SYMBOLE
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L'interprétation symbolique
Interpréter un symbole, c'est évidemment se demander de quoi il est symbole. La psychanalyse, l'histoire de l'art (du moins celle qui ne se contente pas d'assurer la chronologie) se posent la question d'une manière très apparente : il en est de même, d'une manière plus seconde mais tout aussi importante, à l'intérieur d'une problématique des « langages » qu'ils soient « naturels » ou mathématiques. Que représente exactement le signe +, le signe −, ou le signe =, ou tout autre ? On a dit : une opération à effectuer sur des grandeurs. Mais ils représentent tout autant l'existence d'un système où ces opérations sont possibles. Le graphisme = a ainsi double statut : en tant que signe, il marque l'équivalence ; en tant que symbole, il marque la possibilité d'un système d'équivalences. Mais entre quoi et quoi ? Si j'écris :
Les progrès spectaculaires de la linguistique depuis quelques décennies ont attiré à juste titre l'attention sur les conditions de la communication. Mais cet intérêt s'est manifesté le plus souvent en excluant du champ de l'observation la réalité d'une dimension symbolique du langage. Tel qu'il sert de base depuis Martinet à tous les travaux sérieux dans le domaine linguistique, le principe de la double articulation a éclipsé en partie la possibilité d'intégrer l'étude des faits de symbolisation à l'intérieur de la réflexion linguistique, qui était encore entière chez Saussure avec la célèbre distinction du signifiant et du signifié. La distinction entre monèmes et phonèmes, si capitale par ailleurs, laisse de côté tout le symbolisme qui est à l'œuvre dans la communication ; on ne le considère que de manière marginale, en notant sa présence, dans une certaine mesure, au stade phonétique (allitération, assonance, intonation, rythme et débit, etc. : mais il ne s'agit plus là de phonèmes en tant que tels). En termes de linguistique, le symbole, adhésion libre à un pacte, s'oppose au signal, producteur de réflexes conditionnés ou servant à un traitement de l'information, et au signe, qui suscite simplement et le plus souvent arbitrairement une réaction pertinente. Le symbole apparaît ainsi parasitaire, trop chargé de contenu émotif ou affectif pour une théorie du langage, lors même que celle-ci rencontre à tout instant des faits de symbolisme.
Il en est ainsi par exemple du code de la route, qui est bien un système de communication, de transmission de message. Les signaux y ont leur part, qui déterminent des réflexes : feux verts et rouges, bandes de dépassement, certains panneaux particulièrement contraignants, tel le « stop ». Les signes aussi, avec toute la variété des indications de croisement, de rétrécissement de la chaussée, de route verglacée, de fin de limitation de vitesse. On voit déjà que les distinctions ne sont pas absolues : le dernier signe évoqué fonctionne aussi comme signal. Mais le symbolisme envahit les signaux et aussi les signes. Le rouge et le vert des feux aux croisements ne sont pas neutres, ni totalement arbitraires. Le rouge est connoté de sang, d'excitation, de danger, d'interdit ; le vert évoque la nature, le permis, l'apaisement, la sécurité. Lors de la révolution culturelle chinoise, on s'est demandé à un moment s'il fallait vraiment lier ensemble la couleur rouge et l'arrêt : c'était reconnaître la présence du symbolisme dans un domaine apparemment régi par la convention arbitraire. De même, il n'est guère de signes qui ne comportent leur part de symbolisme : croisement, discontinuité de la ligne jaune symbolisant le franchissement permis, signes de rétrécissements, virages « en Z », etc. De toute part, le symbole agit non seulement comme parasite de la représentation, mais comme représentation même. Les recherches de la linguistique ont eu et ont encore du mal à intégrer à leur réflexion des phénomènes où l'imaginaire et l'affectivité auraient une place non négligeable. Compréhensible à un moment où elle tendait à la conquête d'un statut « scientifique », pareille scotomisation risque de ne plus paraître supportable si l'on veut vraiment « démasquer le réel » : celui-ci admet, jusqu'au sein de la communication langagière, la présence de l'imaginaire, de l'image, de l'affect, bref, du symbole. On est ainsi conduit à examiner la question sous l'angle de la psychanalyse.
Le symbolisme des rêves
La théorie psychanalytique des symboles, qui occupe chez Freud et ses successeurs une place importante, est une des plus riches sur la question. On se bornera ici à tenter d'en clarifier les différents aspects.
Dans L'Interprétation des rêves (1900), Freud se réclame en partie contre l'attitude scientiste et positiviste de l'époque de l'antique « interprétation des rêves » : le rêve a un sens, un sens symbolique, dont le déchiffrement ouvre sur les contenus psychiques inconscients du sujet. Si l'interprétation analytique, de manière générale, consiste à passer d'un contenu manifeste (discours du sujet, associations, lapsus, actes manqués dans le présent) à un contenu latent, l'interprétation des rêves consiste en un repérage, une classification et une lecture des symboles oniriques produits par le travail du rêve, qui, en ses opérations traditionnelles (condensation, déplacement, secondarité), comprend également cette caractéristique de tout fait symbolique : la figurabilité. Cette lecture met en évidence le très grand nombre des symboles du rêve (objets, architectures : portes, fenêtres, escaliers..., énoncés, conduites), tandis que le champ du symbolisé reste étroit : proches parents, naissance, mort ; le corps, la nudité, les organes et l'acte sexuels. Le rapport entre symbolisant et symbolisé peut être d'analogie (escalier et difficulté, porte et obstacle, etc.), d'allusion ou de contraire (nudité et angoisse).
On ne doit pas confondre symbole et association. Dès les Études sur l'hystérie (1895), Freud note que l'affection somatique est déterminée par des traumatismes du passé dont le repérage se fait par voies associatives. C'est seulement au niveau de l'interprétation analytique de ces événements que joue l'interprétation symbolique.
Par le symbolisme, l'inconscient fait effraction dans le discours. C'est une faille dans le système de censure. Mais, en fait, le symbole est autant effet de la censure qu'affaiblissement de celle-ci ; une porte à la fois ouverte et refermée. Cette ambivalence a été soulignée par Freud dans l'Introduction à la psychanalyse (1915-1917).
La référence à l'interprétation des rêves dans l'Antiquité ne conduit cependant pas Freud à imaginer une nouvelle « clé des songes ». Alors que celle-ci est tout à la fois générale, automatique et prémonitoire, l'interprétation des rêves en termes symboliques est effectuée dans le cadre de l'histoire de l'individu ; elle n'est pas immédiate mais résulte d'un travail de déchiffrement ; enfin, il s'agit d'une interprétation du passé et non d'une lumière sur le futur.
En revanche, il ne semble pas exister chez Freud une position entièrement élaborée et tranchée sur le point de savoir si les symboles du rêve sont identiques à eux-mêmes (dans leur présentation, dans leur occurrence, dans leur fonctionnement, dans leur efficace) chez un même individu, chez les individus d'un même groupe, chez des individus de sociétés et de civilisations différentes. Freud paraît pencher au moins vers la première hypothèse, en soulignant que le sujet dispose d'une sorte de langue symbolique fondamentale dans laquelle il puise couramment d'une manière uniforme. Il appartiendra à ses successeurs (Jones, Ferenczi, Rank) d'approfondir la théorie du symbolisme ; on ne s'arrêtera ici qu'aux travaux d'auteurs qui ont donné du symbolisme une interprétation plus culturaliste et intégrant davantage, dans ce cadre, les phénomènes de transfert, évidemment imprégnés du symbolisme : Carl Jung, Claude Lévi-Strauss et, directement influencé par lui, Jacques Lacan.
Pour une théorie anthropologique du symbole
La rupture de Jung et de Freud fut consacrée en 1911, lorsque le premier publia, en deux livraisons du Jahrbuch der Psychoanalyse (III, 1911, et IV, 1912), un article intitulé « Wandlungen und Symboles der Libido » (« Métamorphoses et symbole de la libido »). C'est sur la question du symbole que le clivage se produisit. Pour Jung, en effet, la libido n'est pas cause, mais effet. L'analyse ne la met pas à nu après avoir déchiffré les conduites de substitutions symboliques ou de sublimation, mais, au contraire, c'est la sexualité elle-même qui est déjà sublimation. De quoi ? De fantasmes, d'images, de types de comportements collectifs et universels en réaction à certaines situations : les archétypes. Ceux-ci relèvent de l' inconscient collectif. Ils s'expriment et sont décelables à l'intérieur d'un système symbolique : mythe de la création, de la vie, de l'ombre. La libido n'est pas seulement énergie pulsionnelle du ça individuel, mais énergie des processus vitaux en général, ce qui explique la dissémination et l'identité des symboles.
La position de Jung était celle d'un analyste qui avait été pendant plusieurs années un disciple particulièrement autorisé de Freud et de la pratique analytique, mais également celle d'un chercheur, d'un penseur même, attiré par l'occultisme, l'histoire des religions, l'histoire des mythes, bref, souvent, celle d'un ethnologue qui se serait dispensé du « terrain ». Les conceptions jungiennes ont été développées notamment par Mircea Eliade.
L'auteur des Mythologiques, lui, est allé sur le terrain. Dès son article « L'Efficacité symbolique », en 1949 (repris dans l'Anthropologie structurale), Lévi-Strauss adopte une position carrément globale et transindividuelle : « L'inconscient cesse d'être l'ineffable refuge des particularités individuelles, le dépositaire d'une histoire unique, qui fait de chacun de nous un être irremplaçable. Il se réduit à un terme par lequel nous désignons une fonction : la fonction symbolique, spécifiquement humaine, sans doute, mais qui, chez tous les hommes, s'exerce selon les mêmes lois ; qui se ramène, en fait, à l'ensemble de ces lois. » Le subconscient est un « lexique individuel » qui ne prend son sens que lorsque l'inconscient l'organise suivant ses lois, en fait un discours à déchiffrer. Ces lois étant identiques pour tous, ce qui importe n'est pas le vocabulaire, mais la structure, par laquelle le symbolisme s'accomplit. Lévi-Strauss rêve d'une psychanalyse où « il s'agirait chaque fois d'induire une transformation organique, consistant essentiellement en une réorganisation structurelle, en amenant le malade à vivre intensément un mythe, tantôt reçu, tantôt produit, et dont la structure serait, à l'étage du psychisme inconscient, analogue à celle dont on voudrait déterminer la formation à l'étage du corps. L'efficacité symbolique consisterait précisément dans cette « propriété inductive » que posséderaient, les unes par rapport aux autres, des structures formellement homologues, pouvant s'édifier, avec des matériaux différents, aux différents étages du rêvant : processus organiques, psychisme inconscient, pensée réfléchie » (ibid.).
On notera enfin la tripartition des plans simultanés où se joue le mythe : réel, imaginaire et symbolique, tripartition qu'on rencontre également, pour Lévi-Strauss, en musique (L'Homme nu).
À propos de Lacan, on se contentera de mettre en évidence deux points à partir desquels s'articule sa pensée sur le symbole. Sa position se veut d'abord retour aux sources du freudisme, et en particulier à la notion d'inconscient. Mais ce retour s'effectue par le détour d'une enquête menée à partir des enseignements de la linguistique, de telle façon que l'accent est mis avant tout sur le discours de l'analysé, où s'effectue le travail de l'inconscient. Il est, dit Lacan, « structuré comme un langage ». Le sens de la cure est alors d'établir une homologie de structure entre les modalités de ce discours et l'affect ancien qu'il dit. Le terme de symbolique (substantif) désigne en une première acception les modalités par lesquelles s'effectue cette transcription.
Lacan parvient à la conclusion que l'ensemble des conduites humaines s'insère à l'intérieur d'un ordre structurant qui se distingue à la fois de l'ordre réel sans être pour autant un ordre imaginaire : l'ordre symbolique au sens de Lévi-Strauss, ou plus simplement le symbolique, dont c'est ici la seconde acception. La relation entre les deux utilisations du terme s'entrevoit à partir de ce que dit Lacan à propos de la nomination de parenté : dans la mesure où le Nom-du-père représente une instance qui ne réduit la figure du père ni à sa réalité individuelle pour le sujet (père réel), ni à ses formations substitutives (au premier rang desquelles la figure de l'analyste lors du transfert : père imaginaire), mais représente la reconnaissance de la loi fondamentale qui sert de clé de voûte à tout le système symbolique, l'impossibilité pour le sujet de la reconnaître en tant que telle introduit à une compréhension des névroses et des psychoses.
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Écrit par
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