VOGUE, magazine
L'histoire de ce magazine de mode, sans doute le plus célèbre du monde, illustre l'évolution des partis pris esthétiques et sociaux de la mode du xxe siècle et met en évidence l'importance des phénomènes de diffusion internationale.
Vogue, magazine américain, publie son premier numéro en 1892. C'est à l'origine une petite publication hebdomadaire, créée par Arthur Baldwin Turnure qui veut faire de sa revue un organe mondain tout en accordant une place aux nouvelles et à la poésie. Mais la mode constitue déjà l'essentiel du magazine, qui possède même un service de patrons. La nécessité d'augmenter le nombre des annonceurs incite l'équipe rédactionnelle à transformer Vogue ; de gazette mondaine, la revue devient une sorte de guide pratique d'achats : sans renoncer aux articles relatifs à la haute couture, Vogue offre de petits reportages sur les vêtements moins coûteux, sur les boutiques des villes américaines et s'efforce de reproduire des vêtements disponibles dans les grands magasins. La plupart des articles sont anonymes, et le centre de la publication accueille de grandes pages de publicités luxueuses, pour des grands couturiers par exemple.
Après le décès de Turnure (1906), le magazine est géré collectivement, jusqu'à son acquisition par Condé Nast (1909). Né à Saint Louis, Condé Nast a travaillé plusieurs années dans l'équipe du modeste magazine hebdomadaire Collier. Sous sa direction, Vogue agrandit son format, devient bimensuel et gagne une séduisante couverture en couleurs.
En 1913, Condé Nast élargit ses activités en créant un nouveau magazine consacré aux informations artistiques et mondaines, Vanity Fair ; deux ans plus tard, il achète une petite revue, House and Garden, à laquelle il donnera un grand rayonnement. Cette politique d'extension l'amènera à racheter La Gazette du bon ton et, après la guerre, le Jardin des modes de Lucien Vogel, en laissant à ce dernier la responsabilité de rédacteur en chef de ces publications.
Diffusé en Europe par l'intermédiaire d'une agence allemande, Vogue rencontre un succès d'autant plus grand que la guerre perturbe les activités des magazines européens. Encouragé par un éditeur britannique, Wood, Condé Nast crée une version britannique de Vogue, qui acquiert quelque temps une réputation d'avant-gardisme intellectuel, grâce à l'une des rédactrices, Dorothy Todd, très liée au groupe de Bloomsbury. En 1920, la naissance d'une version française (d'abord imprimée à Londres et diffusée par les messageries Hachette), dirigée par Michel de Brunhoff, apporte à Vogue un regain de prestige. En revanche, la tentative de créer un Vogue allemand échoue (1928). Le style de Vogue se caractérise alors par les couvertures de Georges Lepape, de Benito, d'André Marty, les interprètes de l'illustration Art déco. Les articles, légers, s'accompagnent de vignettes soigneusement dessinées et de photographies qui relèvent de l'esthétique « pictorialiste » mise à la mode par Adolf de Meyer : flou opalescent et effets de transparence.
L'équipe américaine s'étoffe avec l'arrivée, en 1923, de Main Bocher (qui deviendra un couturier réputé) et d'Edward Steichen, dont l'œuvre photographique substitue une impeccable précision et un géométrisme rigoureux au flou de Meyer. Quelques années plus tard, le photographe Cecil Beaton apportera au magazine sa fantaisie volontiers surréaliste.
Le magazine surmonte difficilement les difficultés nées de la crise économique de 1929 : pendant plusieurs années son épaisseur se réduit sensiblement, mais Vogue maintient et renouvelle sa qualité esthétique avec des photographes comme Horst, Durst, Bruehl, Blumenfeld et des illustrateurs de talent : Eric, Vertès, Bouët-Willaumez, Christian Bérard...
Quelques remaniements s'effectuent : en 1936, Vogue incorpore Vanity Fair ; en 1937, l'équipe lance un numéro consacré exclusivement aux réalisations économiques et culturelles américaines, initiative qui deviendra une tradition.
La guerre désorganise le réseau des trois Vogue : si le Vogue anglais survit, considérablement réduit, le Vogue français est bientôt supprimé, tandis que le Vogue américain, privé d'informations sur la mode française, se limite à la mode américaine. Iva Patcevitch remplace Condé Nast, décédé en 1942. Sous son influence, une grande latitude est donnée à Alex Liberman, directeur artistique (à Paris, il avait été directeur de la rédaction du magazine Vu) qui reconnaît le talent des photographes Irving Penn, Toni Frissell, William Klein, Jerry Schatzberg...
En janvier 1945 paraît le numéro spécial Vogue Libération, avec une couverture de Christian Bérard. C'est le renouveau de la coopération entre le bureau de Paris et l'équipe de New York. Vogue enregistre le succès du new-look lancé par Dior, l'accomplissement de Balenciaga et de Balmain, et publie un amusant numéro Milieu de siècle en 1950. Deux ans plus tard, Edna Chase cède le poste de rédactrice en chef des trois Vogue à son assistante, Jessica Daves, qui accepte difficilement les initiatives des rédacteurs et des illustrateurs.
L'arrivée en 1962 de Diana Vreeland apporte à Vogue un sang neuf : elle sera rédactrice en chef de l'édition américaine jusqu'en 1971. Vogue reflète alors dans sa mise en pages, dans ses photographies, l'influence du pop art, de l'op art, du kitsch, avec une euphorie volontiers agressive : des photographes comme Richard Avedon, Helmut Newton, Bob Richardson, David Bailley, iconoclastes, connaissent le succès. Les mannequins favoris de Diana Vreeland sont des femmes dynamiques : Veruschka, Twiggy, Jean Shrimpton.
À Diana Vreeland succède Grace Mirabella. La modernité s'exprime à travers le caractère pratique, fonctionnel de la mode. Vogue déclare : « La joliesse du style ne suffit plus. » Les photos de Duane Michals, d'Arthur Elgort, de Chris von Wangenheim introduisent un climat de spontanéité dans la revue. Violence et cynisme ne sont pas exclus et le néo-romantisme est également présent, avec l'œuvre de Sarah Moon et de Deborah Turbeville.
Dans les années 1970 et 1980, l'empire de Vogue s'est encore étendu ; sept éditions dans différents pays introduisent, sur papier glacé, l'image d'un univers tourné vers le seul culte du luxe. L'édition française de Vogue, conçue par Francine Crescent, rédactrice en chef, sur un beau papier glacé, préfère les mondanités et le « glamour » aux événements de la vie artistique (peu d'articles culturels, ce qui distingue Vogue de ses concurrents français, L'Officiel, Bazaar France, Joyce...). Mais l'édition française de Vogue, aux photos très soignées et aux publicités de rêve, conserve son prestige. Parmi les nouveaux photographes auxquels Vogue a donné l'occasion de s'exprimer, on remarquera plus particulièrement Daniel Jouhanneau, au talent si singulier.
En 1994, Joan Juliet Buck est appelée à la rédaction en chef du magazine, succédant ainsi à Colombe Pringle. Parallèlement, le groupe Condé Nast a abandonné la publication de Glamour, mensuel lancé à la fin des années 1980 à destination de la jeune femme moderne. Vogue nouvelle formule a d'ailleurs repris, en sous-titre, le nom de Glamour, marquant ainsi sa volonté d'élargir son lectorat au public de la revue supprimée. D'une manière générale, la nouvelle version du magazine se veut plus dynamique et plus accessible.
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Écrit par
- Guillaume GARNIER : conservateur du musée de la Mode et du Costume, palais Galliera
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Médias
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