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NARRATIF ART

C'est l'art de conter, c'est-à-dire de transmettre par le verbe, le son ou l'image un récit, une séquence temporelle. Que ce récit soit réel ou imaginaire importe peu ; chaque fois qu'il y a narration, le conteur doit exprimer la durée et la causalité avec les moyens d'expression qu'il a choisis. La texture temporelle du verbe ou du chant est facile à admettre. Elle a plutôt posé des problèmes à ceux qui se souciaient de dire l'instant, l'immédiat, l'éternité. Inversement, l'apparente immédiateté de l'image a longtemps voué la vision et ses œuvres à l'expression plus ou moins métaphorique de ce qui échappe à la durée, à l'histoire et à la mort. Par ailleurs, si la narration implique le temps, c'est-à-dire un fort ancrage dans la réalité, l'art implique l'artifice et la création d'un monde imaginaire souvent illusoire. Autrement dit, l'art narratif se situe au cœur même de l'activité humaine : là où le groupe se constitue une mémoire, une histoire, mais aussi où il se donne une science et des représentations idéologiques. Par conséquent, la question de savoir si telle ou telle civilisation possède ou non un art narratif n'est pas une simple interrogation portant sur ses techniques expressives, mais l'un des problèmes essentiels pour qui veut définir sa vie politique, sociale ou intellectuelle.

Ainsi, l'art hautement achevé et raffiné de l'ancienne Égypte apparaît comme une pictographie conceptuelle constituée sur le seul mode opératoire du présent. « Les images de la vie quotidienne [ne sont] nullement narratives, et le texte qui accompagne parfois les scènes n'a aucun caractère dramatique. Les signes, les remarques, les noms [...] qui éclairent l'action [...] ne relient pas l'un à l'autre des événements pas plus qu'ils n'en expliquent le sens. » Ce commentaire de Mérérouka par Mrs. Franckfort nous donne du même coup les règles figuratives du récit : il faut représenter l'événement dans une série causale explicative et interprétative. Par conséquent, la narration dans l'art occidental va balancer entre l'éternel présent du concept platonicien et le souci historique et pédagogique du récit chrétien. Tandis que le christianisme byzantin adopte une iconographie hiératique, antinarrative, destinée à soutenir l'idéologie d'un régime théocratique, au contraire l'art médiéval opère un curieux compromis : d'un côté, l'histoire sainte déroule ses récits didactiques qui sont de véritables programmes d'instruction politique et morale ; d'un autre côté, le vocabulaire figuratif surplombe de ses concepts rigides la diachronie des événements. La Passion, la Légende dorée, l'épopée appartiennent à la féodalité laborieuse. L'Église triomphante se fait complice du pouvoir temporel des classes qu'a enrichies le commerce. Les images abandonnent la bande narrative des tapisseries, des chapiteaux et des retables. On opte pour l'immédiateté de l'instant : c'est la naissance du tableau. Le mouvement n'y est plus qu'un jeu optique pour un spectateur mystifié. Ce retour à la conceptualisation antinarrative est le fait du néo-platonisme de grands dignitaires de la science et de l'art. Désormais, le récit iconographique se fait à travers la pompe immobile de scènes allégoriques. L'histoire se fige ; elle a deux causes immuables, l'argent et le roi. C'est pourquoi la naissance de l'industrie et l'idéologie républicaine vont porter un grand coup à ces confortables images. Les notions de travail et de production ne pouvaient manquer de stimuler la conscience historique et la représentation narrative. Il faut comprendre ainsi un certain iconoclasme révolutionnaire qui[...]

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