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GOMBROWICZ WITOLD (1904-1969)

Sens de l'érotisme

Il faut se garder d'oublier que Gombrowicz a aussi écrit dans son Journal (Dziennik, 1953-1956, 1957, 1961-1966) : « Je ne crois pas à une philosophie non érotique. » L'érotisme est à la base de toute son œuvre, et sa conception de l'érotisme est très voisine de celle de Georges Bataille : elle comporte l'horreur, la dégradation, la mort et – seule clef moderne à un temps « sacré » – elle exige ne serait-ce qu'un simulacre de sacralité (« la piété est absolument et rigoureusement exigée, même le plus minime des petits plaisirs ne peut se passer de piété », dira dans Cosmos[Kosmos, 1965] le terrible et dérisoire Léon). Il serait bien entendu absurde de réduire Ferdydurke à l'homosexualité, La Pornographie (Pornografia, 1960) à la mise en scène érotique, Cosmos à l'onanisme. Mais le génie de Gombrowicz exprime jusqu'aux idées les plus abstraites par rapport à l'érotisme. Le narrateur guette dans Cosmos tout ce qui se trame dans les corps : les mains, la bouche, les doigts, les jambes, qui avaient dans Ferdydurke une autonomie symbolique, sont ici scrutés autrement, comme si Gombrowicz était devenu conscient de ce que Freud a négligé : la participation du corps entier à la vie imaginative, les correspondances qui, obscurément et presque à notre insu, s'établissent dans cette zone d'ombre entre le physique et le psychique qui est à la base même de notre existence.

Il y a dans Ferdydurke deux chapitres formés par des contes philosophiques apparemment hétérogènes au roman : « Philifor cousu d'enfant » et « Philimor cousu d'enfant ». Comment, à l'issue d'un match de tennis au Racing-Club de Paris, le marquis Philippe de Philimor s'est-il trouvé « subitement cousu d'enfant, doublé, complété d'enfant » ? Pourquoi le professeur Philifor répond-il au narrateur en guise de conclusion : « Tout, mon petit, tout est cousu d'enfant » ? Gombrowicz l'éclaircit dans la « préface » à l'un de ces contes. Au lieu de se réclamer de l'art et de la culture, le poète, l'artiste devrait se sentir « pénétré et engendré d'en bas par des forces qu'il avait jusque-là négligées... Il ne se sentirait pas seulement Père, mais à la fois Père et Fils, et il n'écrirait plus en savant, en subtil et en mûr, mais en Savant toujours ensottisé, en Subtil toujours brutalisé, en Adulte rajeuni sans cesse... » C'est là peut-être l'essentiel de l'enseignement de Gombrowicz.

— Constantin JELENSKI

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Écrit par

  • : master of arts, University of St Andrews, Écosse, écrivain et critique, chargé de mission à l'Institut national de l'audiovisuel

Classification

Pour citer cet article

Constantin JELENSKI. GOMBROWICZ WITOLD (1904-1969) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • LE MARIAGE (W. Gombrowicz)

    • Écrit par Raymonde TEMKINE
    • 1 066 mots

    Quand Witold Gombrowicz embarque pour l'Argentine, en août 1939, c'est dans la perspective d'y demeurer seulement quelques mois. Il n'en reviendra que vingt-trois ans plus tard, invité à Berlin-Ouest par la fondation Ford et le Sénat. En 1963, Jorge Lavelli crée Le Mariage,...

  • EXIL LITTÉRATURES DE L'

    • Écrit par Albert BENSOUSSAN
    • 3 314 mots
    • 6 médias
    ...exemple, dans Images de pensée ou Rastelli raconte – de se laisser guider par une dérive intérieure qui est aussi un déplacement dans le langage. Chez Witold Gombrowicz aussi, ce Polonais qui eut le bon goût de choisir comme terre d'asile l'Argentine, patrie de la nostalgie, l'univers est en éternel bouleversement,...
  • FERDYDURKE, Witold Gombrowicz - Fiche de lecture

    • Écrit par Francis WYBRANDS
    • 975 mots

    C'est à Varsovie, en 1937, que paraît, après deux ans de travail, le premier roman de Witold Gombrowicz, Ferdydurke. L'auteur avait déjà publié des contes, une pièce de théâtre, Yvonne (1935), et collaborait à des gazettes littéraires. Il faudra attendre 1958 pour qu'une première...

  • L'IDIOTIE (J.-Y. Jouannais)

    • Écrit par Hervé GAUVILLE
    • 922 mots

    N'est pas idiot qui veut. À partir d'articles publiés dans des revues artistiques (telles qu'art press, dont il fut le rédacteur en chef adjoint de 1991 à 1999), de conférences données dans diverses universités et de réflexions inédites, le critique d'art Jean-Yves Jouannais...

  • POLOGNE

    • Écrit par Jean BOURRILLY, Universalis, Georges LANGROD, Michel LARAN, Marie-Claude MAUREL, Georges MOND, Jean-Yves POTEL, Hélène WLODARCZYK
    • 44 233 mots
    • 27 médias
    ...l'occupation nazie et la période soviétique, son rôle de gardien de la culture. Plusieurs des plus grands écrivains contemporains se comptent dans ses rangs. Witold Gombrowicz, réfugié en Argentine depuis 1939, domine la période grâce à la revue et aux éditions Kultura de Paris qui publiaient ses œuvres et...

Voir aussi