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ÉTAT

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L'État démocratique

Véritable renversement copernicien, la citoyenneté signe l'avènement de l' État démocratique, où l'individu est d'abord et surtout un citoyen avant d'être un sujet passif. La démocratie moderne, comme l'a observé Norberto Bobbio, repose sur l'idée que « ce n'est plus le point de vue du souverain qui prévaut, mais le point de vue du citoyen, au fur et à mesure que se consolide la théorie individualiste de la société par rapport à la vision organiciste traditionnelle ». Ainsi, la démocratie moderne repose sur le fait que les gouvernés refusent désormais de se considérer comme des subordonnés perpétuels à l'égard de certains gouvernants. Cette égalité a été historiquement le moteur du combat des non privilégiés contre les privilégiés, dont la Révolution française a témoigné à sa manière. On illustrera seulement cette idée à partir d'une anecdote tirée de l'histoire suisse. Au moment où éclate la Révolution française, le canton de Neuchâtel, l'un des plus aristocratiques de toute la Confédération helvétique, était gouverné par un Conseil d'État composé de l'élite patricienne. L'agitation de la bourgeoisie industrielle de La Chaux-de-Fonds inquiète les vénérables membres dudit Conseil, dont l'un d'eux, Louis de Montmollin, écrit cette phrase magnifique : « Les habitants de La Chaux-de-Fonds sont tous démocrates. Il y en a même qui poussent jusqu'à dire que, conformément aux droits de l'homme, chaque citoyen est égal à ses supérieurs... que les peuples ont le droit d'élire leurs magistrats et de les déposer lorsqu'ils ne concourent pas à leurs désirs. » La formule est savoureuse en ce qu'elle témoigne du changement de perspective qui érige les gouvernés en égaux des gouvernants. La modernité issue des révolutions française et américaine fait de chaque homme un citoyen considéré comme devant être traité comme un supérieur, ce qui fait qu'il n'y a plus de supérieurs, ni d'inférieurs, mais des « hommes libres et égaux en droits » (art. 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen). La longue marche au cours des xixe et xxe siècles vers « le sacre du citoyen », selon l'expression de Pierre Rosanvallon, illustre ce mouvement d'affirmation de l'État démocratique.

La mise en place de la citoyenneté politique est accompagnée par l'émergence, à la même période, de droits de recours au bénéfice du citoyen pour contester l'action de l'État administratif. Le droit administratif français a ainsi rouvert la vieille voie prétorienne selon laquelle, contre l'arbitraire du pouvoir, le premier recours est de s'adresser à lui, le seul en mesure d'accorder des libertés et des droits aux individus et de sanctionner les abus de ses agents. Au cours du même xixe siècle, lorsque les ouvriers se mobilisèrent contre l'arbitraire du pouvoir « domestique », de la puissance privée patronale, l'État et sa justice sont restés plus longtemps sourds à leurs revendications. L'émancipation juridique des travailleurs salariés est moins passée par la jurisprudence que par la loi, à la toute fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, et par une sorte d'alliance objective entre leurs représentants (syndicats ou partis) et l'État comme puissance publique pour leur reconnaître de nouveaux droits. De même, l'État s'immisce dans l'éducation des enfants par la famille en imposant l'instruction obligatoire. Il a fallu pour ce faire limiter le travail des enfants en fixant un âge légal pour travailler (13 ans révolu en France en 1882), contraindre les parents (paysans ou ouvriers) à laisser leurs enfants fréquenter l'école et à cesser de les considérer comme une force de travail d'appoint. Le [...]

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Écrit par

  • : professeur de droit public à l'université de Panthéon-Assas (Paris-II)

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Pour citer cet article

Olivier BEAUD. ÉTAT [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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