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ALPAIS (1185 env.-env. 1215)

Insculpée à l'intérieur du couvercle d'un ciboire célèbre, une inscription désigne indubitablement un artiste émailleur : Magister G. Alpais me fecit Lemovicarum (Maître G. Alpais m'a fait à Limoges) ; il paraît en effet préférable de traduire ainsi en français le locatif Lemovicarum, toponyme dont le pluriel rappelle de façon remarquable les deux enceintes juxtaposées, assorties de deux « corps de ville » médiévaux, de cette antique cité. On avait souvent pris aussi, dans l'historiographie, le mot Lemovicarum pour le génitif désignant sinon le lieu de naissance, du moins le site de l'atelier de ce maître émailleur : G. Alpais de Limoges ; il est le seul connu sans conteste par une signature inscrite dans un tour grammatical qui personnifie le chef-d'œuvre en le faisant parler à la première personne (me fecit, « m'a fait »). Le mot magister, maître, assure qu'il s'agit bien de l'artiste et non du donateur, alors que, ailleurs, de nombreuses inscriptions métalliques médiévales en laissent subsister l'équivoque. Le patronyme Alpais, attesté depuis le xe siècle en Aquitaine, apparaît en 1216 dans les registres consulaires de la cité de Limoges au sujet d'une transaction immobilière ; il n'y a donc pas lieu de chercher dans ce vocable indigène une preuve de l'origine hispano-mauresque de l'émaillerie limousine.

Ce ciboire, conservé au musée du Louvre (O.A., Orf. 67) depuis 1828, est l'objet le plus justement célèbre et le plus raffiné de l'Œuvre de Limoges. D'après une tradition remontant au premier possesseur connu, l'architecte Revoil, il fut découvert au début du xixe siècle, au cours de travaux à l'abbaye provençale de Montmajour, dans la tombe de Bertrand de Malsang, abbé de Montmajour de 1298 à 1316. Un tel lieu de destination ou de conservation initiale, en Provence, jalonne la route méridionale vers l'Italie. Il précise les voies d'un phénomène économique qui continue d'étonner par son ampleur : la distribution des émaux en cuivre champlevé de Limoges à travers la chrétienté entière, jusqu'aux rivages de l'Asie, de l'Afrique et jusqu'aux côtes de l'Atlantique Nord et en Russie dès 1200. Le nom de la ville joint à celui du signataire est une marque qui annonce un siècle à l'avance l'apparition des poinçons : c'est une véritable « appellation d'origine » appliquée à des objets voués à l'exportation lointaine.

Seule l'analyse structurelle et stylistique permet d'attribuer à ce maître, puis à son atelier, quelques dizaines des pièces de l'émaillerie limousine les plus classiques, ainsi la paire de plats de reliure divisée entre Cologne et, naguère, la Wartburg à Eisenach ; ainsi le tabernacle, provenant de l'église de Bethléem à Prague, aujourd'hui au Metropolitan Museum à New York (41 100 184), et la crosse à palmette-fleur de l'abbaye Saint-Maurice d'Agaune étudiés par M. M. Gauthier.

À l'époque de Maître G. Alpais, les théologiens fixèrent la doctrine de la présence réelle et définirent canoniquement le rôle du réceptacle où, entre les messes, l'hostie consacrée devait être renfermée : pyxide, ciboire, colombe et tabernacle. L'admirable structure qui incorpora, dans les flancs du ciboire d'Alpais, les lignes génératrices des conques en un réseau idéal unifia ainsi, dans une seule coulée, les images des saints et des anges de la liturgie eucharistique.

— Marie-Madeleine GAUTHIER

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Pour citer cet article

Marie-Madeleine GAUTHIER. ALPAIS (1185 env.-env. 1215) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ÉMAUX

    • Écrit par Marie-Madeleine GAUTHIER
    • 4 384 mots
    • 1 média
    ...s'affirme par l'harmonie des figures d'or, ciselées sur un fond d'azur profond, constellé de rosettes ou parcouru de rinceaux en gammes de tons nuancés. G.  Alpais attache son nom à ce style. Avant la fin du xiie siècle, les officines limousines fortement organisées exportent par dizaines reliures, croix et...

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