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TA'ZIYÈ, théâtre religieux persan

Substantif verbal féminin d'origine arabe, le mot ta'ziyè signifie tout d'abord témoignage de condoléances. Pour les shī'ites, ce vocable est essentiellement lié aux commémorations du drame de Karbalā qui, au cours du temps, donnèrent naissance à une sorte de jeu de la Passion ; représenté de diverses manières durant les dix premiers jours du moharram (premier mois de l'année hégirienne lunaire), il peut, à certains égards, être comparé aux mystères chrétiens et aux rituels de la Semaine sainte. Comme dans le cas de la Passion du Christ, les fidèles commémorent un fait historique dont il convient de rappeler les grandes lignes.

‘Ali, cousin et gendre du prophète Mohammad et premier Emām des shī'ites, avait été assassiné à Kufa par un khāredjite (en 661). Ses fils Hasan et Hoseyn, respectivement deuxième et troisième Emām des shī'ites, n'eurent pratiquement pas d'activité politique sous le califat de Mo'āwiyè (661-680). Selon la tradition shī'ite, Hasan mourut empoisonné à l'instigation de Mo'āwiyè (en 669). Hoseyn refusa de prêter allégeance à Yazid, fils de Mo'āwiyè, tant du vivant de Mo'āwiyè qu'après sa mort. Partisans des Alides, les gens de Kufa prêtèrent allégeance à Hoseyn ; à leur invitation, il se dirigea vers l'Irak avec sa famille et un petit groupe de partisans. Ayant refusé d'écouter les conseils de prudence de ses amis ou rivaux (à Médine, puis à La Mecque) et bien qu'il eût été informé des intentions du nouveau gouverneur omeyyade de Kufa, Obeydollāh, fils de Ziyād (qui avait fait périr ses envoyés et terrorisé les partisans des Alides), Hoseyn continua sa marche. Forcé par les troupes omeyyades d'installer son camp dans la plaine désertique de Karbalā, non loin des rives de l'Euphrate, il dut soutenir pendant des jours un siège pénible et souffrir atrocement du manque d'eau avant d'affronter, avec une poignée de partisans, plusieurs milliers de soldats omeyyades, auxquels s'étaient joints des renégats de Kufa. Au cours de l'affrontement final, Hoseyn vit disparaître un à un tous les compagnons mâles de sa famille et de ses partisans (y compris le valeureux al-Horr qui, venu le combattre, s'était rallié à lui), avant de périr lui-même le jour de l'Achourā, le 10 moharram 61 (10 octobre 680). Le camp fut pillé, le cadavre de Hoseyn piétiné par les chevaux de ses ennemis, les femmes et les enfants ayant survécu au massacre (dont ‘Ali Zeynolābedin, quatrième Emām des shī'ites) emmenés captifs d'abord à Kufa, auprès d'Obeydollāh, puis à Damas, chez le calife Yazid. Fixées au bout de piques, les têtes coupées des rebelles provoquaient le ressentiment des musulmans à l'encontre des Omeyyades. Selon divers récits, la tête de Hoseyn fut profanée par Obeydollāh et par Yazid ; à sa vue, un prieur de moines chrétiens, un ambassadeur byzantin auprès de Yazid et d'autres se convertirent à l'islam. Abandonnés pendant trois jours dans le désert de Karbalā, les corps des martyrs furent enterrés par de pieux habitants d'un village voisin. Selon la tradition shī‘ite, quarante jours après le massacre, les survivants allèrent se recueillir sur ces tombes : la commémoration des martyrs de Karbalā était née.

S'inscrivant sous le signe de la vengeance du sang de Hoseyn et des siens, cette commémoration connut bien des vicissitudes avant d'être rendue officielle, à Bagdad, par les princes bouyides vers le milieu du xe siècle. Quand s'affaiblit le pouvoir des Seldjoukides (au xiie siècle), elle fut célébrée en Perse dans des assemblées où des prédicateurs contaient les vertus des gens de la maison de ‘Ali, les souffrances de leurs martyrs et l'infamie de leurs ennemis ; ces assemblées regroupaient alors des[...]

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Écrit par

  • : chargé de recherche au C.N.R.S., chargé de conférences à l'École pratique des hautes études (IVe section)

Classification

Pour citer cet article

Jean CALMARD. TA'ZIYÈ, théâtre religieux persan [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • THÉÂTRES DU MONDE - Le théâtre dans le monde arabe

    • Écrit par Sayed Attia ABUL NAGA
    • 4 285 mots
    ...quelques rites et cérémonies pseudo-religieuses : le zar, rite de dépossession qui a ses personnages masqués, la danse des derviches tourneurs et surtout le ta‘ziyah shī‘ite, qui est un théâtre religieux commémorant le sacrifice de Ḥusayn, petit-fils du Prophète, massacré le 10 octobre 860 par Shamar, le...

Voir aussi