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PRESTON THOMAS (1537-1598)

Si l'auteur du Roi Cambyse est bien Thomas Preston qui fut fellow de King's College (Cambridge), master de Trinity Hall (1584-1598) et vice-chancelier de l'université de Cambridge (1589-1590), les dates indiquées de sa vie et de sa mort sont bien exactes. Mais les critiques modernes ne croient plus que cet universitaire érudit ait pu écrire une pareille tragédie « populaire ». Il faudrait alors l'attribuer à un autre Thomas Preston, connu pour quelques ballades signées de ce nom, et à qui on a attribué une autre pièce, Sir Clyomon and Clamydes (écrite vers 1570-1583, publiée en 1599), qui a longtemps figuré dans les œuvres de George Peele (1558-1597 ?), mais qu'on relègue aujourd'hui dans les anonymes. Si c'est ce Preston-là, alors on ne sait rien sur sa vie.

Mais Cambyse (jouée en 1560 à la cour) est une pièce célèbre à plus d'un titre. Son sous-titre d'abord : A Lamentable Tragedie Full of Plesant Mirth (une tragédie lamentable pleine de plaisantes drôleries, pourrait-on dire). En effet, si le mélange du tragique et du comique a droit de cité au théâtre, il règne en maître ici. Mais il s'agit d'une survivance des « moralités » du Moyen Âge, où le Vice est un personnage comique, élément de désordre et de bouffonnerie. Le Vice se nomme Ambidextre, ce qui suggère que la main gauche ignore ce que fait la droite. Ajoutez trois ruffians Huf, Ruf, Snuf, et un cul-terreux ou deux, Hob et Lob, et voilà les personnages de la farce qui se mêlent à la tragique histoire de ce roi de Perse qui vient finir sa carrière sur la scène, une épée enfoncée dans le flanc. Dans le camp tragique, nous avons les allégories diverses, la Honte, la Voix publique, la Cruauté, le Crime, qui suivent le mouvement de près, et les personnages de base sur quoi l'action se fonde, le roi et ses comparses, un juge félon, le frère du roi, la reine, Cambyse lui-même, tout à tour vaillant, imprudent, tyrannique et cruel, et, finalement, victime de ses crimes trop nombreux. Ainsi doivent finir les tyrans.

Une telle pièce, « mélange adultère de tout » ce qui traîne dans la mémoire des habitués des spectacles publics, y compris les atrocités, ne serait rien d'autre qu'un interlude, genre qui fait la transition entre les moralités et le théâtre élisabéthain, si elle ne portait en germe cet étonnant mélange de mélodrame et de bouffonnerie que l'avenir raffinera. On songe parfois aux outrances des scènes de farce dans Marlowe (Le Juif de Malte, ou Faust) et aux cruautés perpétrées coram populo dans tant de tragédies ultérieures, à commencer par Titus Andronicus.

Enfin, ajoutons que la célébrité de Cambyse lui vient aussi de son vers, le quatorzain ampoulé, amphigourique, allitératif à l'excès, qui porte les élans tragiques. C'est vraiment une « veine », comme dit Falstaff dans sa scène parodique avec le prince : « je dois parler comme si j'étais en colère, et je vais le faire dans la veine du roi Cambyse » (Henry IV, Ire part., II. iv), et d'enchaîner : Weep not, sweet queen, for trickling tears are vain (« Ne pleure pas, douce reine, car les larmes qui ruissellent sont vaines »), Shakespeare, dans Le Songe d'une nuit d'été, fait des gorges chaudes de ce style dans son scénario de dérision, Pyrame et Thisbé, joué par Bottom et ses amis devant le roi Thésée. La scène, enfin, que jouent les comédiens sur l'ordre de Hamlet pour démasquer le roi Claudius est une parodie superbe de ce style.

Le redoutable martèlement des iambes du quatorzain, plus encore que celui des iambes du décasyllabe, terrifie, enchaîne, et endort, ou bien les clichés sont si ressassés, la gesticulation vociférante si forcée, qu'on se demande à la fin si le titre de Cambyse n'est pas une exacte définition de la pièce : une tragédie lamentable pleine de plaisantes[...]

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Écrit par

  • : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence

Classification

Pour citer cet article

Henri FLUCHÈRE. PRESTON THOMAS (1537-1598) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ÉLISABÉTHAIN THÉÂTRE

    • Écrit par Henri FLUCHÈRE
    • 10 600 mots
    • 2 médias
    ...épée sanglante, tragédie de la vengeance s'il en fut ; c'est aussi la Lamentable tragédie... de Cambise, roi de Perse (1569-1570), de l'érudit Thomas Preston, dont Falstaff parodiera l'emphase et l'euphuisme dans Henry IV (1re partie). C'est encore Horestes (1567-1568), de John...

Voir aussi