 sociétés, soit plus d'une par jour ouvrable. En même temps, le change s'effondre. Les importations s'accroissent démesurément et l'or s'enfuit à l'étranger. Les émissions se multiplient : on se contente d'imprimer les clauses propres à chacune d'elles sur des papiers du Trésor. Le gouvernement avait déjà pris une série de mesures : paiement en or de 20 p. 100 des droits de douane, tarif douanier protectionniste. Cela n'empêche pas la débâcle, comparable à celle que connut en France le système de Law. Le grand bénéficiaire de la crise fut le capital étranger, en particulier la London and River Plate Bank : elle aide le pays à restaurer ses finances et prend une part du bénéfice (1898).

Par la suite, la monnaie connaît un répit jusqu'en 1906, puis, de nouveau, c'est l'inflation. En 1908, la monnaie fiduciaire en circulation représente 700 millions de milreis, en 1956 elle atteindra 150 milliards. Cet accroissement de la masse monétaire s'accompagne d'une dévaluation du milreis sur le marché des changes.

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Écrit par

  • : professeur d'histoire à l'université de Nanterre et à l'Institut des hautes études de l'Amérique latine

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Médias

Brésil : drapeau - crédits : Encyclopædia Universalis France

Brésil : drapeau

1800 à 1850. Indépendances américaines - crédits : Encyclopædia Universalis France

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Récolte du café

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