Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LATTUADA ALBERTO (1914-2005)

Pierre Kast disait de Lattuada et de ses films qu'ils étaient inclassables. Il est difficile en effet de mettre une étiquette sur celui qui fut un des adeptes du calligraphisme au début de sa carrière puis participa au mouvement néoréaliste, signa quelques comédies italiennes de référence, s'inspira de textes littéraires, empruntés notamment à la littérature russe, se laissa aller à quelques portraits de nymphes callipyges et traversa ainsi près de cinquante ans d'histoire du cinéma italien, marquant de son empreinte toutes les époques.

Fils du musicien Felice Lattuada, Alberto Lattuada est né à Milan en 1914. Pendant ses études d'architecture, il s'intéresse à la littérature, à la photographie, au cinéma. Il collabore à Corrente, une revue discrètement antifasciste dans laquelle il s'illustre par des textes qui vont à contre-courant de l'idéologie ambiante. Vers la fin des années 1930, il organise des projections de films inédits en Italie (notamment La Grande Illusion de Jean Renoir) et participe avec Mario Ferrari et Luigi Comencini à la création de la Cineteca Italiana de Milan. Ses expériences littéraires le conduisent à collaborer avec des cinéastes raffinés comme Mario Soldati ou Ferdinando Maria Poggioli. Remarqué comme assistant et scénariste imaginatif, il fait ses débuts dans la mise en scène en 1942 avec une œuvre d'inspiration littéraire, Giacomo l'idealista. Le film sort en 1943 et le classe immédiatement parmi les meilleurs représentants du mouvement calligraphique, adepte des recherches formelles. En 1943, le tournage de son deuxième film, La freccia nel fianco, est interrompu par la guerre. Achevé après la libération de Rome, le film ne sort qu'en 1945.

Prenant le virage de l'engagement réaliste, Lattuada participe au mouvement néoréaliste avec des films comme Le Bandit (1946), Sans pitié (1948) ou même Le Moulin du Pô (1949) qui, s'il prend pour cadre l'histoire du xixe siècle, n'en évoque pas moins les drames de l'après-guerre. En 1953, avec le sketch « Les Italiens se retournent » du film collectif L'Amour à la ville, il donne avec humour son point de vue sur les interrogations que suscite la théorie zavattinienne de la « filature » de la réalité.

Dans ces années, Lattuada confirme son sens aigu de la mise en image de l'écrit, ou pour mieux dire de la relecture cinématographique de grands textes littéraires, en portant à l'écran des sujets empruntés à Gabriele D'Annunzio (Le Crime de Giovanni Episcopo, 1947), Giovanni Verga (La Louve de Calabre, 1953), Guido Piovene (La Novice, 1960), Machiavel (La Mandragore, 1965), Vitaliano Brancati (Don Juan en Sicile, 1967), avec une particulière prédilection pour les écrivains russes (Le Manteau, 1952, d'après Gogol ; La Tempête, 1958, d'après Pouchkine ; La Steppe, 1962, d'après Tchekhov ; Cœur de chien, 1976, d'après Boulgakov).

Mais Lattuada n'est jamais complètement là où on l'attend. Il aime prendre des directions inattendues ou donner des œuvres insolites appartenant aux genres les plus divers. En 1951, il fait débuter Fellini à ses côtés avec Les Feux du music-hall : les deux cinéastes dirigent leurs propres épouses, Carla Del Poggio et Giulietta Masina. Tout aussi inattendu, il signe avec Anna en 1953 un des « mélos » les plus caractéristiques de cette période, et offre à Silvana Mangano le double rôle d'abord d'une danseuse de cabaret puis d'une religieuse. Dans cette veine, on peut inscrire aussi La Pensionnaire (1954), avec Martine Carol. Suivent encore, avec Mafioso (1962), l'étonnant récit criminel mettant en lumière les mœurs de la mafia, où brille l'exceptionnelle composition d'Alberto Sordi, le pamphlet antimilitariste Fraulein Doktor (1969), ou encore un des archétypes de la comédie[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite, université professeur émérite, université Paris I-Panthéon Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Jean A. GILI. LATTUADA ALBERTO (1914-2005) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CALLIGRAPHISME

    • Écrit par Jean A. GILI
    • 936 mots
    • 2 médias

    Au début des années 1940 se développe dans le cinéma italien un mouvement de grande attention à la forme auquel on donne, par référence à la belle écriture des manuscrits enluminés, le nom de « calligraphisme ». Ce mouvement touche des cinéastes comme Mario Soldati (Piccolo Mondo antico...

  • COMÉDIE ITALIENNE, cinéma

    • Écrit par Jean A. GILI, Gérard LEGRAND
    • 3 496 mots
    • 3 médias
    Le cas d'Alberto Lattuada est différent. Venu du cinéma « sérieux », metteur en scène prestigieux au style calligraphique dans les années cinquante, il s'est « reconverti » dans la comédie en y apportant ses obsessions personnelles, l'érotisme, notamment (Venez donc prendre le...
  • FELLINI FEDERICO (1920-1993)

    • Écrit par Gérard LEGRAND
    • 2 760 mots
    • 2 médias
    ...s'étoffant, va devenir Rome, ville ouverte. Pendant six ans, Fellini travaillera à des scénarios pour les films de Rossellini, de Pietro Germi et d' Alberto Lattuada. Apprentissage qui lui révèle sa vocation propre de cinéaste, mais ne lui indique pas la voie de son originalité. Il semble que ce soit...
  • FELLINI FEDERICO - (repères chronologiques)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 1 071 mots

    20 janvier 1920 Naissance de Federico Fellini à Rimini, dans une modeste famille de la petite bourgeoisie.

    1923-1938 Enfance paisible et études très moyennes au collège et au lycée de Rimini. Federico Fellini découvre le cinéma avec Maciste aux enfers, de Brido Grignone (1925) au cinéma Fulgor....

Voir aussi