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LUBITSCH ERNST (1892-1947)

Cecil B. DeMille et Ernst Lubitsch - crédits : John Kobal Foundation/ Moviepix/ Getty Images

Cecil B. DeMille et Ernst Lubitsch

Si la plupart des grands cinéastes, à commencer par Charlie Chaplin, ont connu des moments difficiles au cours de leur carrière, Ernst Lubitsch est l'un des rares qui aient toujours eu du succès. Pas d'éclipse dans une trajectoire aussi heureuse que les films eux-mêmes. Peintre de la séduction, de l'élégance et du raffinement, ce cinéaste a su plaire à tous les publics, et sans concession.

C'est peu de dire que ses films ont bien vieilli, que la gloire posthume prolonge ses triomphes précoces et renouvelés. On découvre peu à peu que son art – la fameuse « Lubitsch Touch » – ne se réduit pas à une formule, si parfaite soit-elle. Il a été tout simplement, avec D. L. W. Griffith, l'un des inventeurs du langage cinématographique : comment raconter une histoire en images, exposer clairement les relations les plus subtiles, suggérer en offrant au spectateur le plaisir de construire lui-même les situations à partir d'un minimum d'indices. Ernst Lubitsch, sans en avoir l'air, a su résoudre tous les problèmes du cinéma.

<it>La Veuve joyeuse</it>, E. Lubitsch - crédits :  Hulton Archive/ MoviePix/ Getty Images

La Veuve joyeuse, E. Lubitsch

C'est justement parce que chez lui la technique ne se voit pas qu'on a sous-estimé la place et l'influence de ce cinéaste. Au fil des rétrospectives (à la Cinémathèque française en 1967 et en 1986) et des reprises dans les circuits commerciaux (en 1986 et 1987), on a pu mesurer la maîtrise, l'intelligence du cinéma qui se dissimulent sous l'apparente frivolité. On sait aujourd'hui ce qu'Alfred Hitchcock a appris de Lubitsch. Et plus près de nous Ozu, Renoir, Ophuls, Mankiewicz, Bergman lui-même (qui a longtemps rêvé de porter à l'écran La Veuve joyeuse, dont Lubitsch a réalisé en 1934 deux adaptations fameuses, avec Maurice Chevalier et Jeanette Mac Donald). François Truffaut et Éric Rohmer sont aussi ses héritiers.

L'auteur de Sérénade à trois et de Angel a pu passer pour le témoin souriant d'un art de vivre révolu : il n'est pas sûr que cet art de vivre ne soit pas reconsidéré un jour. Il est en tout cas certain que les images brillantes de Lubitsch communiquent un bonheur de filmer dont le cinéma actuel garde la nostalgie secrète.

De Berlin à Chaplin

Ernst Lubitsch est né à Berlin le 29 janvier 1892. Il appartient à la génération des réalisateurs qui ont l'âge du cinématographe (1895). Charlie Chaplin est son aîné de trois ans, John Ford son cadet de trois ans. Cette génération, qui grandit avec le « muet » et découvre le « parlant » à sa maturité, va donner au cinéma ses classiques.

La famille Lubitsch est israélite, probablement originaire de Budapest. Le père est tailleur (marchand de robes, blouses et manteaux pour dames : c'est ce qu'on appelle alors à Berlin, la « Konfektion », terme quelque peu méprisant par rapport à la haute couture).

En 1908, à la fin de sa scolarité, Ernst Lubitsch est engagé comme commis dans le magasin de tissus, tandis qu'il rêve de faire du théâtre. C'est là un point commun avec les frères Marx, issus du même milieu juif commerçant à New York. Lubistch leur adressera d'ailleurs quelques clins d'œil à travers ses films (dans Ninotchka, par exemple, les trois personnages principaux ressemblent aux frères Marx).

Généralement, Lubitsch s'attache à décrire la grande bourgeoisie, l'aristocratie, les dilettantes et les oisifs. Une fois pourtant, il a évoqué la vie des employés d'un petit commerce à Budapest (dans The Shop around the Corner, 1940, inédit en France jusqu'en 1986). Quoi qu'il en soit, c'est dans le droit fil de l'esprit berlinois et de l'humour juif de ce début de siècle que s'est formée sa vision du monde : « À cette façon perçante de voir les petites faiblesses des autres et de rire un peu cruellement de leurs malheurs, se mêla le sens de la fatalité des isréalites portant en eux le souvenir de persécutions qui allaient[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-V-René-Descartes, critique de cinéma

Classification

Pour citer cet article

Jean COLLET. LUBITSCH ERNST (1892-1947) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Cecil B. DeMille et Ernst Lubitsch - crédits : John Kobal Foundation/ Moviepix/ Getty Images

Cecil B. DeMille et Ernst Lubitsch

<it>La Veuve joyeuse</it>, E. Lubitsch - crédits :  Hulton Archive/ MoviePix/ Getty Images

La Veuve joyeuse, E. Lubitsch

<it>Ninotchka</it>, d'Ernst Lubitsch - crédits : Metro-Goldwyn-Mayer Inc./ Collection privée

Ninotchka, d'Ernst Lubitsch

Autres références

  • NINOTCHKA, film de Ernst Lubitsch

    • Écrit par Kristian FEIGELSON
    • 754 mots
    • 1 média

    Juif berlinois, Ernst Lubitsch (1892-1947) quitte l'Allemagne dès 1922 et poursuit à Hollywood une riche carrière. Il y devient le plus européen des cinéastes américains, promoteur d'une comédie à la fois psychologique et sentimentale que l'on résumera par l'expression ...

  • ALLEMAND CINÉMA

    • Écrit par Pierre GRAS, Daniel SAUVAGET
    • 10 274 mots
    • 7 médias
    Certains n'ont pas attendu le retour de la paix pour s'affirmer :Ernst Lubitsch, qui mêle un certain esprit berlinois et une touche d'humour juif, et qui, produit par Davidson, dirige lui-même ses comédies ; Paul Wegener, acteur et metteur en scène ; Richard Oswald, Joe May, Paul Leni, le scénariste...
  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    La nécessité commerciale n'est nullement avilissante, comme en témoignent les comédies de Lubitsch et les mélodrames de Josef von Sternberg. Lubitsch (1892-1947) a réalisé ses premiers films en Allemagne dès 1915, puis il s'est expatrié en Amérique en 1922. Très vite, il s'est imposé comme un réalisateur...
  • COMÉDIE AMÉRICAINE, cinéma

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 5 126 mots
    • 18 médias
    Mais c'est le réalisateur d'origine allemandeErnst Lubitsch qui invente la sophisticated comedy. La « sophistication » concerne moins ici le sujet que le milieu social, le décor et surtout le raffinement stylistique qui joue avec maestria des vertus de l'ellipse, de la litote et du double langage....
  • COMÉDIE MUSICALE, cinéma

    • Écrit par Victor BACHY
    • 926 mots
    • 9 médias

    Par comédie musicale on entend, au cinéma, un spectacle de divertissement, bâti sur un scénario souvent ténu, où la musique, le chant et la danse tiennent une place de choix. La comédie musicale n'a donc pu naître qu'avec le cinéma parlant, et Le Chanteur de jazz(...

  • Afficher les 8 références

Voir aussi