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WAHHĀBISME

En 1810 paraissait à Paris un livre intitulé Histoire des Wahabis, depuis leur origine jusqu'à la fin de 1809. Son auteur, Louis-Alexandre de Corancez, consul général de France, avait suivi les routes caravanières de Bagdad à Alep. Le « wahhabisme » tire son nom du prédicateur musulman Mụhammad ibn ‘Abd al-Wahhāb (1703-1792). Mais ses disciples ont récusé cette appellation, ils se sont eux-mêmes désignés comme les Ahl al-Tawhīd, « les gens de l'Unicité » (de Dieu). À l'orientaliste Henri Laoust, nous devons cette définition du wahhabisme : « Mouvement à la fois religieux et politique, arabe et musulman, le wahhābisme s'est assigné essentiellement pour but [...] de construire un État sunnite qui se fût étendu non seulement au Nadjd mais à l'ensemble des pays arabes, de restaurer l'Islam dans sa pureté première, en luttant contre toutes les innovations suspectes ou les superstitions populaires et en se laissant de larges possibilités d'expansion comme au temps des Compagnons [du Prophète]. »

Issu d'une famille de religieux de Uyaïna, oasis du Nadjd, région centrale désertique de la péninsule arabique, Mụhammad ibn ‘Abd al-Wahhāb acquit sa science musulmane dans de célèbres mosquées-universités à Médine, à Bassora, à Bagdad, peut-être à Hamadan, à Ispahan, à Qom, puis à Damas et au Caire. Dans ces contrées de l'Empire ottoman et de la Perse safavide, il jugea que l'islam s'était avili parmi des populations sédentaires et superstitieuses, parmi des aristocraties raffinées et laxistes. Il leur opposa une prédication fondée sur la pureté doctrinale telle que l'avait énoncée Ạhmad ibn ̣Hanbal (mort en 855), le dernier et le plus rigoriste de quatre grands imams fondateurs des écoles juridiques sunnites de l'islam.

Revenu au Nadjd vers 1739, il commença à prêcher et à composer le Kitāb al-Tawhīd « Traité sur l'Unicité » divine où il insista sur cette exigence absolue et sur la soumission directe du croyant au Dieu Un. Par son souffle court et ardent, par ses constantes références coraniques, il attira des partisans qui répandirent sa parole parmi des nomades démunis.

Le prédicateur condamnait toutes les formes de culte invoquant des intercesseurs, telles les réunions autour des tombes d'hommes saints (marabouts) et les cérémonies d'exaltation mystique du chiisme et du soufisme. Il fit couper des arbres sacrés et détruire les coupoles surplombant des sépultures vénérées. Il exhorta à la pureté par la sévérité des mœurs. Pour réduire les résistances, il rallia Mụhammad ibn Saoud, l'émir de Darīya, au nord de Riyad. Cette alliance fut décisive car elle permit à ce chef arabe de transformer son pouvoir tribal en une mission théocratique. Jusqu'à nos jours, la famille Saoud s'est appuyée sur l'enseignement de Mụhammad ibn ‘Abd al-Wahhāb pour justifier son autorité.

Les wahhabites pillèrent le sanctuaire chiite de Kerbala en 1801, s'emparèrent de Médine en 1805 et de La Mecque l'année suivante, bafouant l'autorité du sultan ottoman, « protecteur et serviteur » des lieux saints de l'islam. De 1811 à 1818, les troupes du pacha d'Égypte Méhémet Ali reprirent le contrôle du Hedjaz et de La Mecque au nom du sultan, refoulant les Saoud jusqu'à Riyad. Les dissensions tribales achevèrent de briser ce premier élan. Le refondateur du mouvement dynastique et religieux fut ‘Abd al-‘Aziz Al Sa‘ūd, dit Ibn Saoud, qui naquit à Riyad en 1879. En 1884, son père dut fuir cette ville et se réfugier à Koweït. De cette position située au fond du golfe Persique, le jeune Ibn Saoud observa les compétitions internationales et régionales. Il mesura leurs conséquences sur un univers arabe et islamique touché par les bouleversements du monde, mais fort de son héritage culturel et religieux.[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne, vice-président des Amis de l'université française d'Égypte

Classification

Pour citer cet article

Dominique CHEVALLIER. WAHHĀBISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • IBN ‘ABD AL-WAHHĀB

    • Écrit par Jacqueline CHABBI
    • 195 mots

    Muḥammad ben ‘Abd al-Wahhāb donne son nom à la doctrine du wahhabisme. Réformateur sunnite issu d'une famille de juristes du Nadjd, en Arabie centrale, il s'inscrit dans le courant rigoriste musulman du hanbalisme (Ibn Ḥanbal mort en 855), revitalisé au xiiie siècle par le Syrien...

  • ARABIE

    • Écrit par Universalis, Robert MANTRAN, Maxime RODINSON
    • 7 614 mots
    ...profondes modifications en Arabie fut la diffusion vers le milieu du xviiie siècle des idées réformistes de Moḥammad b. ‘Abd al-Wahhāb, père du wahhābisme dont se réclamèrent par la suite nombre de nationalistes arabes. Ibn ‘Abd al-Wahhāb condamnait toutes les innovations apportées par les califes...
  • ARABIE SAOUDITE

    • Écrit par Philippe DROZ-VINCENT, Universalis, Ghassan SALAMÉ
    • 25 169 mots
    • 10 médias
    ...Les conquêtes qui suivront et qui feront de ce chef tribal le maître de la plus grande partie de la péninsule seront ainsi autant des ghazw (attaques en vue d'un butin) tribaux qu'un djihad (guerre pour la religion) pour la propagation de l'islam tel que l'interprétait Ibn Abd al-Wahhab.
  • MUSULMAN DROIT

    • Écrit par Pascal BURESI
    • 4 398 mots
    • 2 médias
    On comprend mieux comment, depuis la fin du xxe siècle, les ressources en hydrocarbures et la rente en pétro-dollars ont permis au hanbalisme wahhabite de se départir de son statut de courant minoritaire et relativement confidentiel, pour étendre aujourd'hui son influence, aux dépens des autres...
  • ḤANBALITE ÉCOLE

    • Écrit par Yves THORAVAL
    • 177 mots

    La plus dogmatique et la plus puriste des mādhhābs (écoles d'interprétation) de jurisprudence de l'islām sunnite, le ḥanbalisme (ḥanābila) est fondé sur les enseignements de l'imām Aḥmad b. Ḥanbal ; ce dernier, partisan de l'origine divine du droit, rejetait par là même l'opinion...

  • Afficher les 13 références

Voir aussi