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LE MARIAGE (W. Gombrowicz)

Quand Witold Gombrowicz embarque pour l'Argentine, en août 1939, c'est dans la perspective d'y demeurer seulement quelques mois. Il n'en reviendra que vingt-trois ans plus tard, invité à Berlin-Ouest par la fondation Ford et le Sénat. En 1963, Jorge Lavelli crée Le Mariage, qui lui vaut de remporter le Concours des jeunes compagnies. il montera la pièce en 1964 au théâtre Récamier. La révélation est double. L'Argentin Lavelli, venu en France avec une bourse, sort tout juste de l'université du Théâtre des Nations. Gombrowicz, auteur de Mémoires du temps de l'immaturité (1933), de Ferdydurke(1937), et d'une première pièce, Yvonne, princesse de Bourgogne (1938), est à peu près inconnu en France, à l'exception d'un petit nombre pour qui la publication en français de Ferdydurke par Les Lettres nouvelles de Maurice Nadeau (1958) a fait événement. Dans la Pologne tombée sous la coupe de l'Union soviétique, la réputation de brillant provocateur qu'avait acquise Gombrowicz est passée à la trappe. Interdit de publication et de représentation, il devra attendre 1957 pour qu'ait lieu à Varsovie la première mondiale d'Yvonne, princesse de Bourgogne.

C'est en tant qu'Argentin que Lavelli a pu connaître Gombrowicz qui, vivant difficilement à Buenos Aires, y traduit Ferdydurke en espagnol, tout en collaborant à partir de 1951 à Kultura, la revue de l'émigration polonaise à Paris. Il écrit alors deux romans, Transatlantique (1953) et La Pornographie (1960), ainsi que Le Mariage. La pièce, achevée en 1946, créée en espagnol à Buenos Aires en 1948, traduite en français en 1949 par Koukou Chanska et Georges Sédir, ne paraîtra en polonais qu'en 1953, et ne sera jouée à Varsovie qu'en 1974 (Gombrowicz était mort en 1969). C'est la création française qui a révélé Le Mariage en Europe : tôt après auront lieu des représentations au Schiller Theater de Berlin, et au Théâtre royal dramatique de Stockholm. En mai 2001, Le Mariage a fait son entrée au répertoire de la Comédie-Française.

Henri est un soldat polonais de la Seconde Guerre mondiale. « Où sommes-nous ? » se demande-t-il, comme s'il s'éveillait d'un cauchemar, alors qu'il se retrouve dans le nord dévasté de la France face à son compatriote Jeannot, soldat comme lui. Henri va revivre son rêve, entraînant Jeannot à la recherche de son passé dans une « Podolie » détruite.

Jacques Rosner fait de Henri le metteur en scène de sa propre histoire. Tous ceux qui ont hanté son rêve sont des fantômes surgis de son inconscient. Voici donc le petit castel de province où il vivait devenu une sordide auberge. Quand paraissent ses parents, tellement rabaissés par leur nouvel état, on peine, de part et d'autre, à se reconnaître. Autre apparition : Marguerite, sa fiancée, devenue servante sous le nom de Margot. Henri, dans un désir désespéré de renverser le cours des choses, entreprend de rétablir dans sa dignité le père humilié et, pour que celui-ci puisse lui conférer le sacrement du mariage, il le proclame roi ; ce qui le rend intouchable et le sauve du doigt dressé de l'ivrogne qui s'apprêtait à le « toutoucher ». Tout – le sacre, les cortèges et les agenouillements – devient cérémonie, en une parodie du drame shakespearien. Mais bientôt l'attitude velléitaire et peureuse de son père va décevoir Henri. Le mariage aura-t-il seulement lieu ? À l'instigation du supposé ivrogne, en fait un dignitaire félon, Henri prend le pouvoir et se conduit en despote. Ubu roi n'est pas loin. Gombrowicz parle de l'« incessant affrontement en nous de deux forces, l'une intérieure et l'autre extérieure, qui se limitent mutuellement. Henri crée le rêve et le rêve crée Henri ».

En 1963, la pièce a suscité beaucoup d'incompréhension,[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, critique dramatique de Regards et des revues Europe, Théâtre/Public, auteur d'essais sur le théâtre

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Raymonde TEMKINE. LE MARIAGE (W. Gombrowicz) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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