MAC LANE SAUNDERS (1909-2005)
Fils de pasteur, le mathématicien américain Leslie Saunders Mac Lane a toujours été attiré par l'universel. Né le 4 août 1909 à Taftville (Norwich, Connecticut), il se passionne à vingt ans pour les Principia Mathematica de Bertrand Russell (1872-1970) et Alfred North Whitehead (1861-1947), dont l'ambition est d'ancrer les mathématiques sur des bases logiques. Ses professeurs à l'université Yale et à Chicago tentent de le détourner de cette voie. Mais en 1931 Mac Lane décide d'aller étudier auprès du créateur et maître des métamathématiques. David Hilbert (1862-1943) n'étant plus actif à ce moment, il travaille avec le logicien Paul Bernays (1888-1977). Ce dernier fait montre de peu d'enthousiasme pour la thèse de doctorat que prépare le jeune Américain : « Preuves abrégées en calcul logique ».
Fondé par Felix Klein (1849-1925), l'Institut de Göttingen, en Allemagne, est alors, sous la direction de Richard Courant (1888-1972), au centre d'un profond renouveau des mathématiques. Emmy Noether (1882-1935), Hermann Weyl (1885-1955) et Edmund Landau (1877-1938) y enseignent. Les visiteurs français qui le fréquentent, dont André Weil (1906-1998) et Claude Chevalley (1909-1984), s'en inspireront bientôt pour fonder le groupe Bourbaki, qui s'attachera à présenter une axiomatique des structures mathématiques fondamentales. À Göttingen, Mac Lane se familiarise avec les développements modernes de l'algèbre abstraite. En juillet 1933, le centre mathématique est déjà en bonne voie d'être anéanti par le fanatisme hitlérien. Bernays, juif, a dû se réfugier en Suisse, si bien que Mac Lane doit présenter sa thèse à Weyl. Guère convaincu de l'intérêt du travail, ce dernier accepte cependant, juste avant de partir lui-même pour Princeton, de lui conférer un diplôme avec la mention « passable ».
Pendant quelques années, Mac Lane oscille entre Yale, Cornell et Chicago avant de se fixer à Harvard. C'est là que Garrett Birkhoff (1911-1996) et lui décident d'écrire le manuel qui introduira plusieurs générations de mathématiciens américains à l'algèbre moderne : publié en 1941, A Survey of Modern Algebra (traduit en français en 1970) s'inspire directement de l'ouvrage Moderne Algebra que Barteel van der Waerden (1903-1996) avait publié en 1931 en Allemagne. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Mac Lane dirige le Groupe de mathématiques appliquées à l'université Columbia. Cette expérience ne semble pas avoir modifié ses axes de recherches, qui demeurent très abstraits.
En 1940 commence une fructueuse collaboration avec Samuel Eilenberg (1913-1998), un réfugié polonais. Spécialiste de la topologie, Eilenberg est frappé par certaines ressemblances entre un problème qui l'occupe (l'homologie de certains solénoïdes) et un travail purement algébrique de Mac Lane (les extensions de groupes). En formalisant cette analogie dans un article de 1945, ils créent la théorie des catégories. Très générale, cette théorie sera assez froidement reçue. Mais comme elle permet d'établir des correspondances formelles (les « foncteurs ») entre branches des mathématiques, la théorie des catégories produira d'importants résultats dans plusieurs domaines : en géométrie algébrique sous l'impulsion d'Alexandre Grothendieck (1928-2014), en théorie des ensembles sous celle de Frank William Lawvere (1937-2023), et même en informatique théorique.
La longue collaboration entre Mac Lane et Eilenberg les mènera à d'autres idées qui auront un fort retentissement dans les mathématiques pures d'après guerre. Ils développent ainsi un nouveau domaine de l'algèbre inspiré de méthodes géométriques : l'algèbre homologique. Ils découvrent une classe d'objets (les espaces d'Eilenberg-Mac Lane) qui combinent d'étranges propriétés algébriques et géométriques et forment l'objet principal de l'influent séminaire d'Henri Cartan (1904-2008) à l'École normale supérieure en 1954-1955.
En 1947, Mac Lane est engagé, en même temps que Weil, par l'université de Chicago. À partir des années 1950, Mac Lane joue un rôle important dans la politique scientifique de divers organismes nationaux et internationaux. Il est président de la Mathematical Association of America (1950-1952), de l'American Philosophical Society (1968-1971) et de l'American Mathematical Society (1973-1974), et vice-président de la National Academy of Sciences (1973-1981). Membre du National Science Board entre 1974 et 1980, il est proche du pouvoir à Washington.
Intéressé par l'histoire et la didactique des mathématiques, Mac Lane renoue pendant les dernières années de sa vie avec la philosophie. Son ouvrage Mathematics, Form and Function (1985) cherche à montrer que, quoique correctes, les mathématiques ne sont pas vraies. Il revendique la nature protéiforme des mathématiques, où les mêmes structures apparaissent sous des formes diverses et variées. Il meurt le 14 avril 2005 à San Francisco, après avoir terminé une « autobiographie mathématique ».
Bibliographie
S. Mac Lane, A Mathematical Autobiography, A. K. Peters, Wellesley, 2005 ; Selected Papers, Springer, New York, 1979.
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Écrit par
- David AUBIN : professeur, université Paris-VI
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