Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SABBATAI TSEVI (1626-1676)

L'interprétation de la crise sabbataïste

Il convient de se demander si Sabbatai Tsevi avait une conscience de son caractère messianique identique à celle que lui attribuait Nathan de Gaza et qui devait être reprise par le mouvement sabbataïste ultérieur. La doctrine, en effet, allait se radicaliser. Selon Gershom Scholem, Sabbatai Tsevi n'eut jamais les capacités intellectuelles de son prophète, même si ses disciples, après sa mort, se réclamèrent de ses rares écrits. Il s'éteignit soudainement âgé de cinquante ans, un jour de Kippour, le 17 septembre 1676, et sa disparition fut considérée comme son occultation messianique suprême, son élévation dans les hauteurs surnaturelles. Un de ses disciples, Israël Hazzan de Kastoria, recueillit en forme d'homélies le témoignage du groupe qui vécut autour de lui à Rovign pendant ses dernières années. Nathan de Gaza mourut peu après Sabbatai Tsevi, le 11 janvier 1680.

Sur la base de ces événements, qui furent considérés par la communauté juive officielle comme tragiques et qui furent ensuite délibérément occultés, s'est bâtie une doctrine sabbataïste, comportant des courants divers et plus ou moins radicaux et revêtant une nature secrète. Sa portée profonde, mais subversive à de nombreux égards pour l'institution juive, apparaît de nos jours.

La doctrine mystique du messianisme de Nathan de Gaza avait trouvé sa source dans la conception lourianique de la création. Selon la Kabbale d'Isaac Louria, le tout premier acte de Dieu conduisant à la création de notre univers s'est produit dans une lumière primordiale sans crépuscule, celle-ci étant antérieure à toute matérialisation ou émanation créatrice. Elle est une pure intuition lumineuse et constitue la condition permettant qu'une pensée puisse jaillir dans l'espace. Seule l'apparition de cet espace primordial (tehiru) donne naissance aux structures de la création. Mais la lumière primordiale s'est alors aussitôt retirée, laissant au sein de l'espace une lumière obscurcie, vide de toute pensée et qui, telle une force de « décréation », n'a plus qu'un rôle destructeur. Cette lumière obscure, retenue dans les âmes réduites à l'état de « coquilles » (kelippot), n'est pas le mal ; elle attend d'être libérée ; mais elle donne un semblant d'existence au mal et lui confère une grande force de séduction, car elle projette dans la création un ébranlement dialectique qui a son origine dans l'être divin, ou infini (Ein Sof).

Pour cette Kabbale lourianique, telle du moins qu'elle semble avoir été diffusée dans les milieux qui ont inspiré les cercles sabbataïstes, quand la lumière intellectuelle pénètre l'espace primordial, elle n'en éclaire que la sphère supérieure ; elle n'atteint pas les profondeurs de l'abîme ainsi apparu. Il faut, pour qu'elle y parvienne, une réparation (tikkun), qui est l'œuvre d'Israël, et nommément du messie, lequel a pour mission d'atteindre les coquilles démoniaques par le moyen des serpents (tanninim) qui habitent le grand abîme. Mais l'âme du messie ne sort pas indemne de cette tâche ; car elle est, depuis l'origine du monde, obnubilée par la sphère des coquilles qu'elle doit sauver. Le messie, à la fois pour conquérir et pour échapper à leur domination, doit d'abord s'y soumettre ; et c'est ce qui explique, selon Nathan de Gaza, ses « actes étranges », son apostasie et sa subversion de la loi mosaïque. Il est l'antitype de la vache rousse (Nombres, xix), qui l'annonçait en ce sens que déjà elle purifiait ce qui est impur et rendait impur ce qui est pur. Il est appelé aussi le « saint serpent » qui remet droit ce que le serpent de la Genèse a dévoyé (en hébreu mashiah, « messie », a la même valeur numérique[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur du Centre d'études Istina et de la revue Istina

Classification

Pour citer cet article

Bernard DUPUY. SABBATAI TSEVI (1626-1676) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • JUDAÏSME - La religion juive

    • Écrit par Georges VAJDA
    • 6 519 mots
    • 1 média
    ...d'y abolir le péché en le commettant en apparence. Il s'agit là de la conséquence extrême : elle trouve sa réalisation dans le mouvement messianique de Sabbatai Zevi (1626-1676) ou « sabbataïsme ». L'échec de ce dernier est à l'origine d'une crise d'où émanent quelques-unes des forces idéologiques encore...
  • JUDAÏSME - Histoire du peuple juif

    • Écrit par Gérard NAHON
    • 11 244 mots
    • 9 médias
    ...roi d'Israël qui libérerait le peuple juif de l'exil et du joug des gentils, le rassemblerait en Terre sainte, établirait le royaume de Dieu ici-bas. Šabbetay Ṣevi, lui, remua au xviie siècle le monde juif dans sa presque totalité. Né à Smyrne en 1626, vite réputé pour son savoir de kabbaliste, ses...
  • KABBALE

    • Écrit par François SECRET, Gabrielle SED-RAJNA
    • 7 223 mots
    Une branche radicale du lurianisme a conduit à la déviation sabbataïste. Sabbataï Zvi (1626-1676), mystique de tempérament instable et maladif, se présenta en 1665, sous l'instigation du « prophète » Nathan de Gaza, comme le Messie dont l'avènement était attendu, d'après des calculs messianiques,...
  • LUZZATTO MOSHE HAYYIM (1707-1747)

    • Écrit par André NEHER
    • 1 027 mots

    L'une des plus géniales personnalités juives du xviiie siècle. Grand mystique, disciple attardé de Sabbataï Zevi, auteur de nombreuses études kabbalistiques, Moshe Hayyim Luzzatto est, en même temps, un moraliste distingué, un styliste et un maître en didactique littéraire, le créateur,...

Voir aussi