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ART CONTEMPORAIN

L'ambivalence des concepts

Ce fonctionnement par couple des notions de contemporain et de moderne conduit à inscrire la réflexion dans la problématique plus large du moderne et de la modernité. On rencontre alors une constellation de concepts qui possède une histoire longue et compliquée mais qui permet de mieux comprendre comment on en est arrivé à l'idée de contemporain.

Moderne et ancien

Il faut remonter aussi loin que l'Antiquité tardive (ve siècle après J.-C.) pour voir apparaître le terme de moderne. Il sert d'abord à marquer la frontière de l'actualité par rapport à l'antiquitas des pères ou des Anciens. C'est à partir du moment où on conçoit la culture romano-hellénistique comme « du passé » que l'on s'en sépare en se considérant comme « moderne ». Le moderne, ce sera donc, pendant plusieurs siècles, le temps des auteurs chrétiens par opposition à celui des auteurs gréco-romains. L'Antiquité est admirée, mais elle est aussi vue comme « dépassée ». Il se met corrélativement en place une nouvelle conscience du temps, soucieuse de périodisation mais aussi de progrès et d'enrichissement : le moderne va plus loin que l'antique.

Le couple conceptuel que forment le moderne et l'antique n'est cependant pas stable puisque à partir du xive siècle le retour à l'héritage antique apparaît effectivement comme une « renaissance » après la « barbarie » du Moyen Âge (âge moyen entre le moderne et l'antique) et que le moderne va trouver sa valeur précisément dans la réactivation du passé. Un tel « retour » introduit une conception cyclique du temps au sein même de la périodisation : il peut y avoir des retours qui ne sont pas des régressions mais, précisément, des renaissances.

Les choses se renversent à nouveau à la fin du xviie siècle avec la querelle des Anciens et des Modernes. Ceux-ci se voient crédités d'une supériorité tenant au fait qu'ils ont pu connaître les Anciens, et donc progresser par rapport à eux. La notion de progrès s'installe. Elle va commander toute la conception du « moderne », et notamment une conception de l'histoire excluant la répétition : même si les accomplissements de l'art antique sont remarquables, il n'y aurait aucun sens à les reproduire dans la mesure où chaque œuvre comporte une partie intemporelle par quoi nous avons accès à elle, et une autre tenant aux circonstances du temps et des mœurs. Si l'histoire exclut la répétition, elle exclut aussi la comparaison. Du coup, le couple ancien-moderne n'a plus vraiment de pertinence, de même que n'ont plus de sens les « parallèles » tellement appréciés jusque-là.

Moderne et modernité

Dès lors, le xixe siècle va opposer moderne et mauvais goût, moderne et « bourgeois », moderne et prosaïque ou académique, mais pas moderne et ancien. De fil en aiguille, la notion de moderne va même s'autonomiser : c'est-à-dire qu'elle se définit en elle-même et avec ses propres critères. Comme chacun sait, une définition doit pourtant se faire par genre et différence, c'est-à-dire en distinguant le moderne d'autre chose que lui. Si donc le moderne se définit à partir de lui-même, il va falloir repérer les différences au sein du moderne : c'est ainsi que l'on en arrive à un concept du moderne qui oppose des actualités vivantes et dépassées, qui s'alimente à la source inépuisable du « nouveau ». Le moderne vivant ne cesse de tomber dans le passé inactuel. Le moderne s'oppose donc à lui-même dans le constant défi du nouveau, et la modernité se voit condamnée à une évolution saccadée faite de surenchères avant-gardistes, chacune d'entre elles rejetant celles qui l'ont précédée dans le passé. D'où l'expression de Baudelaire selon laquelle « la modernité c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art dont l'autre moitié est l'éternel[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Rouen, membre de l'Institut universitaire de France
  • : directrice de recherche émérite au CNRS

Classification

Pour citer cet article

Yves MICHAUD et Raymonde MOULIN. ART CONTEMPORAIN [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Christie's: vente à Dubaï - crédits : STR/ AFP

Christie's: vente à Dubaï

<it>The Big Family n<sup>o</sup>1</it>, Zhang Xiaogang - crédits : Daniel Berehulak/ Getty Images News/ AFP

The Big Family no1, Zhang Xiaogang

<it>Canyon</it> de M. Mayer à la Foire internationale d'art de Bâle, 2007 - crédits : Fabrice Coffrini/ AFP

Canyon de M. Mayer à la Foire internationale d'art de Bâle, 2007

Autres références

  • ART CONTEMPORAIN (anthropologie)

    • Écrit par Brigitte DERLON, Monique JEUDY-BALLINI
    • 834 mots

    En anthropologie, la notion d’art contemporain prise dans une acception chronologique englobe les créations récentes dans le monde : qui est sa propre fin mais aussi les productions rituelles, populaires et artisanales. Cette conception fut mise en avant par l’exposition Magiciens de la terre...

  • ADNAN ETEL (1925-2021)

    • Écrit par Camille VIÉVILLE
    • 909 mots

    Figure majeure de la scène artistique et littéraire internationale, Etel Adnan a bénéficié d’une reconnaissance tardive, en France notamment où, si l’on excepte un don important de l’artiste en 2018 au musée d’Art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille Métropole (LaM), elle...

  • AFRICA REMIX (exposition)

    • Écrit par Christophe DOMINO
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    Dans l'horizon élargi de l'universalisation de l'art, les scènes artistiques les plus éloignées ont, à un moment ou à un autre, leur chance d'apparaître comme matière à exposition. Il en est une cependant dont la perception demeure problématique : l'art contemporain...

  • À LA MORT, À LA VIE ! VANITÉS D'HIER ET D'AUJOURD'HUI (exposition)

    • Écrit par Robert FOHR
    • 1 061 mots
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    Du 27 novembre 2021 au 7 mai 2022, le musée des Beaux-Arts de Lyon a présenté sous le commissariat de Ludmila Virassamynaïken, conservatrice en chef du patrimoine, une exposition intitulée À la mort, à la vie ! Vanités d’hier et d’aujourd’hui, dont l’originalité principale résidait...

  • ANTHROPOLOGIE DE L'ART

    • Écrit par Brigitte DERLON, Monique JEUDY-BALLINI
    • 3 610 mots
    • 1 média

    L’anthropologie de l’art désigne le domaine, au sein de l’anthropologie sociale et culturelle, qui se consacre principalement à l’étude des expressions plastiques et picturales. L’architecture, la danse, la musique, la littérature, le théâtre et le cinéma n’y sont abordés que marginalement,...

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Voir aussi