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TCHEKHOV ANTON PAVLOVITCH (1860-1904)

Un art très personnel

L'art de Tchekhov, allusif, riche de résonances cachées, est le plus elliptique, le plus concentré qu'il y ait eu dans les lettres russes. « Plus c'est court, mieux ça vaut... La brièveté est sœur du talent », dit Tchekhov. Simple, quotidienne, banale en apparence, telle est souvent l'anecdote qui sert de support à ses nouvelles. Mais elle n'apparaît ainsi qu'au regard superficiel qui ne sait pas discerner le grand et le profond dissimulés dans les petits faits de la vie courante (« meloči žizni »). Tchekhov réussit ce tour de force d'attacher et de passionner le lecteur ou le spectateur par des récits et des drames dénués d'affabulation romanesque, de toute péripétie, de toute concession à la facilité quelle qu'elle soit. « Dans la vie, il n'y a pas d'effets, ni de sujets bien tranchés ; tout y est mêlé, le profond et le mesquin, le tragique et le ridicule », disait Tchekhov à A. Kouprine.

« Un homme de lettres doit être aussi objectif qu'un chimiste, il doit renoncer au subjectivisme de la vie quotidienne... Il doit être avant tout un témoin impartial » (lettres à M. Kiseleva, 14 janvier 1887 et à A. Souvorine, 30 mai 1888). De toute évidence, Tchekhov était loin d'être seulement un témoin impartial. Mais l'élément personnel qui étoffe les matériaux offerts par l'observation directe de la vie est toujours dépersonnalisé, sublimé jusqu'à acquérir une valeur générale et supérieure. Par exemple, Trigorine et Treplev dans La Mouette sont tous les deux des porte-parole de l'auteur, chacun d'eux incarne un aspect de sa personnalité ; de même, le docteur Astrov dans Oncle Vania ; et Gourov, le héros de La Dame au petit chien ; enfin et surtout, Mgr Pierre dans L'Évêque. « Le subjectivisme, écrit-il à son frère, est une chose terrible [...] Surtout, il faut fuir l'élément personnel. »

Tchekhov avait défini ses canons esthétiques dès 1886 : « l'objectivité absolue ; la vérité dans la description des personnages et des objets ; une brièveté maximale ; l'audace et l'originalité ; la tendresse » (lettre à son frère Alexandre, 10 mai 1886), et, treize ans plus tard, il affirme : « La beauté et l'expression dans les descriptions ne s'obtiennent que par la simplicité, par des phrases aussi unies que : le soleil se couche, il fait sombre » (lettre à Maxime Gorki, 3 janvier 1899).

Cette simplicité, il l'applique tout d'abord à la composition de ses nouvelles. Le prologue ou introduction au récit est en général omis ou réduit à une courte phrase qui fait d'emblée entrer dans le vif du sujet. Tout au long du développement de l'histoire proprement dite, le laconisme de l'expression est également frappant. Quant au dénouement, ou conclusion, Tchekhov en a toujours pressenti le rôle capital. Chez le grand Tchekhov des dernières années, la nouvelle ou la pièce s'arrête brusquement sur une sorte d'accord musical. Il n'y a plus, à strictement parler, de fin, mais, au contraire, une ouverture sur un immense lointain. Par exemple, dans La Dame au petit chien, dans La Fiancée, une étape de la vie des héros est terminée ; mais une autre ne fait que commencer. Une fenêtre s'ouvre sur un avenir encore mal défini, tout d'inconnu et de mystère.

Le rôle de la musique est fondamental chez Tchekhov. L'élément sonore est un des plus importants de son système poétique. Il se manifeste surtout à travers la musicalité du style. L'habituelle structure de cette phrase lyrique comporte trois membres : « Après notre mort, nous dirons ce que nous avons souffert, comme nous avons pleuré, comme notre vie fut amère. » Mais l'élément musical intervient aussi sous la forme de véritables morceaux de musique en prose. Dans [...]

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Pour citer cet article

Sophie LAFFITTE. TCHEKHOV ANTON PAVLOVITCH (1860-1904) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Les Trois Sœurs </em>d'A. Tchekhov, mise en scène d'Alain Françon - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Les Trois Sœurs d'A. Tchekhov, mise en scène d'Alain Françon

Tchekhov - crédits : Bettmann/ Getty Images

Tchekhov

Autres références

  • LA CERISAIE (mise en scène A. Françon)

    • Écrit par Didier MÉREUZE
    • 1 108 mots

    Le 17 mars 2009, Alain Françon a signé son dernier spectacle en tant que directeur du Théâtre national de la Colline, avant de céder la place à Stéphane Braunschweig, ancien directeur du Théâtre national de Strasbourg. En l'espace de douze années, il aura fait de cette institution l'un des...

  • LA MOUETTE, Anton Tchekhov - Fiche de lecture

    • Écrit par Hélène HENRY
    • 1 271 mots
    • 1 média

    En 1895, Anton Tchekhov (1860-1904), médecin et écrivain, est l'auteur fécond et déjà célèbre de récits humoristiques, de nouvelles (Les Contes de Melpomène, 1884 ; Récits bariolés, 1886) qui réinventent le genre, d'un reportage saisissant sur le bagne de l'île Sakhaline (...

  • NOUVELLES, Anton Tchekhov - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean BONAMOUR
    • 1 116 mots
    • 1 média

    Anton Tchekhov (1860-1904) a publié des nouvelles depuis l'âge de vingt ans jusqu'à sa mort. Ces textes constituent la majeure partie de son œuvre et lui ont valu la célébrité à l'égal de son théâtre, avec lequel ils sont d’ailleurs organiquement liés. C'est par ses nouvelles aussi qu'il est devenu,...

  • PLATONOV (A. Tchekhov)

    • Écrit par Raymonde TEMKINE
    • 915 mots

    En 1880, Tchekhov a vingt ans, il se lance dans l'écriture d'une pièce de théâtre où il imagine pouvoir tout déverser de ce qui bouillonne en lui d'idées, de désirs, d'inquiétudes, d'espoirs. Son foisonnement et sa durée – six heures au moins – sont tels qu'elle est jugée injouable, et refusée. Tchekhov...

  • LE DOMAINE (L. Peries)

    • Écrit par Hubert NIOGRET
    • 936 mots

    Avec la guerre d'insurrection opposant les Tigres de Libération de l'Eelam tamoul au pouvoir de Colombo, le Sri Lanka n'a longtemps revêtu aucune autre actualité pour le reste du monde. Pourtant, dans un pays de dimension modeste, aux prises avec de grandes difficultés économiques, et qui...

  • DRAME - Drame moderne

    • Écrit par Jean-Pierre SARRAZAC
    • 6 057 mots
    • 7 médias
    Strindberg et Tchekhov ne se préoccupent plus, quant à eux, d'un pareil sauvetage des formes anciennes. Ils abandonnent sans remords leurs drames aux perversions du roman. Évoquant, dans une lettre à l'actrice Kommissarjevskaïa, Les Trois Sœurs, Tchekhov annonce avec une certaine jubilation...
  • RUSSIE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Michel AUCOUTURIER, Marie-Christine AUTANT-MATHIEU, Hélène HENRY, Hélène MÉLAT, Georges NIVAT
    • 23 999 mots
    • 7 médias
    ...Gorki (Gor'kij, 1868-1936), Ivan Bounine (Bunin, 1870-1953), Alexandre Kouprine (Kuprin, 1870-1938) et Léonide Andréïev (Andreev, 1871-1919). Porté à la perfection par Tchekhov qui peint les intellectuels moroses de sa génération avec le laconisme de l'humoriste et la lucidité impitoyable du...
  • RUSSIE (Arts et culture) - Le théâtre

    • Écrit par Béatrice PICON-VALLIN, Nicole ZAND
    • 8 643 mots
    ...puis psychologique – un naturalisme historique, lié aux réalisations des Meininger, qu'ils ont vues en tournées en 1890, naturalisme des « états d'âme », promu par la dramaturgie d'Anton Tchekhov qui, au carrefour du réalisme et du symbolisme, prend modèle sur la forme du roman. Leur programme artistique...

Voir aussi