SAUVY ALFRED (1898-1990)
Économiste et démographe de renom international, Alfred Sauvy est né le 31 octobre 1898 à Villeneuve-de-la-Raho (Pyrénées-Orientales).
Polytechnicien (1920), entré à la Statistique générale de la France (1922), directeur de l'Institut de conjoncture (1937-1945), il a fondé et dirigé l'Institut national d'études démographiques (1945-1962) et la revue Population (1946- 1975).
Professeur à l'Institut d'études politiques de Paris (1945-1959) puis au Collège de France (1959-1969), membre du Haut Comité de la population dès 1939, du Conseil économique et social (1947-1974), il fut aussi délégué de la France aux Nations unies (Commission de la statistique puis de la population, 1945-1981).
Grand officier de la Légion d'honneur, appartenant à plusieurs académies étrangères, docteur honoris causa de nombreuses universités étrangères, il comptait au nombre de ses prix scientifiques le grand prix de l'Académie des sciences morales et politiques (1984) et le prix des Nations unies pour la population (1990).
Il a publié quelque quarante-cinq ouvrages, souvent mis à jour et traduits en diverses langues, ainsi que des centaines d'articles et chroniques dans des revues scientifiques et dans la grande presse.
Statisticien, Alfred Sauvy a toujours eu la volonté d'améliorer les méthodes de collecte et d'analyse (La Conjoncture et la prévision économique, 1938 et 1943). Un des premiers dans le monde, il a établi avec rigueur des « projections de population » (1937), qui deviendront de pratique courante.
Un thème central de tous ses ouvrages, véritable leitmotiv, est la nécessité d'observer sans relâche, au jour le jour, les données de toutes sortes sur la production, l'emploi, les prix, etc., afin de mettre au point des indices significatifs et de déterminer des tendances. L'observation, exempte de toute théorie préalable et de tout jugement moral, est destinée non à dicter des choix, qui appartiennent aux représentants politiques, mais à « éclairer l'action ». La science doit être au service des hommes, pour améliorer leur condition.
L'économie, c'est avant tout des hommes. Leur nombre, leur répartition sur le sol, leur distribution par âge, leurs besoins, leurs aspirations commandent toute l'activité (Richesse et population, 1943, Théorie générale de la population, t. I Économie et population, 1952, et t. II, Biologie sociale, 1954). En matière de peuplement, l'idéal est celui d'un « optimum », c'est-à-dire du nombre d'hommes le plus favorable pour assurer à tous et à chacun le maximum de bien-être, le niveau de vie le plus élevé. Difficile à préciser, l'optimum peut varier en fonction des objectifs – économique, politique, militaire, religieux ou autre –, des circonstances et de l'état des techniques. Le progrès technique, « processif » ou « récessif » suivant qu'il augmente ou diminue le nombre des emplois, provoque des oscillations et soulève la question du « rythme optimal de variation ».
Le vieillissement de la population, corollaire de la baisse de la fécondité, a des conséquences financières sur les retraites ou l'investissement, mais aussi psychologiques et sociales, entraînant un repli sur les valeurs du passé, source d'un véritable « malthusianisme », économique aussi bien que démographique, contre lequel Sauvy a mené sa vie durant un combat sans relâche.
L'optimum varie aussi dans l'espace. Considérer la population mondiale comme un ensemble unique n'a guère de sens. Les problèmes diffèrent suivant le stade atteint dans la transition démographique. Les solutions ou les issues possibles ne sauraient être les mêmes partout : par exemple, soutenir la natalité en Europe et tout spécialement en France, la limiter ailleurs, dans les pays attardés, ce « Tiers Monde », expression jaillie un jour de 1952 de la plume de Sauvy dans les colonnes de France-Observateur et reprise dans toutes les langues.
L'homme, « cet éternel gêneur », déjoue les prévisions les mieux fondées. Les lois économiques et démographiques s'appliquent, dans l'univers social où toutes sortes de mécanismes déformants dissimulent la réalité, aux dirigeants comme à l'homme de la rue : mécontentement pourtant facteur de progrès, croissance continue des besoins, perméabilité de la propagande, claironnée par les puissants et reprise par les médias, force persistante de mythes toujours renaissants, âge d'or, abondance, libération promise dans le futur... Une sorte d'« hypocrisie sociale » cache les faits désagréables pour assurer le confort de l'esprit.
Bien des difficultés ou des erreurs tiennent à la méconnaissance des faits, au divorce dommageable entre les faits et l'opinion (Le Pouvoir et l'opinion, 1949 ; L'Opinion publique, 1956, La Nature sociale, 1957). L'observation débouche sur l'information. « L'information est la clef de la démocratie. » On chercherait en vain chez Sauvy un exposé doctrinal ou une théorie philosophique ou sociologique. Esprit positif et concret, il n'a jamais détourné son regard du présent qui lui fournissait des exemples pour illustrer son propos. Fort d'une expérience vécue, il est revenu souvent sur l'échec des gouvernements entre les deux guerres, qui, de droite ou de gauche, par manque d'information, n'ont pas profité à temps des opportunités qui s'offraient pour préparer le pays à affronter dans les meilleures conditions la lutte qui s'annonçait (Histoire économique de la France entre les deux guerres, 4 vol., 1965-1975). Le chemin tracé se situe dans un juste milieu entre les idéologies contraires, entre le libéralisme et le dirigisme. Trop complexe, la société moderne ne peut se passer d'une organisation centrale, mais l'idéal de justice et de liberté ne doit pas faire oublier les contraintes et la rigueur financière. Sauvy s'est toujours attaché à définir un programme pragmatique d'action, soutenu par des mesures ponctuelles, ce qu'il appelle un « socialisme libéral » (Le Plan Sauvy, 1960 ; Le Socialisme en liberté, 1970).
Dans la plus totale indépendance, grâce à une activité intense et à une œuvre écrite considérable, poursuivies jusqu'aux derniers moments de sa longue existence, Alfred Sauvy a exercé une influence certaine sur les institutions et sur l'esprit public. Il a contribué à la création des allocations familiales et œuvré pour le redressement démographique (Des Francais pour la France, 1946, avec Robert Debré). Il a mis en garde de manière prémonitoire contre les risques qu'encourait le pays s'il ne réussissait pas à accueillir les jeunes plus nombreux nés après la guerre (La Montée des jeunes, 1959 ; La Révolte des jeunes, 1970). Il n'a cessé de proclamer que l'idéal est à poursuivre « en avant et non en arrière ».
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Écrit par
- Alain GIRARD : professeur honoraire à l'université René-Descartes-Sorbonne, conseiller scientifique à l'Institut national d'études démographiques
Classification
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DÉMOGRAPHIE
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