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TEAM TEN

En 1954, au Xe Congrès international d'architecture moderne (C.I.A.M.), quelques architectes européens s'aperçoivent qu'ils ressentent le même malaise : ils voient l'esprit de l'architecture moderne, l'« esprit nouveau » de Le Corbusier, se figer un peu partout dans l'application aveugle de principes schématiques. La charte d'Athènes cautionne une reconstruction sans recherche et, au nom de l'architecture moderne, la plupart des villes à travers le monde s'entourent à cette époque des quartiers les plus tristes de leur histoire. Ce sont les « tours » et les « barres », issues de la règle des prospects (le prospect est le rapport qui existe entre la hauteur d'un immeuble et la distance qui le sépare de l'immeuble qui lui fait face), de la rationalité des « chemins de grues » et de la séparation foncière et opérationnelle du commerce et de l'habitat.

Georges Candilis et Shadrach Woods, bientôt rejoints par Alexis Josic à Paris, Alison et Peter Smithson à Londres, Aldo Van Eyck et Jacob Bakema à Amsterdam sont une minorité à ce Xe Congrès dont ils ont préparé les débats. C'est l'« équipe dix » : Team Ten. Ils n'ont pas de théorie commune, mais ils sont les premiers à porter un regard critique sur le sort de l'architecture moderne. Ils proposent d'organiser les discussions autour de notions nouvelles, comme le « cluster » des Smithson, qui est une recherche sur les formes d'association des logements, ou comme les projets d'habitat très nouveaux étudiés par Georges Candilis pour le Maroc. En face de la crise architecturale et urbaine, les membres de Team Ten, dans leur diversité, ont donc le désir commun de rechercher des « outils » de conception nouveaux qui soient dignes de répondre à cet accroissement énorme du besoin de logement pour le plus grand nombre, et ils savent que la réponse à ce problème n'est pas dans les normes quantitatives que la poésie de l'homme idéal selon Le Corbusier a contribué elle-même à faire fleurir. Cette lucidité ébranle un C.I.A.M. déjà quelque peu figé dans la dévotion à la personnalité exemplaire du père fondateur.

En poursuivant la « recherche patiente » inaugurée par Le Corbusier, les membres de Team Ten se sentent en fait les vrais héritiers du mouvement moderne, mais ils vont progressivement réévaluer cet héritage. Ils gardent toutefois le souci de ne jamais fixer une théorie commune, car ils connaissent le danger des vérités architecturales définitives, normalisantes ; entre ces hommes dont les pratiques sont très distinctes s'établit un consensus à peine formulé, qui concerne non plus la forme architecturale proprement dite, mais les valeurs éthiques et politiques inhérentes à l'architecture. Alors que la génération « héroïque » des pionniers du mouvement moderne avait mis l'accent sur la nouveauté esthétique et technique de leur architecture et lutté pour promouvoir de nouveaux « objets architecturaux » dans un paysage qui était encore celui du xixe siècle, Candilis, Smithson ou Van Eyck s'attachent maintenant à parler du bâti comme du lieu d'une pratique quotidienne, sociale, populaire. C'est le sens par exemple de la critique virulente et saine de Georges Candilis contre le formalisme. Pour lui et Josic, comme pour leurs amis de Londres et d'Amsterdam, l'architecte n'est ni un artiste ni un ingénieur. La forme n'est pas, comme le croyait le rationalisme d'avant guerre, le lieu d'une glorieuse vérité technique, esthétique ou fonctionnelle. Elle n'est qu'un support qui permet ou non la vie « du plus grand nombre », et, s'il y a une poétique dans l'acte de bâtir, il faut la trouver dans les relations mêmes du bâti avec l'habitant, relation intime que Van Eyck recherche dans son imprévisible relation ouverte où Candilis crée de nouvelles formes de liens[...]

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Pour citer cet article

Christian de PORTZAMPARC. TEAM TEN [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

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    • Écrit par Joseph ABRAM, Kenneth FRAMPTON, Jacques SAUTEREAU
    • 11 661 mots
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