BOUDDHISME (Les grandes traditions) Bouddhisme indien

Doctrines bouddhiques

Hīnayāna

Les écoles anciennes, dont la mieux connue est celle des Theravādin de tradition pāli, sont groupées sous le nom de Hīnayāna, « moyen inférieur de progression vers le salut », souvent traduit en Europe par « Petit Véhicule », nom qu'elles ne se sont pas donné, mais qui leur a été attribué péjorativement par les écoles réformées plus tardives, qui s'appelaient elles-mêmes celles du Mahāyāna, « moyen supérieur de progression » ou « Grand Véhicule ».

Les doctrines du Hīnayāna peuvent s'ordonner sous quatre chefs, les « nobles vérités » que le Buddha lui-même a énoncées dans son premier sermon. La première vérité constate l'existence de la douleur. Sur elle se fonde la représentation bouddhique des choses dans le monde : une cosmologie en ce qui concerne la nature, une physiologie et une psychologie en ce qui regarde les êtres. La théorie du jeu des choses conduit à la deuxième vérité concernant l'origine de la douleur qui est la « soif » de jouissance, d'existence ou d'inexistence. La définition des conditions de cessation de la douleur, découlant des notions sur son origine, constitue la troisième vérité : l'arrêt de la douleur. La technique, enfin, de la réalisation de ces conditions montre la quatrième vérité, le chemin de l'arrêt de la douleur, et comprend tout le processus du salut, depuis l'entrée dans le courant de la Loi bouddhique jusqu'à l'Extinction finale.

L'état des choses

La loi bouddhique ( dharma) est l'ordre des choses, leur norme et nature. Toutes choses sont dépourvues d'être en soi (anātmaka), parce qu'elles sont impermanentes en tant que confectionnées, tout composé étant sujet à décomposition. Les choses confectionnées se classent en cinq catégories ou ensembles ( skandha) : celui du sensible ( rūpa), c'est-à-dire tout ce qui est matériel, les facultés sensorielles, l'esprit en tant que pouvoir de perception central, les manifestations extérieures par la parole ou l'acte, conscientes ou inconscientes (vijñapti, avijñapti) ; celui des sensations ( vedanā) nées du contact avec chacun des organes des sens et avec l'esprit, sens général ; celui des perceptions ( saṃjñā), phénomènes cognitifs correspondant aux phénomènes affectifs que sont les sensations ; celui des constructions psychiques ( saṃskāra) complexes de toutes sortes qui constituent les éléments du psychisme conscient et inconscient, fonctions générales de prise de contact, sensation, perception, idéation ou volition, attention exclusive, mentalisation, raisonnement, réflexion, décision, énergie, intention, paresse, torpeur, présence d'esprit, intelligence, diverses dispositions vertueuses ou criminelles ; l'ensemble des pensées ( vijñāna), idéations résultant des autres phénomènes psychiques. En dehors de tout ce qui est classé dans ces catégories, il y a seulement le nirvāṇa, état définitif comme étant inconfectionné. Dans les représentations bouddhiques de l'agencement des choses dans le monde, le point de vue psychologique prime le plus souvent, une partie des mondes mêmes étant conçue comme simples habitats d'êtres distingués par les états psychologiques. Cela s'explique par le fait que le bouddhisme se préoccupe moins d'une physique que des états de rétribution des actes en lesquels sont engagés les divers êtres qui peuplent le monde.

L'univers comporte une infinité de mondes, disques enfilés sur une montagne axiale, le Meru. En chacun se distinguent trois domaines : les désirs, les apparences, et l'absence d'apparences. Ils sont ainsi définis par rapport à l'occupation d'esprit spécifique des êtres qui y résident. Le domaine du désir est le séjour des hommes, des animaux, de certains êtres déchus, de certains dieux. Il comprend la terre, des enfers et des cieux. Le domaine des apparences est occupé par des étages de cieux où les dieux qui les habitent sont affranchis des désirs, mais ont notion de formes ou sont visibles sous des formes. Ces étages sont au nombre de quatre principaux, où les états psychiques correspondent respectivement à ceux des quatre degrés de méditation. Le domaine de l'absence d'apparences, comme son nom même l'indique, exclut toute localisation et disposition matérielles. Il est simplement constitué par quatre domaines d'extension de dispositions psychiques : de l'infinitude de l'espace ; de l'infinitude de la connaissance ou de la pensée ; du néant ; celui enfin où il n'y a ni notion ni absence de notion.

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La structure de la matière constituante de toute chose est dans le canon pāli simplement ramenée aux éléments primordiaux au nombre de quatre, terre, eau, feu et vent, quelquefois de six, en ajoutant l'espace et la pensée. Quelques écoles ont admis un véritable atomisme. L'atome ultime, substantiel et insécable, ne se présente pas à l'état isolé mais en association avec d'autres en une molécule, dont l'ensemble est maintenu par l'élément vent. Les grands éléments sont simultanément présents dans les molécules formant les corps matériels, car, par exemple, l'élément feu existe dans l'eau qui peut être plus ou moins chaude. La perception a lieu quand les molécules objectives sont atteintes par des molécules semblables siégeant dans les organes sensoriels ; elles sont en perpétuelle instabilité, comme tous les composés.

Le temps est en général considéré sous l'aspect de durée des phénomènes, comme chez les astronomes. On admet de grands cycles se renouvelant éternellement et englobant des groupes de cycles plus petits. Il y a des périodes d'involution et d'évolution successives, séparées par des périodes égales de stabilité dans l'état involué ou évolué. Dans l'état d'involution, le monde se vide d'êtres, se détruit étage par étage, par le feu, l'eau, le vent, jusqu'à l'étage du quatrième degré de méditation du domaine des apparences, qui, avec a fortiori le domaine de l'absence d'apparences, n'est pas sujet à une destruction de cette sorte. Dans la période d'évolution a lieu un retour inverse du monde et de ses êtres à l'état différencié et organisé. Certaines périodes sont dites vides ou non vides, selon qu'elles sont dépourvues ou pourvues de Buddha. La période actuelle, qui a eu successivement cinq Buddha, est une période fortunée.

Les êtres vivants sont classés selon leurs destinations, c'est-à-dire selon les actes des vies antérieures dont ils éprouvent la rétribution dans les vies présentes : enfers, matrices d'animaux, mondes des trépassés, mondes des titans (asura, rivaux des dieux, mais de caractère ambivalent, tantôt bons, tantôt mauvais), mondes des dieux et monde des hommes. Les dieux sont en grande partie hérités du brahmanisme. Au-dessus de toutes les sortes de génies, des trente-trois dieux, des Yama, des Tuṣita chez lesquels le Buddha a passé son avant-dernière existence, des Nirmāṇarati qui habitent le domaine des désirs, viennent, dans le domaine des apparences et d'absence d'apparences, des dieux qu'on peut appeler « de méditation », sortes de dieux yogin, caractérisés par des états psychologiques de plus en plus dégagés des mouvements psychiques des bas-mondes. Tous ces dieux ont une durée chiffrée par périodes cosmiques immenses.

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La condition humaine masculine est nécessaire pour l'acquisition de l'Éveil, sinon pour l'obtention du nirvāṇa. Elle est diversifiée par les classes sociales, les castes et les conditions individuelles multiples. S'y distinguent les brahmanes, les samanes, religieux devenus tels par effort personnel, les rois. Du point de vue spirituel, les hommes se différencient selon leur avancement dans le chemin de l'arrêt de la douleur. Au sommet de l'échelle se trouvent les Bodhisattva prêts à obtenir l'Éveil, à devenir Buddha, puis les Buddha, « Éveillés », eux-mêmes classés en « Éveillés isolés » (pratyeka buddha) qui ne communiquent pas leur sagesse aux hommes, et Buddha dits en particulier Tathāgata, « parvenus à la vérité ».

Le jeu des choses

Le jeu des choses tel que le bouddhisme l'envisage élucide la deuxième des quatre « nobles vérités », celle qui concerne l'origine de la douleur. La vue fondamentale est ici un enchaînement des conditions de la douleur (pratītyasamutpāda) : de l'ignorance résultent les constructions psychiques (saṃskāra) d'origine phénoménale ; des constructions psychiques le psychisme ; du psychisme la personnalité (nāmarūpa, littéralement « nom et forme », c'est-à-dire l'individu avec tout ce qui en lui relève de la forme, corps et représentations, et avec son nom qui dénote son unité abstraite) ; de la personnalité le groupe des six domaines sensoriels ; de ceux-ci la prise de contact ; de la prise de contact la sensation ; de la sensation la soif (plus spécialement le désir amoureux) ; de la soif l'appropriation (représentée particulièrement par l'union des sexes) ; de l'appropriation l'existence ; de l'existence la naissance ; de la naissance la vieillesse et la mort. Il y a donc un processus automatique qui domine toute la destinée humaine, motive et détermine les réincarnations en série ou transmigration ( saṃsāra), processus conçu en fonction de théories psychophysiologiques. Il n'y a pas à proprement parler de rétribution des actes, car il n'y a pas de justice distributive extérieure punissant les péchés et récompensant la vertu. Les actes répondent à une idéation qui laisse une trace dans le groupe des phénomènes psychiques, lesquels à leur tour constituent le fonds d'un être. Les traces de ce genre forment les constructions psychiques. Celles-ci gardent de leur origine dans les actes une puissance d'activité qui ne s'épuisera que par sa réalisation. Elles s'épuisent dans une série de vies successives. Mais toutes les vies ne sont pas génératrices de constructions psychiques actives, car l'idéation qui les produit n'existe pas dans toutes les sortes d'existence, notamment pas dans les existences animales.

Des thèses se sont opposées sur la nature de l'être transmigrant. On a tantôt pensé qu'il était une personne (pudgala) sous-jacente à des revêtements phénoménaux divers dans les différentes existences. Ou bien on a considéré que les ensembles qui peuvent constituer la personne sont perpétuellement changeants, la personne étant alors sans un « soi » permanent et ne désignant qu'une continuité phénoménale aux éléments changeants ; un groupement particulier de phénomènes donnant l'apparence d'une personne particulière conditionne son avenir de groupement par son jeu présent, sans qu'il soit besoin d'une entité personnelle immuable incorporée dans ce groupement de phénomènes.

Les conditions d'arrêt de la douleur

De ce que les existences douloureuses découlent de l'activité, le bouddhisme ne conclut pas qu'il faille arrêter l'activité. L'abstention pure et simple résulterait d'un acte de volonté et serait par elle-même continuation d'activité. Le suicide est un acte qui détermine une renaissance. Le véritable arrêt qu'on doit obtenir, en vue de la cessation de la douleur, est celui de la formation des constructions psychiques. Tout acte donc qui s'ajoute à ces constructions est à éviter. L'épuisement de l'efficience peut être long. Les actes ne peuvent être totalement évités. Mais il est possible de bien orienter l'activité inévitable.

La formation dans l'être psychique de traces agissantes, qui d'abord orienteront favorablement l'activité et finalement l'enrayeront, s'obtient par la pratique de vertus et mieux encore par l'entraînement systématique du corps et de l'esprit qu'offre le yoga. Exercices psychophysiologiques, attitudes et exercices psychiques (vigilance, « position du psychisme » samādhi), conditions intellectuelles d'intelligence sous forme de faculté de prise de conscience des réalités sont des conditions requises pour la préparation à l'arrêt de la douleur. La vraie prise de conscience des choses est appelée « Éveil » (saṃbodhi), conditionné par sept parties constituantes : présence d'esprit, investigation des choses, énergie, joie, tranquillité, position du psychisme, imperturbabilité. La cessation de la douleur est appelée nirvāṇa, « Extinction ». C'est l'arrêt de toutes les choses régies par la Loi du jeu naturel (dharma), l'arrêt du jeu des cinq ensembles phénoménaux. Il existe un nirvāṇa accessible en ce monde, extinction du désir des passions formatrices d'attachement à l'existence, réalisée chez le saint qui achève d'épuiser les conséquences des acquisitions antérieures. Dans le nirvāṇa total ( parinirvāṇa) la liquidation de tout acquis est achevée et la mort a eu lieu par l'épuisement de la construction organique active qui entretient la vie corporelle.

Le chemin de l'arrêt de la douleur

Le chemin qui conduit à l'arrêt de la douleur est une technique de comportement et d'entraînement psychique. Il aboutit à l'Extinction par quatre voies successives correspondant à quatre stades dans la marche au but, celui du converti, du religieux qui ne renaîtra plus qu'une fois, du religieux qui ne renaîtra plus, du saint qui touche à l'Extinction. De plus, il ouvre une carrière encore supérieure, celle de l'être à Éveil (Bodhisattva), destiné à devenir Buddha.

Les techniques psychiques comprennent d'abord des dispositions de l'activité, tournures données au psychisme par une orientation habituelle vers des pensées déterminées qui s'actualisent en faveur de la progression vers les vérités bouddhiques, par exemple des exercices de fixation visuelle ou d'évocation mentale, regarder un disque de terre, un bol d'eau, un bâton incandescent, jusqu'à ce que la vision reste claire même quand on ferme les yeux, etc. Des méditations poussées jusqu'à ce que la représentation soit aussi claire qu'une vision réelle et qui engendrent dans le psychisme des séries phénoménales déterminées sont appelées bhāvanā (« créations psychiques »). Une sorte de méditation réglée techniquement est le dhyāna, entraînement progressif au vide de la conscience préfigurant l'arrêt définitif qui sera réalisé par le nirvāṇa. Elle a quatre stades. Au premier, elle procède par exclusion des désirs et choses mauvaises et comporte sentiment de joie ou allégresse et félicité, nés de l'exclusion et accompagnés des activités intellectuelles de raisonnement, ou enquête, et de réflexion décisive, ou jugement. Au deuxième stade, il y a apaisement de ces activités intellectuelles, sérénité complète en soi-même, uniformisation de l'esprit et, par suite de cette « position » de l'esprit (samādhi), allégresse et félicité. Au troisième stade, il y a suppression de la « coloration » de félicité. Alors le méditant est imperturbable, pleinement conscient, éprouvant la félicité en son corps. Il goûte donc la béatitude, sans pensée discursive et sans manifestation d'excitation joyeuse. Au quatrième stade, par destruction de la félicité comme de la douleur et par disparition de la bonne comme de la mauvaise humeur, il y a « pureté totale d'imperturbabilité et de présence d'esprit ». La pratique de ces méditations conduit aux renaissances dans les mondes où les êtres ont pour fonction d'être perpétuellement plongés en ces mêmes états psychiques.

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Au dernier des quatre stades de la marche à l'arrêt de la douleur, le saint (arhat) est en possession, dès ce monde, d'une première forme de l'Extinction. À la mort, il obtiendra l'Extinction totale. L'Éveil ( bodhi) est beaucoup plus difficile à obtenir. Les saints qui entrent dans le nirvāṇa sont innombrables, mais les Buddha exceptionnels. Avant de devenir Buddha, les êtres à Éveil (Bodhisattva) suivent une très longue carrière qui couvre un nombre immense d'existences successives en raison de la difficulté de construire par l'accumulation de bonnes dispositions un être aussi parfait que le Buddha Tathāgata. Dans ces existences, ils pratiquent dix « extrêmes de vertus » (pāramitā) ou dispositions favorables : don, pratique morale, abnégation, intelligence, énergie, patience, vérité, détermination, bienveillance, imperturbabilité. Ce sont les Bodhisattva, que le Mahāyāna exaltera particulièrement, qui culminent parmi ceux qui sont sur le chemin de l'arrêt de la douleur, les Buddha, eux, n'étant plus sur ce chemin, mais arrivés au but.

Mahāyāna

Le Mahāyāna est un mouvement qui est issu des écoles anciennes, en est une évolution, mais s'est cependant opposé à elles en les groupant sous le nom péjoratif de Hīnayāna, « moyen inférieur de progression vers le salut », et en se donnant comme le « moyen supérieur ». Il a en effet, en acceptant les principales doctrines anciennes, ouvert plus largement d'autres voies, celles du sentiment et de la spéculation. Il se présente donc plus comme un effort de dépassement et d'enrichissement que comme une réaction et une réforme. Il se caractérise avant tout par le développement des spéculations sur la nature des Buddha et des Bodhisattva, ainsi que par l'élargissement de l'ancienne méthode de destruction de la douleur en une grande religion de salut. À l'idéal du saint tendant personnellement au nirvāṇa dans la vie monastique se substitue l'idéal du Bodhisattva accomplissant le salut universel au cours d'innombrables vies mondaines. Un plus grand nombre d'êtres peut aspirer au salut et, pour y tendre, l'ardeur du sentiment et les ressources de la grâce des Buddha remplacent la discipline rigoureuse. Cette évolution a lieu parallèlement au développement des religions de bhaktiet des philosophies de la délivrance, non sans émulation réciproque. Elle aboutit à la conception de Buddha et Bodhisattva multiples aux figures proches de celles des grands dieux du brahmanisme. Elle est marquée par un développement considérable des notions d'extension des mérites des grands êtres au pécheur et de salut par la Grande Compassion de ces êtres. Du point de vue philosophique, le Mahāyāna met l'accent sur la distinction entre une vérité d'expérience appelée « vérité d'enveloppement » – vérité pratique, celle du monde phénoménal – et la vérité absolue.

Les écoles anciennes avaient déjà conçu de multiples Buddha successifs et de multiples apparences du Buddha, telles que celles créées lors du miracle de Śrāvastī. La conception de la transcendance du Buddha devait en effet conduire à faire du Buddha historique un simple aspect phénoménal de l'Être supramondain qu'il était en réalité. D'autre part, sont apparues l'idée que l'espace sur l'infinitude duquel s'exerçaient les méditations devait être rempli d'une infinité de mondes, et l'idée que les êtres ne pouvaient nulle part être abandonnés sans secours des Buddha et des Bodhisattva. Il en est résulté la multiplication des Buddha dans les mondes empiriques et la conception d'un corps absolu du Buddha en dehors des mondes. Comme le corps humain du Buddha historique avait déjà été doublé du corps merveilleux des manifestations miraculeuses, ce sont trois corps fondamentaux du Buddha qui ont été envisagés : dharmakāya, « corps de la Loi », constituant l'essence réelle des Buddha et des choses, saṃbhogakāya, « corps de jouissance », forme glorieuse pourvue des signes caractéristiques du grand être et manifestée aux Bodhisattva, nirmāṇakāya, « corps artificiel », phantasme créé sous l'apparence humaine. Le corps de jouissance est considéré tantôt du point de vue de la jouissance qu'il donne au Buddha lui-même, tantôt du point de vue de la jouissance qu'en éprouvent les Bodhisattva qui le contemplent. Les Buddha tendent donc, dans le Mahāyāna, à se multiplier dans les apparences sur deux plans à la fois, pour les Bodhisattva et pour les êtres du commun, mais aussi à se ramener dans l'absolu à une unité d'essence, impersonnelle unité de nature avec l'être ultime des choses. Ce corps absolu a cinq caractères : conversion du psychisme de fond qui, au lieu de rester tourné vers la conscience empirique, est restitué à l'état absolu de réalité, le domaine de la Loi ; pureté par suite de la plénitude des extrêmes de vertu (pāramitā) et de l'exercice de dix maîtrises ; non-dualité, caractère transcendant aux contraires de l'existence et de la non-existence, du confectionné et de l'inconfectionné, de la pluralité et de l'unicité ; permanence ; inconcevabilité. Bien que transcendant, le dharmakāya est actif dans le temporel pour préserver les êtres, en vertu de la disposition qui domine tout le caractère des Buddha, la Grande Compassion.

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Parmi les nombreux Buddha décrits, un groupe de trente-cinq, dont le premier est Śākyamuni et qui sont désignés comme devant recevoir la confession des péchés, est devenu très populaire au Tibet. Un des plus célèbres et dont la popularité a dépassé celle de tous les autres Buddha en Extrême-Orient est Amitābha, « Éclat infini », appelé aussi Amitāyus, « Longévité infinie ». De même le culte du Bhaiṣajyaguru, le « Maître aux remèdes », a pris une importance considérable au Tibet, en Chine et en Indochine.

Comme les Buddha, les Bodhisattva sont multipliés à l'infini, dans le Mahāyāna, et ils prennent encore plus d'importance en raison du rôle salvateur qui leur est attribué. Les conditions qui font d'un être quelconque un Bodhisattva sont ordonnées dans le schéma d'une carrière en dix étapes qui constitue le chemin type du salut. De plus, le salut des êtres devenant essentiel, le Bodhisattva différera le nirvāṇa pour sauver un plus grand nombre d'êtres. Le Bodhisattva doit pratiquer dix extrêmes de vertus (pāramitā), qui dans le Mahāyāna sont le don, la pratique morale, la patience, l'énergie, la méditation, l'intelligence, la virtuosité dans les moyens, le vœu, la force et la connaissance. Les plus importants des Bodhisattva sont : Maitreya, prochain Buddha de ce monde actuel, il réside dans le ciel des Tuṣita ; Avalokiteśvara, lié à Amitābha, appelé aussi Lokanātha, « Seigneur du monde », Padmapāṇi, « qui a un lotus à la main », car il est représenté comme un jeune homme ayant le lotus pour attribut, ainsi qu'un chapelet, un livre et un flacon d'ambroisie, portant une représentation d'Amitābha dans sa tiare ; Mañjuśrī, lié au Buddha Akṣobhya, aussi appelé Mañjughoṣa, « à la voix suave », Kumārabhūta, « jeune homme », Vāgīśvara, « Seigneur de la parole », représenté avec pour attributs le pañcacīra, c'est-à-dire cinq mèches de cheveux ou une tiare à cinq pointes, un livre, un lotus ou une épée, plus une représentation du Buddha Akṣobhya qui orne la tiare.

Les divinités reconnues par le Mahāyāna sont les mêmes que celles des écoles anciennes. Une importance plus grande est donnée à Indra, nommé ici Vajrapāni et souvent associé aux grands Bodhisattva, ou même considéré comme l'un d'eux. Une innovation importante est l'introduction de divinités féminines qui deviendront dans les tantra l'équivalent des śakti des dieux brāhmaniques. Certains textes mahāyāniques mêmes, comme la Prajñāpāramitā, seront personnifiés en de telles divinités. Au viie siècle, Xuanzang atteste le culte, au Magadha et à Vaiśālī, de Tārā, considérée comme Bodhisattva et associée à Avalokiteśvara.

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Les sūtra mahāyāniques, donnés comme discours du Buddha et constituant les textes de base de l'école, exposent les doctrines du Mahāyāna en des ensembles extrêmement touffus. Mais ces doctrines ont été reprises en des commentaires d'école et exposées plus systématiquement dans des traités des grands docteurs mahāyānistes. Chez ces derniers deux tendances apparaissent, celles des deux grandes écoles du Madhyamaka et de la Vijñaptimātratā, à quoi il faut ajouter une troisième tendance, moins doctrinale, se rapportant davantage à la technique religieuse pratique et qui aboutira au Mahāyāna tardif et aux tantra. Ces trois tendances sont déjà représentées par trois groupes de textes. Les doctrines de Prajñāpāramitā sont à la base surtout de l'enseignement du Madhyamaka. Des textes comme le Laṅkāvatārasūtra sont à la base de la philosophie vijñānavādin. Enfin d'autres textes comme le Saddharmapuṇḍarīkasūtra évoquent les merveilles des assemblées et des enseignements des Buddha et parfois la puissance des formules (dhāraṇī).

Les sūtra de la Prajñāpāramitā enseignent essentiellement le développement extrême de l'intelligence de la vacuité des choses, intelligence qui est le moyen suprême de rejeter tout attachement aux choses et qui couronne les efforts du Bodhisattva pour se dégager d'elles. Ils prennent à tâche d'affirmer inlassablement que les choses sont vides d'être propre, que les cinq ensembles des apparences, des sensations, des perceptions, etc., sont vacuité, les facultés de connaissance étant aussi vides d'être propre que les choses connues. On ne se contente donc plus de dénoncer, avec les écoles anciennes, l'impermanence des choses, on déclare que, du point de vue de la vérité absolue, elles ne sont rien et par conséquent ne soulèvent aucune question quelle qu'elle soit. Le principe du jeu des choses et les nobles vérités enseignées par le Buddha ne concernent que du vide, n'existent pas vraiment, non plus que la connaissance, non plus que la prise de possession des choses ou de leur arrêt. Mais, du fait qu'aucune prise de possession n'a lieu réellement, il n'y a de réel qu'un enveloppement de la pensée, et il n'est que de s'en rendre compte pour faire son salut. Celui qui, s'en rendant compte, prend point d'appui sur l'extrême d'intelligence des Bodhisattva, se débarrasse de cet enveloppement de pensée ; dès lors il a dépassé l'erreur, atteint l'Extinction décisive, il est pleinement « Éveillé ».

Le Mādhyamaka

Les Mādhyamika, qui suivent Nāgārjuna, sont ceux qui optent pour un moyen terme (Madhyamaka) dans les problèmes concernant les choses. Ils ne se rangent ni à l'affirmation, ni à la négation au sujet des choses, mais les reconnaissent pour vides d'être propre, ce qui dispense d'avoir aucune idée sur elles. Le Madhyamaka est chemin du milieu, parce qu'il se tient entre deux opinions extrêmes, que les choses sont ou ne sont pas. Il n'établit pas de système d'affirmation ou de négation, mais se livre seulement à une critique dissolvante des connaissances mondaines illusoires. Ces connaissances ont lieu par l'effet de l'ignorance. Cette ignorance est celle de la vacuité réelle. Elle occasionne la production d'une vérité d'enveloppement, les apparences phénoménales, par-dessus la vérité absolue. La vacuité n'est que l'irréalité de fondement des apparences phénoménales, non le néant universel, non pas même l'irréalité des apparences en tant que telles. La vacuité d'être propre des choses implique la vacuité de leur déroulement. La production en consécution des conditions de la douleur n'existe donc que comme fait d'apparence. La causalité n'existe pas en réalité absolue. Nāgārjuna résume sa doctrine en une série de huit « non » : non-arrêt, non-production, non-cessation, non-persistance, non-unité, non-pluralité, non-venue, non-départ. Ces huit non expriment le rejet de quatre couples d'affirmations contraires concernant les choses constitutives de la réalité d'apparence.

Le Madhyamaka est à l'origine d'un grand développement de la dialectique dans les écoles bouddhiques. Il utilise principalement deux méthodes critiques. L'une est d'ordre ontologique. L'être propre n'est pas dans les choses. Est donc vide toute thèse établie à propos de choses vides par une pensée relevant du monde vide. La thèse même du vide, pour négative qu'elle soit, tombe sous le coup de cette critique et c'est pourquoi le Madhyamaka évite la négation comme l'affirmation. Son autre méthode critique la plus abondamment maniée est la réduction à l'absurde (prasaṅga). Poussant dans ses conséquences ultimes, en fonction de l'axiome ontologique ci-dessus, la proposition d'un adversaire, il en montre l'absurdité. Par exemple : admettons avec l'adversaire que l'acte existe en soi ; il serait éternel (axiome de l'ontologie) ; mais un acte éternel n'a pas à recevoir d'accomplissement ; on ne pourrait donc imputer à un agent un acte accompli. L'importance donnée à l'emploi de la dialectique de la réduction à l'absurde a amené la distinction d'une école, dite des Prāsaṅgika, fondée par Buddhapālita et illustrée par Candrakīrti. Elle a entraîné, en réaction, l'apparition des Svātantrika, avec Bhāvaviveka, qui, recourant à une logique positive aussi, s'efforcent d'établir des inférences autonomes (svatantrānumāna), indépendantes des propositions adoptées par les autres.

Vijñānavādin-Yogācāra

Les Vijñānavādin, « ceux qui parlent de la pensée », ou Yogācāra, « qui ont le yoga pour pratique », reçoivent l'une ou l'autre de ces deux désignations selon qu'ils sont considérés dans leurs doctrines ou leurs pratiques. Selon leur doctrine caractéristique, appelée vijñaptimātratā, « notification sans plus », les choses ne sont que représentations psychiques, se réduisent à « rien que la pensée » qui les « notifie » – ce « rien que pensée » étant la seule réalité absolue. C'est un fait établi que la pensée connaît. Il y a donc un connaissable, même s'il n'est pas un objet extérieur, et, à défaut de réalité extérieure, le support du connaissable est le psychisme intérieur de fond, constitué par l'accumulation des imprégnations (vāsanā) résultant de phénomènes psychiques successifs, conformément à l'ancienne théorie des constructions psychiques. Dans ce psychisme de fond pratiquement permanent, à la manière d'un fleuve dont le contenu mouvant est en changement perpétuel, les imprégnations actives sont des semences de reproduction de phénomènes psychiques de même espèce que ceux qui les ont produites. Les manifestations successives du psychisme sont donc reliées entre elles par une sériation continue qui en assure l'identité d'aspect dans la répétition indéfinie. Leurs diverses séries sortent côte à côte de psychismes de fond qui sont pareils chez les divers êtres ; elles constituent des représentations conformes les unes aux autres, chez le même être et chez les divers êtres, d'où la connaissance normale commune. La connaissance aberrante relève d'un accident particulier. Elle est empiriquement fausse par rapport à la connaissance commune empiriquement vraie, toutes les deux n'étant que représentations et ni l'une ni l'autre n'impliquant la réalité de l'objet.

Toutes les choses sont donc purement psychiques. On leur attribue trois modes d'être propre par rapport à la réalité. Certaines sont totalement imaginées, pas même fondées sur des causes régulières, telles les conceptions de cornes du lièvre, d'une deuxième lune. D'autres, tout aussi illusoires, ont une nature dépendante, en tant que consécutives à des causes déclenchantes qui les relient en chaîne, comme les éléments de la production en consécution des conditions de la douleur. Elles sont soumises à un déterminisme régulier, le même aux yeux de tous, en raison de la similitude des psychismes de fond. Ces deux premiers modes d'être propre, celui de choses totalement imaginées au hasard et celui de choses illusoires déterminées, sont des caractères du phénoménal. À la différence des Mādhyamika, les Vijñānavādin conçoivent cette nature dépendante comme non absolument vide : les choses peuvent avoir une nature propre absolue qui est leur nature dépendante réduite à l'existence sans plus, vidée de toute qualification représentative particulière, infinie, homogène et pure, ou comme il est dit métaphoriquement « de saveur unique » comme l'espace. C'est la réalité foncière indescriptible qu'on ne peut évoquer qu'en disant qu'elle est « état d'être telle qu'elle est » ( tathatā). Cet état se confond avec la vijñaptimātratā.

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La discipline de salut pour les Vijñānavādin est, dès lors, l'effort de ramener le psychisme de fond à la pureté de la réalité telle qu'elle est, au rien que pensée, pure existence psychique sans manifestation particulière. L'instrument de la transmigration est l'acte gouverné par quatre « afflictions », vue du soi, égarement à propos du soi, estime du soi, amour du soi. Ces afflictions déjà latentes dans le psychisme de fond affectent l'esprit au moyen duquel les imprégnations profondes sont rendues conscientes. Elles doivent donc être éliminées sous leur forme actuelle, mais aussi sous leur forme latente. Il faut opérer un changement dans le psychisme de fond. Ainsi les exercices psychiques du yoga, créations psychiques (bhāvanā), positions du psychisme (samādhi), obtention d'états psychiques favorables, jouent un rôle essentiel dans la réalisation du salut, d'où le nom de Yogācāra donné aux Vijñānavādin.

École de logique bouddhique

À la dialectique élaborée chez les Mādhyamika s'est adjointe une active spéculation de logique positive, parallèle à celle des milieux brahmaniques. Avec Dignāga, cette logique bouddhique s'est constituée en science autonome. Dignāga étudie spécialement la connaissance et discute ses modes. Vijñānavādin, il soutient que l'objet de la connaissance est intérieur, aucun objet extérieur n'existant. Il n'admet que deux moyens de jugement, la constatation directe et l'inférence. La première est définie indirectement par opposition à l'imagination et comme non associée au nom et à l'espèce, car on peut constater une chose sans pouvoir la nommer et il n'est de prise immédiate que de l'individuel. L'inférence à trois termes, chose à prouver (grand terme), sujet en litige (petit terme), raison (moyen terme), se fait à partir de trois sortes d'indices : un produit, ex. : de la fumée sur une montagne, on infère que la montagne a du feu sur elle ; des caractères d'être propre signalant un type, ex. : des caractères de l'arbre on infère que la dalbergie est un arbre ; la non-perception, ex. : de la non-perception d'un pot on infère l'absence de ce pot. Dignāga classe ensuite les diverses formes de raison et en examine les cas de validité et non-validité. Une autre théorie caractéristique de Dignāga est celle de la définition ou dénomination par l'exclusion du différent. Le nom n'atteint pas la chose en soi, mais représente la somme de ses contraires exclus.

Mahāyāna tardif et tantra

Le « Mahāyāna » montrait le caractère illusoire du monde, mais il minimisait, par là même, la gravité de l'attachement au monde. Ce qu'abhorrait le fidèle du bouddhisme primitif devait apparaître de plus en plus inoffensif à ceux qui en reconnaissaient l'inanité et pouvaient même s'en servir symboliquement, pour confirmer, dès ce monde, au cours d'une action qui ne leur répugnait plus, la conscience de leur accès au domaine transcendant de la réalité suprême. Avec le « Mahāyāna » tardif, qui s'est exprimé principalement dans un ensemble de textes dénommés génériquement tantra, un regain de spéculation symbolique et la croyance fondamentale à une correspondance du microcosme à un macrocosme idéal et supérieur à tout ouvrirent la voie à la symbolique et à un ritualisme supramoral. Une première conséquence est le développement extrême de la recherche des pouvoirs merveilleux par les rites, les formules, le yoga, et éventuellement des techniques telles que l'alchimie. Les rites ont comporté des hommages propitiatoires, des prières à des divinités toujours plus nombreuses et la mise en œuvre d'un symbolisme qui donne prise sur les dieux et l'univers, par dessins, peintures, constructions, dispositions d'objets. Une autre conséquence a été dans certains milieux l'affranchissement de toute morale : l'adepte de certains tantra, le yogin parfait (siddha), cherchait à accomplir l'interdit, pour montrer son état de perfection inaccessible à la souillure, pour prouver, dans la corruption même, l'incorruptibilité.

Les tantra font une répartition plus systématique du rôle cosmique des Buddha et des Bodhisattva du Mahāyāna et leur adjoignent des énergies féminines ( śakti) qui représentent leur activité dans le monde. Au-dessus des Buddha prenant des apparences humaines est constitué un groupe de cinq Buddha appelés Jina, Tathāgata ou (à tort car le nom n'est pas employé dans les textes originaux) Dhyānibuddha, « Buddha de méditation ». Ces cinq Jina ont une localisation cosmique précise qui se marque dans des figurations symboliques ( maṇḍala) : Vairocana au zénith, Akṣobhya à l'est, Ratnasaṃbhava au sud, Amitābha à l'ouest, Amoghasiddhi au nord. Ils correspondent aux cinq ensembles constitutifs de l'univers et aux éléments ; ils ont pour attributs respectifs des couleurs, des gestes (mudrā), des formules, des montures, et reçoivent une localisation dans le corps humain. Certaines écoles placent au-dessus d'eux un sixième être appelé Mahāvairocana, Vajradhara ou Vajrasattva. Aux cinq Jina correspondent cinq Buddha humains : Krakucchanda, Kanakamuni, Kāśyapa, Śākyamuni et Maitreya ; cinq Bodhisattva : Śakrapāṇi, Vajrapāṇi, Ratnapāṇi, Padmapāṇi (Avalokiteśvara), Viśvapāṇi et cinq śakti : Vajradhātveśvarī, Dharmadhātveśvarī, Māmakī, Pāṇḍarā, Tārā. Les manifestations multiples de ces grands êtres sont des formes définies, les unes bénéfiques, les autres terribles, et qui symbolisent matériellement les aspects qui leur sont attribués. Les représentations précises de ces formes servent de thèmes aux méditations en lesquelles les adeptes s'identifient à elles pour disposer de leurs potentialités d'action dans l'univers ou d'élan vers la réalisation suprême du salut. À ces Buddha, Bodhisattva et Śakti s'ajoutent des divinités proprement dites, la plupart considérées comme gardiennes de la Loi ou du monde, tantôt bénéfiques, tantôt terribles, diverses sortes d'êtres non humains, asura, yakṣa, etc., des êtres appelés Vajrayogin, adeptes du « yoga à foudre », élevés comme tels au-dessus de l'humanité ou de la divinité, bien qu'humains ou divins.

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Les doctrines tantriques admettent fondamentalement la théorie de la vacuité d'être propre de toutes choses. Mais les choses ne sont pas dépréciées en raison de leur vacuité. Pour l'adepte, les choses prises en tant que vides, en tant que participant à l'absolue réalité de la vacuité, ne font pas obstacle à l'intelligence, mais y conduisent. Les forces d'impulsion passionnelles qui sont liées à la vie au sein des choses seront captées par l'adepte à son profit et, grâce au « yoga », seront un moyen d'atteindre l'intelligence. L'union du moyen et de l'intelligence sera par excellence celle de l'impulsion de compassion et de l'intelligence de la vacuité. Cette union sera aussi symbolisée dans les écoles extrêmes par l'union sexuelle sublimée.

Le rattachement général des interprétations symboliques des tantra à l'enseignement traditionnel du bouddhisme est resté possible en vertu d'un principe d'explication ésotérique. La parole du Buddha a un sens caché que les initiés entendent et qu'ils dégagent en établissant la valeur symbolique des termes techniques, en déchiffrant sous le langage ordinaire le langage intentionnel. Les spéculations comportent un symbolisme érotique ou d'ordre philosophique, ou jouent sur les phonèmes. Une partie des symbolismes utilisés, surtout ceux où entrent des éléments ou produits du corps, semble correspondre aux symbolismes que la psychanalyse met en lumière, chez les sujets les plus divers et indépendamment de toute doctrine spéciale chez ces sujets.

Le yoga tantrique fait entrer les symbolismes dans ses techniques à la fois corporelles et psychiques, en assimilant les éléments physiques et fonctionnels du corps et de l'esprit à des éléments du cosmos et en se donnant prise par les uns sur les autres. La structure du corps est conçue en correspondance avec le cosmos. Quatre corps du Buddha y sont étagés : le nirmāṇakāya en relation avec l'ombilic, le dharmakāya avec le cœur, le saṃbhogakāya avec la gorge, le sahajakāya, « corps inné », avec la tête. Trois vaisseaux servent à la circulation des souffles dans le corps au cours des exercices psychophysiologiques, lalanā qui représente l'intelligence, rasanā qui représente le moyen, avadhūtī qui sert de conduit au vent dont l'impulsion meut l'essence de l'union des deux autres, figurée par la semence non émise et conservée dans le corps par technique de yoga. Le yoga met en jeu, outre les pratiques matérielles de postures, gestes, respiration, les techniques psychiques de concentration, création psychique, etc. Dans ces exercices, le yogin utilise toutes les impulsions, même les plus violentes, ce qui a amené les écoles extrêmes à prêcher le rejet de tout dégoût, tout scrupule, toute honte, dans la perspective exaltée des buts à atteindre.

— Jean FILLIOZAT

— Pierre-Sylvain FILLIOZAT

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Grand Stupa, Sanci - crédits : CSP_dimol/ Fotosearch LBRF/ Age Fotostock

Grand Stupa, Sanci

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