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VERTU

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Vertu et sublimation

La vertu se voudrait une réponse donnée par avance aux stimulations fortuites de l'existence, elle a pour ambition de mettre en quelque sorte le sujet au-dessus de son destin. Mais à quel prix y réussirait-elle ? Socrate, disait Kierkegaard, jugeait tout avec l'impassibilité d'un mort. Serait-ce que la vertu ne puisse appartenir qu'à un mort, dont la seule ruse consisterait à nous faire croire qu'il est encore vivant ? La vertu est abstinence, recueillement, « silence des passions », écrivait Rousseau.

Mais, si la vertu a aujourd'hui encore un sens, c'est parce que sous ce terme nous désignons une force, dont nous aimerions dire qu'elle fait autorité en son genre. La vertu, c'est cette qualité dans laquelle le sujet parvient à s'exprimer, cet ordre qui se constitue progressivement, en dehors de tout projet conscient, ce désir que le courage consiste à contrecarrer le moins possible dans ses manifestations. En ce sens, le principe de la vertu est au-delà de la morale, au-delà du fini et au-delà de la mesure. Et, certes, vouloir se conformer à une législation universelle, c'est alors agir comme si, soi-même, l'on était mort. « Il faut, écrit Nietzsche, qu'une vertu soit notre création, notre défense, la nécessité la plus personnelle dans le besoin : sous toute autre acception, elle n'est qu'une menace. »

Créatrice, la vertu l'est parce que le ressort de sa création lui échappe, qu'elle a voulu l'oublier pour mieux développer sa tendance à la perversion et à la déviance, mais dans une forme nouvelle qu'elle a su inventer. Si la sublimation est une perversion originale et qui réussit, alors la vertu issue du besoin est la sublimation même. « L'impuissance originelle de l'être humain, écrit Freud, devient ainsi la source première de ses motifs moraux. » Quel est en effet le prix de la morale, sinon cette stratégie grâce à laquelle nous nous rendons à autrui tolérable, et apprenons à supporter l'autre ?

On comprend mieux alors comment la recherche d'une hodologie s'est exprimée historiquement sous la forme d'une classification des vertus, théologales et contemplatives, mais aussi cardinales et génératrices de points de repère : justice dans l'échange, tempérance face aux désirs inconciliables, force dans la volonté, prudence dans la considération. Et quoi d'étonnant si les trois sœurs de la mythologie dont nous parle Freud, et qui représentent respectivement la mère, l'épouse et la mort, s'associent dans notre mémoire aux trois filles de Job, « toutes plus belles l'une que l'autre », et dont Grégoire le Grand nous dit qu'elles figurent les trois vertus théologales : foi dans le Créateur, espérance en cette « vallée de larmes », charité d'une définitive consolation...

— Baldine SAINT GIRONS

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Baldine SAINT GIRONS. VERTU [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    ...partie essentielle de l'homme, qui est l'âme. Comme il y a deux parties de l'âme, rationnelle et irrationnelle, il y aura deux sortes d'excellence, ou vertus : les vertus intellectuelles, ou dianoétiques, et les vertus morales ; celles-ci expriment l'excellence de ce qui, dans la partie irrationnelle,...
  • ARISTOTÉLISME

    • Écrit par
    • 2 242 mots
    • 1 média
    ...l'individu, l'éthique consistera donc à déterminer les voies de son bonheur, qui s'identifient à celles de la vertu. Il n'y a pas de bonheur sans vie vertueuse. Or cette vie vertueuse ne se borne pas à la justice à l'égard des autres, elle implique également la modération à l'égard des désirs et...
  • BIEN, philosophie

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    • 6 623 mots
    • 1 média
    L'eudémonisme antique, qui identifie la vie heureuse et la vie morale, est caractérisé par deux thèses : la vertu réalise la fonction humaine de raison ; l'accomplissement de cette fonction est le bonheur. Ce sont des thèses sur lesquelles Aristote revient plusieurs fois dans l'...
  • BONHEUR

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    ...font pas), mais parce qu'on le veut. Peut-on agir, pourtant, sans espérer ? Oui, répondent les stoïciens, et c'est ce qu'on appelle la vertu. La vertu, rapporte Diogène Laërce (VII, 89), est en effet « adoptée pour elle-même, non point par crainte ni par espoir », et c'est ce que Kant...
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