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ALLEN WOODY (1935- )

La traversée des apparences

Woody Allen s’inscrit dans la lignée de Méliès plutôt que dans celle de Lumière. Dans nombre de films, il part d’une base authentique minimale, parfois simplement sa vie sexuelle et sentimentale du moment, mais pour tisser un cocon protecteur. C’est la fonction du décor, des appartements cosy de Manhattan, des lumières douces, des teintes chaudes, des mouvements de caméra tout en douceur, de la musique, classique ou jazz, sans agressivité, le tout très vintage (avec une prédilection pour un passé imprécis qui évoque les années 1930 ou 1940). « Mes films, explique-t-il, décrivent le New York de mes rêves, de mes vœux, parfois de mes souvenirs. [...] C’est mon île. Ici, je me sens en sécurité. » Cependant, cette coquille dans laquelle se love volontiers le spectateur se révèle fragile et aussi perméable aux perturbations extérieures, y compris amicales, familiales ou maternelles, qu’aux obsessions internes catastrophistes.

Au rythme d’un film par an, cette construction ne manque pas d’être menacée. Car le public veut retrouver le monde et les personnages de Woody Allen, alors que ce dernier se doit de faire varier sans cesse cette matrice et l’adapter à différents genres, à commencer par le polar (Meurtre mystérieux à Manhattan – Manhattan MurderMistery – 1993 ; Coups de feu sur Broadway, 1994 ; Scoop, 2006 ; Le Rêve de Cassandre – Cassandra Dream –, 2007 ; L’Homme irrationnel – Irrational Man –, 2015). Le résultat engendre la satisfaction chez certains comme l’agacement ou la déception chez d’autres, parfois interchangeables d’un film à l’autre. Le temps où Allen était presque estimé à l’égal de ses maîtres Bergman ou Fellini est passé. Certes, parmi les très nombreux films réalisés de 1999 à 2019 (Escrocs mais pas trop ; Le Sortilège du scorpion de jade – The Curse of the Jade Scorpion ; La Vie et tout le reste – AnythingElse ; Vicky Christina Barcelona ; Whatever Works ; Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu – You Will Meet a TallDarkStranger ; To Rome with Love ; Wonder Wheel ; Un jour de pluie à New York – A Rainy Day in New York), il est difficile de ne pas être séduit, amusé ou touché par une scène, une réplique, un regard, une image. Mais Jean Roy (L’Humanité) résume, à propos du Rêve de Cassandre, une déception assez générale : « On ne fait pas le cinéma de tout le monde quand on n’est pas tout le monde. »

Il ne faudrait pas, en effet, que l’amuseur masque l’originalité et la profondeur du véritable artiste qu’est Woody Allen. Plusieurs films de cette période sont de très grandes réussites, qui justifieraient l’accueil critique fait antérieurement à Annie Hall, Intérieurs, Manhattan, Broadway Danny Rose, La Rose pourpre du Caire ou Hannah et ses sœurs. Présenté au festival de Cannes 2011, Midnight in Paris est le plus grand succès mondial d’Allen, par ailleurs couvert de récompenses (du meilleur scénario original au meilleur réalisateur). Il représente une sorte de quintessence du « film allenien ». Ce Paris plus que nostalgique, avec musique de Sydney Bechet, est d’abord un univers dans lequel la magie du cinéma fait voyager le héros, Gil, aussi bien dans l’espace, d’un quartier à l’autre de Paris que dans le temps, du Paris d’aujourd’hui à celui des années 1920 ou de la Belle Époque. Le film et la ville sont ainsi peuplés des fantômes d’Hemingway, Cole Porter, Scott et Zelda Fitzgerald, Gertrude Stein, Picasso, Buñuel, Dali, Degas, Toulouse-Lautrec... Quelle importance si le retour au réel et au présent ne diffère guère du voyage dans ces autres dimensions, et si Gil est aussi fantomatique que ces personnages surgis une nuit d’un musée Grévin ?

Pleinement romantique en apparence, CaféSociety (2016) est d’un pessimisme total. Bobby (Jesse Eisenberg) et Vonnie (Kristen Stewart)[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Joël MAGNY. ALLEN WOODY (1935- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/04/2020

Médias

Guerre et amour, W. Allen - crédits : Ernst Haas/ MoviePix/ Getty Images

Guerre et amour, W. Allen

<em>Annie Hall</em>, W. Allen - crédits : Hamill/ United Artists/ Album/ AKG-images

Annie Hall, W. Allen

Autres références

  • MANHATTAN, film de Woody Allen

    • Écrit par
    • 929 mots

    À la fin des années 1970, Woody Allen semble se décider à aborder de front les problèmes existentiels qu'avaient traités en leur temps les cinéastes auxquels il voue une admiration sans bornes, Renoir, Fellini et Bergman. Pour lui qui a débuté au cinéma comme parodiste – par exemple en écrivant ...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par , et
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    ... (1999). Si l'on ne peut que déplorer la disparition prématurée de John Cassavetes (1929-1989), il faut remarquer l'étonnante vitalité de Woody Allen, né en 1935, dont la production – un film par an – fait alterner facilité et profondeur, maîtrise et prise de risque (Crimes et délits...
  • COMÉDIE AMÉRICAINE, cinéma

    • Écrit par
    • 5 126 mots
    • 18 médias
    ...le domaine burlesque par les Marx Brothers au début du parlant, Jerry Lewis ou Mel Brooks (Les Producteurs, 1969 ; La Folle Histoire du monde, 1981). Woody Allen crée un personnage original à fort soubassement culturel dont il ne peut se déparer malgré une volonté constante d'ironie. Il tient du malchanceux...
  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Le théâtre et le cinéma

    • Écrit par , et
    • 9 328 mots
    • 11 médias
    ...influence, 1975 ; Love Streams, 1984) tournent radicalement le dos à la prédilection technologique qui marque les œuvres de la tendance Lucas-Spielberg. C'est également l'humain qui est au cœur de l'humour sophistiqué, introspectif et psychanalytique de Woody Allen qui travaille, lui,...
  • JOHANSSON SCARLETT (1984- )

    • Écrit par
    • 868 mots

    Son physique de pin-up et l’étendue de sa palette dramatique ont permis à l’actrice et chanteuse américaine Scarlett Johansson d’obtenir un grand succès auprès du public dans des genres aussi divers que le film en costumes, le thriller ou le film d’action et d’aventures.

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