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RIMBAUD ARTHUR (1854-1891)

Les Illuminations

Le titre d'Illuminations, quant à lui, si éblouissant soit-il, n'apparut jamais sous la plume de Rimbaud (aucun des manuscrits actuellement connus ne le comporte). À plusieurs reprises, Verlaine, pour désigner des textes de Rimbaud, l'utilisera. D'abord dans des lettres envoyées à Charles de Sivry, où il les nomme « illuminécheunes » – ce qui laisse supposer une prononciation anglaise du mot. Dans la Préface qu'il donnera à leur première publication aux éditions de la revue La Vogue en 1886 ensuite, où il le répétera en y ajoutant un sous-titre, Coloured Plates – qu'il traduit par Gravures coloriées. Ailleurs, il indiquera un sous-titre approchant : Painted Plates.

Ces cinquante-quatre poèmes en prose étonnent par leur beauté, mais aussi leur disparate. Quelques-uns sont groupés par séries : Vies, Enfances, Veillées, Villes, et laissent entrevoir un projet plus articulé, au point que l'on a pu parler d'une « poétique du fragment » (André Guyaux). D'autres sont de purs météorites, venus d'un monde en puissance chez l'écrivain et ne se révélant qu'à cette seule occasion. En dépit d'une telle dispersion, Rimbaud projette là avec une intensité visionnaire (on peut penser à une sorte de lanterne magique mentale) les éléments d'un univers intérieur qu'il tient à transmettre au lecteur ou, tout simplement, à l'autre. Plus que des descriptions comme en faisait Aloysius Bertrand ou des situations symboliques comme Baudelaire en agençait dans son Spleen de Paris, il produit souvent une annonce, presque au sens évangélique du terme, propose un monde requalifié et fait accéder l'humanité à une dimension insoupçonnée avant lui. Vigueur et rigueur, « luxe inouï » et parfois cruauté superbe. Ainsi en est-il de À une Raison qui visiblement veut faire succéder à la nôtre, trop réduite, une conscience nouvelle. La figure du génie apparaît par deux fois comme instance décisive, dans Conte d'abord où le Prince, lassé de tout, finit par rencontrer cet autre de lui qui est la force de son désir, sa « santé essentielle » ; dans Génie ensuite, texte inscrit dans l'impossible et animé par l'optimisme de l'utopie. Fréquemment aussi des vues magiques s'organisent, frappent par leur entraînement dynamique, leur célérité. Le moderne trouve ici une expression imprévisible, il n'est pas le mime de la science, il ne se construit pas à l'aide d'une nouveauté de strass, mais il formule une clarté majeure dans cette « prose de diamant » saluée par Verlaine et nous débarrasse des pesanteurs, atteste un cosmos inconnu, ventile et revitalise, éblouit. À chaque texte, Rimbaud rejoue la poésie, sans profiter des acquis précédents, et nous avons toujours l'impression que le spectacle qu'il propose, à plat sur la page, rassemble une pluralité, comme l'aleph, point de parfaite ubiquité vu par Borges un certain jour. Il s'agit bien d'une révélation, un peu à l'image de l'Aube d'été, longtemps poursuivie par l'enfant (Rimbaud lui-même), puis enfin dépouillée de ses immenses voiles et livrant son amour. Comme l'avait déjà constaté le premier rassembleur de ces textes, Félix Fénéon, une thématique à coup sûr s'en dégage (Jean-Pierre Richard, puis Jean-Pierre Giusto l'ont fort bien analysée), mais elle n'est rien si l'on néglige la cinétique de ces formes ou de ces substances. L'écriture suscite ; elle développe des naissances, des événements, voire des avènements ; l'univers décomposé, recomposé s'ouvre à des virtualités magnifiques.

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Écrit par

  • : agrégé de lettres classiques, docteur d'État, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, professeur de littérature française à l'université de Nantes

Classification

Pour citer cet article

Jean-Luc STEINMETZ. RIMBAUD ARTHUR (1854-1891) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Arthur Rimbaud, É. Carjat - crédits : Bettmann/ Getty Images

Arthur Rimbaud, É. Carjat

Autres références

  • CAHIERS DE DOUAI (A. Rimbaud) - Fiche de lecture

    • Écrit par Yves LECLAIR
    • 836 mots
    • 1 média

    Les Cahiers de Douai d’Arthur Rimbaud (1854-1891) désignent les deux liasses manuscrites que le lycéen d’à peine seize ans, après ses deux fugues et son séjour à Douai en septembre-octobre 1870, aurait confiées à Paul Demeny, poète et copropriétaire d’une maison d’édition parisienne, La Librairie Artistique....

  • DERNIERS VERS, Arthur Rimbaud - Fiche de lecture

    • Écrit par Yves LECLAIR
    • 926 mots

    Vraisemblablement composés, pour la plupart, entre février-mars et juillet 1872, les Derniers Vers ne constituent pas un recueil élaboré par Arthur Rimbaud (1854-1891). Dans  « Alchimie du verbe » (Une saison en enfer, 1873) le poète cite certains d'entre eux, remettant à distance « l'histoire...

  • ILLUMINATIONS, Arthur Rimbaud - Fiche de lecture

    • Écrit par Hédi KADDOUR
    • 1 071 mots
    • 1 média

    Les Illuminations furent publiées en octobre 1886 par les éditions de La Vogue, après publication dans la revue du même nom, de mai à juin 1886. En 1887, le critique et écrivain Félix Fénéon qui avait procuré l'édition en souligna l'importance dans Le Symboliste, disant que ce...

  • UNE SAISON EN ENFER, Arthur Rimbaud - Fiche de lecture

    • Écrit par Hédi KADDOUR
    • 1 058 mots
    • 1 média

    Cette plaquette de proses fut publiée en 1873 à Bruxelles, à compte d'auteur. Une rumeur a longtemps voulu qu'Arthur Rimbaud ait ensuite brûlé cette édition ; en fait comme il avait négligé de solder son compte auprès de l'éditeur, celui-ci en avait conservé par devers lui la plupart des exemplaires....

  • LITTÉRATURE - La littérature comparée

    • Écrit par Pierre BRUNEL
    • 11 096 mots
    • 2 médias
    ...est vrai d'une littérature jeune (comme la littérature de la Pléiade) l'est aussi d'un poète jeune. Mais il convient de n'être pas dupe des apparences. On pourrait penser qu'un commentaire de l'« Ophélie » de Rimbaud par Hamlet s'impose. Le collégien de Charleville, qui n'avait pas appris...
  • NOUVEAU GERMAIN (1851-1920)

    • Écrit par Alain PETIT
    • 1 536 mots
    ...fréquente les cercles du Parnasse, où il fait la connaissance de Charles Cros et de Mallarmé. Au cours de l'été 1874, au café Tabourey, il rencontre Arthur Rimbaud. Rimbaud a alors vingt et un ans, lui vingt-trois. C'est un homme vif, gai, de nature féminine, méridional. Tous deux se lient aussitôt...
  • PARNASSE, mouvement littéraire

    • Écrit par Pierre FLOTTES
    • 2 526 mots
    ...confidence ou du murmure sur le discours. Son achèvement, parce que le Parnasse avait, le premier, proclamé la rupture de la poésie avec l'action. Quand Rimbaud adolescent veut se faire voyant (lettre du 15 mai 1871), il qualifie Leconte de « très voyant », range parmi « les talents » Dierx, Coppée, Sully...
  • PIGNON-ERNEST ERNEST (1942- )

    • Écrit par Gilbert LASCAULT
    • 2 016 mots
    ...Paris, quatre cents sérigraphies montrent, grandeur nature, interrogeant les passants et la ville, poète présent au cœur des agitations urbaines, Arthur Rimbaud, attentif et distrait, manifestant sa capacité de s'absenter, d'être toujours un autre, d'être à la fois pleinement ici et toujours ailleurs. Son...
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