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SERVAGE

Le servage dans la société féodale

Les résidus de l'esclavage

Les serfs du xie ou du xiie siècle sont donc, pour une part, les descendants des esclaves du haut Moyen Âge, et leur statut prolonge directement celui de leurs ancêtres. Ce statut se caractérise d'abord par l'absence de liberté. Le serf demeure exclu du « peuple » ; les institutions publiques l'ignorent ; il ne paraît pas à l'armée ; son maître est responsable de ses actes devant les tribunaux, et en revanche le châtie à sa guise ; il ne peut prêter serment, et l'entrée dans l'Église lui est refusée. Une cérémonie rituelle, l'affranchissement, est nécessaire pour le délivrer de ces incapacités et le faire entrer dans la société des hommes libres. D'autre part, le servage implique une étroite dépendance personnelle. Le serf ne s'appartient pas ; il est la propriété d'un autre homme qui l'achète, le vend ou le lègue. Cette dépendance est héréditaire ; elle se transmet par la mère, survivance prolongée de l'époque où le mariage de l'esclave n'était pas reconnu et où la progéniture éventuelle de la femme non libre, tout comme celle d'une brebis ou d'une jument, appartenait naturellement au propriétaire de celle-ci ; le maître dispose donc à sa guise des enfants de la serve. Cette dépendance rend les serfs objets d'une exploitation qui revêt diverses formes. Elle les astreint, envers le possesseur de leur corps, à un service gratuit. Lorsqu'ils sont casés et jouissent ainsi d'une certaine autonomie de production, ils supportent des charges particulières. Si la dispersion du domaine ou le hasard des migrations autorisées par le propriétaire font qu'ils se trouvent assez éloignés de celui-ci pour que le lien qui les attache à lui risque de se distendre peu à peu et de finalement se rompre, ils doivent chaque année, à date fixe, acquitter une taxe personnelle, le chevage, apporter à leur maître en un lieu précis une petite pièce de monnaie, et par ce don reconnaître leur dépendance. S'ils sont parvenus à accumuler une épargne, elle appartient non pas à eux, mais à leur maître ; celui-ci en est le premier héritier ; sur la succession il prélève sa part, la mainmorte, soit qu'il la recueille tout entière lorsque le défunt ne laisse ni fils ni fille, soit qu'à chaque décès il vienne choisir dans la maison les meilleurs biens meubles. Enfin, si le serf veut se marier en dehors du groupe des dépendants de son propriétaire, lequel risque ainsi de voir abrogés ses droits sur la descendance, il lui faut payer – et souvent fort cher – la taxe de formariage.

Ce pouvoir d'exploitation n'est pourtant pas illimité, comme celui qui pesait sur l'esclave du très haut Moyen Âge. Il est à la fois restreint par les impératifs de la morale chrétienne, qui lentement s'imposent à la conscience collective et empêchent de traiter tout à fait le serf comme une bête, et par la coutume, cet ensemble de règles non écrites qui régit la vie de la seigneurie et du village, qui fixe le montant des prestations, l'ampleur des ponctions que le maître peut opérer sur le travail servile, et en fonction de laquelle la cour privée où sont jugés les serfs rend ses arrêts. D'autre part, l'évolution des institutions politiques, qui, entre le ixe et le xiie siècle, conduit à l'établissement de la féodalité, ruine peu à peu l'ancienne notion de liberté et du même coup celle de servitude ; elle effrite au sein de la paysannerie et dans le petit peuple des bourgeois l'abrupte barrière juridique qui séparait jadis l'esclave de l'ingénu né libre ; elle fait peu à peu s'effacer les incapacités qui frappaient le serf. De fait, si le terme « serf » demeure bien vivant dans la langue vulgaire, le mot servus,[...]

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Pour citer cet article

Georges DUBY. SERVAGE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CENS

    • Écrit par Françoise MOYEN
    • 322 mots

    Le mot « cens » a désigné au Moyen Âge deux types de redevances distincts. D'une part, le cens est la redevance que devait annuellement un serf ou tout autre non-libre comme marque de sa dépendance envers son seigneur : c'est le « chevage » ou « chef cens » (cens par tête) des serfs, ou le cens...

  • COLONAT, Rome

    • Écrit par Yann LE BOHEC
    • 529 mots

    Les colons dans le monde romain se définissent par deux critères : d'une part, ils appartiennent à la plèbe, c'est-à-dire au milieu des hommes libres, mais pauvres ; d'autre part, ils travaillent à la campagne.

    Cette couche sociale est connue en particulier grâce à quatre...

  • CORVÉES

    • Écrit par Claude GAUVARD
    • 990 mots

    Prestations en travail exigées de certains hommes, libres ou non, en échange d'une protection ou de terres, les corvées peuvent être de nature publique ou être des services domaniaux. Les corvées de nature publique sont exigées par l'État de tous les hommes libres pour le bien de tous. Il s'agit...

  • ESCLAVAGE

    • Écrit par Jean-Pierre BERTHE, Maurice LENGELLÉ, Claude NICOLET
    • 8 509 mots
    • 4 médias
    ...captifs, ceux-ci devenaient « esclaves chasés » (servi casati), c'est-à-dire qu'ils bénéficiaient d'une maison et d'un lopin de terre. Ils furent appelés plus tard « serfs ». La continuation naturelle et humanisée de l'institution esclavagiste fut donc le servage, qui servit...
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Voir aussi