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EPHRUSSI BORIS (1901-1979)

Boris Ephrussi et Leslie C. Dunn - crédits : American Philosophical Society/ SPL/ AKG-images

Boris Ephrussi et Leslie C. Dunn

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Né à Moscou le 9 mai 1901, Boris Ephrussi a fait ses études supérieures à la faculté des sciences de Paris où, en 1946, sera créée à son intention la première chaire de génétique. Il fut, avec Philippe L’Héritier, Georges Teissier et Georges Rizet, l’un des principaux artisans de la renaissance de la génétique en France après 1935 et de son développement dans les universités françaises. Au sein de l’Institut de biologie physico-chimique à Paris, puis dans l'un des plus importants instituts du CNRS, le Centre de génétique moléculaire à Gif-sur-Yvette, Ephrussi a formé plusieurs générations de chercheurs, et l'école qu'il a fondée lui doit son originalité et sa cohésion. Tout au long de sa carrière, il a été guidé par son intérêt pour les mécanismes du fonctionnement de la cellule au cours du développement. Il a considéré ce problème sous des angles différents lors des trois étapes principales de son œuvre. Chacune l'a conduit à des découvertes qui ont eu des répercussions décisives sur le développement de la biologie moderne.

Après ses premiers travaux à tendance embryologique qui l'amènent à penser que les grands problèmes de l'embryologie ne peuvent trouver de solution hors du contexte génétique, Boris Ephrussi s'oriente vers l'étude des mécanismes d'action des gènes. Chercheur à l'Institut de technologie de Californie (Caltech) en 1934-1935, dans le laboratoire de Morgan, il entraîne dans ses projets un jeune chercheur américain, George W. Beadle, futur prix Nobel de physiologie ou médecine (1958). Il analyse avec lui une série de mutants de la drosophile caractérisés par un défaut de pigmentation des yeux et établit les bases de la génétique biochimique. Il montre que la fabrication du pigment brun s'opère par une séquence de réactions chimiques dont chacune est dirigée par un gène différent ; que si une réaction est bloquée en raison d'un défaut du gène qui la gouverne, le métabolite situé en amont s'accumule ; enfin, qu'il est possible de rétablir la synthèse du pigment si l'on fournit au mutant le métabolite situé en aval de la réaction bloquée. Ces trois notions sont à la base de l'utilisation des mutants pour établir les voies métaboliques et, appliquées aux mutants biochimiques du champignon Neurospora, elles conduiront à la théorie connue sous l’appellation « un gène-une enzyme » déjà implicite dans les travaux faits chez la drosophile.

Ephrussi est mobilisé en 1939, puis retourne après la défaite aux États-Unis, avant de s'engager dans les services scientifiques des Forces françaises libres à Londres. En 1945 s'ouvre la deuxième étape de sa carrière ; elle durera quinze ans. L'un des premiers, il adopte comme matériel expérimental pour des études de génétique un organisme eucaryote simple et de croissance rapide : la levure. Au cours d'expériences destinées à tester l'effet éventuellement mutagène d'un produit, l’acriflavine, ayant des affinités avec l'acide désoxyribonucléique, dont le rôle comme matériel génétique vient d’être établi, il observe une induction massive de mutants dits « petite colonie », de taille réduite par rapport à la taille usuelle des colonies de levure. Il découvre que cette mutation n'est pas celle d'un gène chromosomique, mais correspond à l'inactivation d'unités cytoplasmiques qui doivent de ce fait être également douées de continuité génétique. L'étude biochimique des mutants, conduite en collaboration avec un de ses élèves, Piotr Slonimski, ayant révélé l'absence de toute une série d'enzymes respiratoires liées aux mitochondries, l'idée de l'autonomie génétique des mitochondries prenait corps et a indubitablement mené à la découverte de l'ADN mitochondrial. La découverte des mutants respiratoires de la levure a été le point de départ de toute une série de travaux sur le contrôle génétique double, nucléaire et mitochondrial, de cette fonction majeure des êtres vivants qu'est la respiration.

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Aussi importante que puisse être la découverte d'une hérédité mitochondriale, elle ne peut expliquer la différence fonctionnelle des cellules au cours du développement des organismes multicellulaires, centre des préoccupations initiales de Boris Ephrussi. Aussi, opérant en 1959 une deuxième réorientation, il décide une attaque directe de ce problème en tentant d'appliquer la méthodologie génétique à des cellules somatiques de mammifères mises en culture. Exploitant la fusion entre cellules différentes d'une même espèce, effectuée par Georges Barski et ses collaborateurs, il montre l'activité fonctionnelle des deux génomes réunis dans les cellules « hybrides somatiques ». Il réalise ensuite, en collaboration avec Mary Weiss, des croisements entre cellules d'espèces différentes telles que rat-souris, homme-souris. Ils montrent que certains hybrides interspécifiques subissent une perte préférentielle des chromosomes de l'une des espèces et que ce phénomène peut être utilisé pour localiser les gènes sur les chromosomes : plus de deux cents gènes humains ont été localisés grâce à elle. Boris Ephrussi, convaincu que la génétique des cellules somatiques peut ouvrir des perspectives nouvelles pour étudier la différenciation et le cancer, s’intéresse ensuite à l’étude de cellules de tératocarcinomes, cellules cancéreuses embryonnaires ayant conservé la capacité de se différencier en de nombreux types de tissus. Il a poursuivi ce travail jusqu'à sa mort, survenue le 3 mai 1979 à Paris.

Il est exceptionnel qu'une carrière comporte une telle succession de découvertes, plus exceptionnel encore que chacune d'elles ait de telles conséquences, ouvrant trois domaines entièrement nouveaux de la génétique. Auteur de plus de cent cinquante mémoires, Boris Ephrussi fut membre des Académies des sciences de France et des États-Unis, docteur honoris causa de plusieurs universités étrangères, lauréat de nombreux prix (médailles d'or du CNRS et de la Fondation E. C. Hansen ; prix C. L. Mayer, L. S. Rosenstiel, Horwitz, P. Ehrlich, etc.). Grâce à son originalité et à son exceptionnelle intuition, il a joué un rôle déterminant dans le développement de la biologie moderne.

— Madeleine GANS

— Piotr SLONIMSKI

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Écrit par

  • : professeure à l'université Pierre-et-Marie-Curie
  • : professeur à l'université Pierre-et-Marie-Curie, directeur du Centre de génétique moléculaire du C.N.R.S.

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Boris Ephrussi et Leslie C. Dunn - crédits : American Philosophical Society/ SPL/ AKG-images

Boris Ephrussi et Leslie C. Dunn

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  • MITOCHONDRIES

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    • 10 932 mots
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    Vers les années 1946-1948,Boris Ephrussi observait qu'une culture de levure diploïde ou haploïde donne après repiquage, dans les quelques jours qui suivent, une colonie identique aux cellules mères sauf, dans quelques cas, 1 à 2 p. 100 de cellules plus petites. Les mutants « petite colonie » ne donnent...

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