Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

RIMBAUD ARTHUR (1854-1891)

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Poésie et voyance

Les mois suivants sont voués au désœuvrement. Les courses à travers bois et campagne remplacent des études dont il voit mal la nécessité. Cet état de vacances favorise sa création qui tend à une frénésie sombre. Sous ses yeux, le milieu social se réduit à des caricatures : Les Douaniers, Les Assis. Le bon élève tend au voyou. En février 1871, il n'y tient plus et fugue de nouveau à Paris où il vit au petit bonheur une dizaine de jours. Son retour à Charleville le replonge dans sa « cité supérieurement idiote » ; mais il apprend bientôt la proclamation de la Commune. Sa poésie en ressent une accélération offensive. On ne comprendrait pas, sinon, les lettres dites « du voyant » qu'il envoie, l'une le 13 mai, à Izambard, l'autre, le 15 mai, à Demeny. Elles ne peuvent se concevoir, en effet, sans l'urgence ressentie d'un changement, d'une révolution en accord avec celle des « travailleurs » et qui, cette fois, concernerait le langage lui-même, chargé d'accéder à l'inconnu. Ainsi se trouve amplifiée la figure du voyant, déjà connue avant lui (Balzac, Gautier, Hugo, Leconte de Lisle), mais à laquelle on n'avait pas encore accordé une place aussi déterminante. Plus ingénieuse, plus originale paraît la méthode qu'il préconise pour atteindre cet état : « le long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Une modification consciente des circuits émotifs, un désenclavement des façons d'être et de sentir. Les lettres du voyant ne seront pas connues de leur temps ; elles n'auront donc aucune influence, même sur la génération symboliste ; mais leur publication tardive (1912-1928) touchera les dadaïstes, les surréalistes, les collaborateurs de la revue Le Grand Jeu. La notion d'une poésie-vie ou action à côté d'une poésie-écriture en naîtra, fertile en malentendus, mais appliquée à faire de celui qui écrit un « esprit et un corps » motivant le poème. De ces lettres, on retiendra encore la fameuse formule du « Je est un autre », et les poésies qui les illustrent : Le Cœur supplicié, Chant de guerre parisien, Mes Petites Amoureuses, Accroupissements. De tels poèmes s'expliquent surtout par la volonté négative de leur auteur, tentant sciemment, par la voie noire, de trouver l'inconnu poétique, tout en « encrapulant » la langue et le sujet traité.

Que Rimbaud ait participé à la Commune ou non (le problème reste entier), il devra bien faire son deuil de celle-ci après la Semaine sanglante. Seul compris de lui-même, inspiré et furieux, il compose alors d'étonnantes vues psychologiques : Les Poètes de sept ans, où il s'observe dans son propre rôle, à la naissance même de son écriture, et Les Premières Communions, une exceptionnelle mise en scène de la puberté féminine soumise à la tyrannique pudeur du christianisme. Une nouvelle fois, il s'adresse à Banville et signe du narquois pseudonyme d'Alcide Bava un véritable art poétique carnavalesque : Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs. Bientôt, il connaît le très curieux Auguste Bretagne, qui sera son relais pour atteindre Verlaine, qu'il admirait. Des lettres, des poèmes convainquent l'auteur déjà réputé des Fêtes galantes du génie de ce jeune homme dont il aime à distance l'âpre « lycanthropie ». Il lui dit de venir à Paris. Moment crucial dans l'existence de Rimbaud. Pour mieux assurer son élan, celui-ci compose Le Bateau ivre où il multiplie surprises et virtuosités.

Dès son arrivée à Paris, Rimbaud semble avoir obtenu l'adhésion d'un aréopage qui lui était tout acquis, à vrai dire, celui des Vilains Bonshommes, société quasi bachique des meilleurs poètes du temps que Mallarmé ne dédaignait pas d'honorer de sa présence. Mais les scandales n'en finiront pas de naître sur les pas du nouveau[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégé de lettres classiques, docteur d'État, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, professeur de littérature française à l'université de Nantes

Classification

Pour citer cet article

Jean-Luc STEINMETZ. RIMBAUD ARTHUR (1854-1891) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 20/03/2024

Média

Arthur Rimbaud, É. Carjat - crédits : Bettmann/ Getty Images

Arthur Rimbaud, É. Carjat

Autres références

  • CAHIERS DE DOUAI (A. Rimbaud) - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 836 mots
    • 1 média

    Les Cahiers de Douai d’Arthur Rimbaud (1854-1891) désignent les deux liasses manuscrites que le lycéen d’à peine seize ans, après ses deux fugues et son séjour à Douai en septembre-octobre 1870, aurait confiées à Paul Demeny, poète et copropriétaire d’une maison d’édition parisienne, La Librairie Artistique....

  • DERNIERS VERS, Arthur Rimbaud - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 926 mots

    Vraisemblablement composés, pour la plupart, entre février-mars et juillet 1872, les Derniers Vers ne constituent pas un recueil élaboré par Arthur Rimbaud (1854-1891). Dans  « Alchimie du verbe » (Une saison en enfer, 1873) le poète cite certains d'entre eux, remettant à distance « l'histoire...

  • ILLUMINATIONS, Arthur Rimbaud - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 071 mots
    • 1 média

    Les Illuminations furent publiées en octobre 1886 par les éditions de La Vogue, après publication dans la revue du même nom, de mai à juin 1886. En 1887, le critique et écrivain Félix Fénéon qui avait procuré l'édition en souligna l'importance dans Le Symboliste, disant que ce...

  • UNE SAISON EN ENFER, Arthur Rimbaud - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 058 mots
    • 1 média

    Cette plaquette de proses fut publiée en 1873 à Bruxelles, à compte d'auteur. Une rumeur a longtemps voulu qu'Arthur Rimbaud ait ensuite brûlé cette édition ; en fait comme il avait négligé de solder son compte auprès de l'éditeur, celui-ci en avait conservé par devers lui la plupart des exemplaires....

  • LITTÉRATURE - La littérature comparée

    • Écrit par
    • 11 096 mots
    • 2 médias
    ...est vrai d'une littérature jeune (comme la littérature de la Pléiade) l'est aussi d'un poète jeune. Mais il convient de n'être pas dupe des apparences. On pourrait penser qu'un commentaire de l'« Ophélie » de Rimbaud par Hamlet s'impose. Le collégien de Charleville, qui n'avait pas appris...
  • NOUVEAU GERMAIN (1851-1920)

    • Écrit par
    • 1 536 mots
    ...fréquente les cercles du Parnasse, où il fait la connaissance de Charles Cros et de Mallarmé. Au cours de l'été 1874, au café Tabourey, il rencontre Arthur Rimbaud. Rimbaud a alors vingt et un ans, lui vingt-trois. C'est un homme vif, gai, de nature féminine, méridional. Tous deux se lient aussitôt...
  • PARNASSE, mouvement littéraire

    • Écrit par
    • 2 526 mots
    ...confidence ou du murmure sur le discours. Son achèvement, parce que le Parnasse avait, le premier, proclamé la rupture de la poésie avec l'action. Quand Rimbaud adolescent veut se faire voyant (lettre du 15 mai 1871), il qualifie Leconte de « très voyant », range parmi « les talents » Dierx, Coppée, Sully...
  • PIGNON-ERNEST ERNEST (1942- )

    • Écrit par
    • 2 016 mots
    ...Paris, quatre cents sérigraphies montrent, grandeur nature, interrogeant les passants et la ville, poète présent au cœur des agitations urbaines, Arthur Rimbaud, attentif et distrait, manifestant sa capacité de s'absenter, d'être toujours un autre, d'être à la fois pleinement ici et toujours ailleurs. Son...
  • Afficher les 11 références