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INDUCTION, philosophie

L'induction et les lois de sens commun

Dans l'observation, on aboutit empiriquement à des évidences qu'on peut mettre sous la forme de propositions particulières relatives à des faits et énonçant les propriétés caractéristiques des individus a, b, c, ..., n. Dans les cas les plus simples, le résultat des observations s'exprimera sous la forme d'une suite de propositions particulières conjointes, affirmant, par exemple, que a, b, c, ... et n sont des émeraudes et sont vertes, ou que a, b, c, ... et n sont des corps et sont pesants.

Or, dans la connaissance ordinaire comme dans les sciences expérimentales, on trouve des propositions, liées à ces observations, qui ne résument pas des cas particuliers, mais affirment, par exemple, que « toutes les émeraudes sont vertes » ou que « tous les corps sont pesants ». En s'exprimant ainsi, on pose l'existence d'un lien entre « émeraude » et « vert » tel que ∀x (E(x) ⊃ V(x)) signifie : pour tout x, si x est une émeraude, x est vert. On peut interpréter de deux façons cette implication : ou bien E implique V analytiquement, ou bien E implique V synthétiquement, c'est-à-dire en vertu de jugements d'expérience.

Dans le premier cas, l'inférence est rigoureuse mais elle n'étend pas la connaissance qu'on a du monde extérieur ; dans le second, on acquiert un savoir nouveau, mais le lien entre E et V n'est plus une inférence logique nécessaire. Si l'on dit : « Tous les triangles ont trois côtés », il s'agit d'une inférence nécessaire, puisque la définition du triangle enveloppe analytiquement le fait d'avoir trois côtés. Si en revanche on dit : « Le soleil fait fondre la cire », on ne pourra pas, avant toute expérience, prévoir les effets du soleil. On voit que le problème de l'induction est lié à celui de la causalité, car la proposition « le soleil fait fondre la cire » énonce une relation de cause à effet. Mais, comme David Hume l'a remarqué, on ne peut pas inférer de la constatation d'une relation entre deux phénomènes A et B la nécessité de leur liaison. Ainsi, quand on définit un morceau de cire, on peut énumérer certaines qualités, parmi lesquelles le fait que la cire fond à la chaleur, mais on n'a pas pour autant le droit de dire : tout morceau de cire a les qualités Q1, Q2, ..., Qn, or x est un morceau de cire, donc x a les qualités Q1, ..., Qn. On pourra seulement dire : si on appelle « cire » un corps qui a les qualités Q1, ..., Qn et si x a ces qualités, alors on estime que x est un morceau de cire. La loi causale ne pose donc aucun problème si on la fait figurer parmi les qualités qui définissent la cire.

Si on applique le nom « émeraude » à des pierres dont on énumère différentes qualités et si la couleur verte est une qualité présente dans tous les cas où l'on a observé l'existence des autres, sans que pourtant, grâce à une théorie scientifique on puisse déduire la couleur verte de l'existence des autres propriétés, on sera devant un problème d'induction. Lorsque, en revanche, une théorie scientifique démontre que, si un objet (émeraude) possède les propriétés Q1, ..., Qn, alors il aura aussi une couleur verte, on a par là un « modèle » scientifique de l'émeraude d'où l'on infère analytiquement la couleur verte de cette pierre. Mais cette inférence elle-même n'a de caractère nécessaire qu'à l'intérieur de la théorie et du « modèle » de l'émeraude qui en est l'interprétation. Elle ne garantit pas qu'on ne trouvera pas un jour des pierres qui aient toutes les propriétés physiques et chimiques des émeraudes, mais une teinte différente.

Ce problème peut être illustré en un schéma qui représenterait par un cercle V l'ensemble des choses vertes, par un cercle[...]

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Pour citer cet article

Bertrand SAINT-SERNIN. INDUCTION, philosophie [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    ...D'où la nécessité d'une opération préalable, et de sens inverse, qui est la remontée du particulier à l'universel : c'est l' induction, procédé qui n'a pas la rigueur du syllogisme (Seconds Anal., II, 23), mais qui, dans la mesure où il nous élève à l'intuition...
  • COGNITIVES SCIENCES

    • Écrit par Daniel ANDLER
    • 19 262 mots
    • 4 médias
    ...principes occultes, à savoir la science, les raisonnements ne procèdent qu'occasionnellement par déduction logique, qu'ils semblent souvent relever de l' induction. Le problème de l'induction, qui occupe la philosophie depuis Bacon et Hume, est au centre de la philosophie des sciences du xxe siècle...
  • EMPIRISME

    • Écrit par Edmond ORTIGUES
    • 13 324 mots
    • 1 média
    L'empirisme professé au xixe siècle a certaines caractéristiques qui lui sont propres : l'importance accordée aux méthodes inductives de Stuart Mill et à la psychologie génétique. La notion d'empirisme est alors associée, d'une part, avec la thèse sensualiste qui se propose d'expliquer...
  • ÉPISTÉMOLOGIE

    • Écrit par Gilles Gaston GRANGER
    • 13 112 mots
    • 4 médias
    La philosophie qui s'intéresse en priorité à une théorie des formes de lapensée inductive n'a pas manqué, dans le dernier demi-siècle, de représentants illustres : Carnap, Popper, Hempel, Quine, par exemple, en traitent chacun à sa manière. Les uns proposent une axiomatisation probabiliste du...
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