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BOBBIO NORBERTO (1909-2004)

Contrainte et persuasion

Bobbio a mis en évidence une autre transformation importante du droit, celle qui concerne ses fonctions. Les fonctions répressives, basées sur les sanctions, laissent de plus en plus de place aux fonctions promotionnelles, fondées sur des normes de nature technique. Le contrôle contraignant est remplacé peu à peu par le contrôle persuasif. L'efficacité de ce dernier dérive du conditionnement psychologique, donc de la prévision et de l'anticipation. La réaction sociale est déplacée : en effet, elle précède le comportement ou l'événement. Ainsi est-on en train de passer de l'intervention-remède à l'intervention-prémonition, de la répression à une prévention d'un type nouveau. La prévention ancienne est de nature intimidatrice, la nouvelle utilise les sciences psychosociologiques pour empêcher l'élaboration et l'émergence des comportements déviants. Est-ce qu'une société où toute forme de déviance est effacée avant même son surgissement, une société décourageant systématiquement les comportements déviants au profit des comportements souhaités peut encore se nommer société de droit ? Quelle est la place du droit comme organisation légitime de la force dans une société où l'ordre juridique fait tout d'abord de la promotion, en offrant ses services, en orientant la distribution des biens, en ne se bornant plus uniquement à protéger les individus et à garantir la circulation des hommes, des choses et des richesses ?

De cette transformation radicale de l'État libéral de droit en État-providence, de la crise de l'État fiscal et de l'ébranlement intellectuel que cette transformation a engendré, Bobbio a été l'observateur attentif. Avec une minutie inégalée, il a indiqué les mutations en cours : les moyens de contrainte effectivement à disposition se sont restreints et les possibilités de désobéissance accrues. Les normes de conduite cèdent la place aux normes d'organisation. Le droit ne peut plus assurer la stabilité et la continuité des rapports sociaux.

Contre les marxistes, et notamment contre Palmiro Togliatti, secrétaire général du Parti communiste italien, Bobbio a essayé de démontrer que le communisme a été engendré par les valeurs libérales et que certaines de ces valeurs transcendent la classe bourgeoise ; que la « bonne société » ne pourra jamais être délivrée de ses divisions (économiques, politiques, juridiques, culturelles) par un pouvoir monolithique faisant fi des libertés et de la démocratie. La démocratie n'est pas un régime figé, elle est plutôt un processus continu, le seul capable de nous délivrer du Léviathan barrant l'horizon de nos destinées.

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Écrit par

  • : professeur ordinaire de sociologie générale à l'université de Lausanne, directeur de l'Institut d'anthropologie et de sociologie

Classification

Pour citer cet article

Giovanni BUSINO. BOBBIO NORBERTO (1909-2004) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CONSTITUTION

    • Écrit par Pierre BRUNET
    • 4 216 mots
    • 1 média
    ...vie domestique et familiale, elle-même appréhendée comme une société naturelle originaire, une forme spécifique, concrète et historiquement déterminée ; selon Bobbio l'État est vu comme la réunion de plusieurs familles et non comme une association d'individus isolés et il n'est donc nul besoin...
  • POSITIVISME JURIDIQUE

    • Écrit par Michel TROPER
    • 1 375 mots

    On classe volontiers les juristes en deux grandes catégories : les jusnaturalistes et les positivistes. Tous entendent rendre compte du droit positif, c'est-à-dire du droit voulu et énoncé ou posé par des hommes. Mais les premiers admettent qu'il existe, à côté ou au-dessus de ce droit...

Voir aussi