Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SURRÉALISME Histoire

Pour une philosophie du surréalisme

D'un bout à l'autre de son existence, le surréalisme fut inspiré et dominé par André Breton. C'est à partir de ses textes théoriques qu'a pu s'élaborer une doctrine dont les critères, il convient de le préciser, ne furent pas seulement esthétiques. En effet, le surréalisme a mis en jeu une conception générale de l'homme, considéré en lui-même et dans son rapport avec le monde et la société : il a débordé largement le plan de l'art, et s'est défini sans cesse par des prises de position politiques et morales. On peut même remarquer que presque toutes les exclusions prononcées ont été motivées non par des divergences esthétiques, ou, comme on l'a prétendu, par des questions de personnes, mais par des considérations relatives à la conduite et à l'éthique. Considérant les querelles passées, Breton a écrit, en 1946, dans son Avertissement pour la réédition du second manifeste : « Les questions de personnes n'ont été agitées par nous qu'a posteriori et n'ont été portées en public que dans les cas où pouvaient passer pour transgressés d'une manière flagrante et intéressant l'histoire de notre mouvement les principes fondamentaux sur lesquels notre entente avait été établie. Il y allait et il y va encore du maintien d'une plate-forme assez mobile pour faire face aux aspects changeants du problème de la vie, en même temps qu'assez stable pour attester la non-rupture d'un certain nombre d'engagements mutuels – et publics – contractés à l'époque de notre jeunesse. » On ne peut que rendre hommage à la justesse de cette analyse.

La liberté de l'esprit

Phénomène collectif, le surréalisme est né d'un certain nombre de rencontres (en ses débuts, rencontre de Breton et d'Aragon, Soupault, Eluard, Ernst, Péret, Baron, Crevel, Desnos, Morise...). Mais elles n'ont eu de sens que parce qu'elles réunissaient des hommes qu'agitaient les mêmes problèmes, qu'animait une même fureur contre l'ordre établi, qu'habitait un même espoir. Il conviendrait aussi de parler de rencontre en ce qui concerne le rapport du groupe français et des groupes étrangers, qui ont spontanément retrouvé des préoccupations semblables ; ainsi, en Belgique, celui qui comprenait Paul Nougé, Mesens, René Magritte.

Il est malaisé, en étudiant les premiers textes surréalistes, de dégager, des états essentiellement émotionnels qu'ils expriment, une doctrine précise. Pourtant, on peut remarquer qu'une préoccupation commune se traduit en tous ces écrits : celle d'assurer à l'esprit une totale liberté.

Cette liberté, la guerre de 1914-1918, en dehors même des malheurs qu'elle avait entraînés, semblait l'avoir gravement mise en péril. Il s'agissait donc, avant tout, de s'interroger sur les conditions de son exercice. Tel fut le premier souci des surréalistes, et il est particulièrement remarquable que leur réflexion, trouvant son origine dans une réaction contre la guerre, où Breton ne voulait voir qu'un « cloaque de sang, de sottise et de boue », n'ait cependant pas porté sur la guerre elle-même. Ce qui, dès le départ, a intéressé les surréalistes, c'est plutôt de savoir comment l'esprit peut ne pas se laisser contaminer par de tels événements. Et leurs premières admirations semblent avoir été déterminées par cette préoccupation. En Jacques Vaché, on apprécie avant tout l'homme qui, grâce à l'humour, a pu se maintenir indemne. Chez Apollinaire, qui, pourtant, a chanté la guerre, on s'émerveille de voir l'esprit échapper à l'horreur par la poésie. Lorsque, beaucoup plus tard, dans La Clé des champs, Breton écrira que la beauté demeure « le grand refuge », il retrouvera cette pensée, et cette inspiration.[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Institut (Académie des sciences morales et politiques)
  • : peintre, écrivain

Classification

Pour citer cet article

Ferdinand ALQUIÉ et Pierre DUBRUNQUEZ. SURRÉALISME - Histoire [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Salvador Dalí - crédits : Eric Schaal/ The LIFE Images Collection/ Getty Images

Salvador Dalí

André Breton - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

André Breton

René Char - crédits : Patrick Horvais/ Gamma-Rapho/ Getty Images

René Char

Autres références

  • LA RÉVOLUTION SURRÉALISTE (exposition)

    • Écrit par Guitemie MALDONADO
    • 892 mots

    En 2002, le surréalisme aura eu les honneurs des cimaises du monde entier : à Londres, à New York et à Paris, les expositions rétrospectives se sont succédé, la première, avec deux étapes, mettant en exergue le désir, la seconde, présentée au Centre Georges-Pompidou du 6 mars au 24 juin 2002, la révolution...

  • GENRES LITTÉRAIRES, notion de

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 847 mots
    ...(drame bourgeois, poème en prose, roman poétique...), l'effacement progressif de cette taxinomie infinie, au profit de la notion de « texte ». Le point culminant de cette tendance sera atteint avec le surréalisme, qui ira jusqu'à privilégier l'action (la vie) à une quelconque forme littéraire....
  • ALBERTI MERELLO RAFAEL (1902-1999)

    • Écrit par Robert MARRAST
    • 1 250 mots
    ...Canto), d'une extraordinaire virtuosité technique et formelle. La crise profonde que traverse Alberti est marquée par l'un des sommets du surréalisme espagnol, Sur les anges (Sobre los ángeles), dont une explication purement formelle, telle qu'on l'a proposée parfois, ne suffit pas à traduire...
  • ALCOOLS (G. Apollinaire) - Fiche de lecture

    • Écrit par Pierre VILAR
    • 964 mots
    • 2 médias
    S'il est une influence subtile, c'est bien celle que pouvait exercer une lyrique aussi singulière, métissée et intime à la fois. Alcools a marqué ses contemporains par l'audace de sa diversité et la richesse de sa liberté formelle, que les surréalistes contribuèrent à populariser. Mais certaines écritures...
  • ALEIXANDRE VICENTE (1898-1984)

    • Écrit par Marie-Claire ZIMMERMANN
    • 1 777 mots
    • 1 média
    ...tentant d'établir un contact entre le corps et l'univers. L'emploi quasi constant de la strophe et du vers courts donne à cette œuvre une allure classique. Le livre suivant marque une rupture formelle et coïncide avec l'avènement d'une période assez fortement imprégnée d'influences surréalistes. ...
  • Afficher les 112 références

Voir aussi