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ROMAN GRAPHIQUE

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Et l’underground vint…

À la même époque, certains auteurs américains cherchent eux aussi à se démarquer de la production courante et récusent le terme réducteur de comics. La voie avait été tracée dans les années 1960 par leurs confrères de la bande dessinée contestataire, dite underground, qui se définissaient comme auteurs de comix, le « x » final, allusion aux films classés X, signifiant qu’ils ne voulaient se plier à aucune convenance. Dans cet esprit, Justin Green publia en 1972 ce que l’on considère comme la première grande autobiographie en bande dessinée, Binky Brown rencontre la Vierge Marie(Binky Brown Meets the Holy Virgin Mary), récit de sa jeunesse gâchée par la religion.

<em>A Contract with God</em>, W. Eisner - crédits : Will Eisner Studios, Inc.

A Contract with God, W. Eisner

Apparue dans un article de Richard Kyle publié dans le numéro de novembre 1964 de la revue Capa-Alpha, la locution graphicnovelfut reprise en 1976 par le dessinateur underground George Metzger, en sous-titre de son récit de science-fictionBeyond Time and Again, mais le livre ne connut pas un grand retentissement. L’œuvre décisive, celle à laquelle nous devons cette expressionet son équivalent français « roman graphique », est due à un auteur célèbre, alors âgé de soixante et un ans, Will Eisner, qui publia en 1978 Un pacte avec Dieu (A ContractwithGod and OtherTenementStories). La mention graphicnovely figure en couverture. Ce livre diffère profondément du genre dominant aux États-Unis, celui des fascicules sur les « super-héros » (comic books). Par son format, sa couverture, le récit d’Eisner a l’apparence d’un roman. Il comporte une pagination importante, est en noir et blanc, ne se donne pas pour un pur divertissement mais pour un témoignage – parfois (auto)biographique – sur une situation à dimension historique ou (et) sociale, voire politique : en l’occurrence, Eisner s’inspire de la vie qu’il a connue enfant dans un quartier pauvre de New York.

Tels sont encore les principaux critères qui établissent – de façon parfois subjective – la ligne de partage entre les comics et les graphicnovels, entre les albums de bandes dessinées et les romans graphiques. Pour Will Eisner et ses confrères américains, l’enjeu artistique se doublait d’un enjeu commercial : aux États-Unis, on ne trouvait aucun comics dans les librairies généralistes, contrairement aux bandes dessinées en France. L’expression graphicnovelet l’apparence des ouvrages s’en réclamant étaient un moyen de les y faire accepter. La démarche des auteurs américains était donc très différente de celle entreprise simultanément en France, où il s’agissait d’accoler le terme de « roman » à des œuvres de fiction amples et ambitieuses.

Le roman graphique mit une dizaine d’années à s’imposer. Aux États-Unis, le succès de Maus(1980-1991, prix Pulitzer 1992), dans lequel Art Spiegelman relate comment il réussit à renouer avec son père à travers le récit que celui-ci lui fait de la Shoah, joua un rôle décisif pour la légitimation culturelle du genre. En France, le roman graphique doit beaucoup à L’Association, une maison d’édition fondée en 1990 et dont l’animateur, Jean-Christophe Menu, avait précisément pour but de lutter contre la domination de ce qu’il appelait le « 48CC », c’est-à-dire l’album standard, de format A4, à couverture cartonnée, et composé de quarante-huit pages, dont quarante-six planches en couleurs. Profitant des réticences initiales des autres éditeurs, L’Association publia des ouvrages qui s’avérèrent déterminants pour la reconnaissance du roman graphique, comme L’Ascension du Haut Mal (1996), où David B. raconte sa jeunesse auprès de son frère épileptique, ou encore Persepolis(2000), autobiographie de l’Iranienne Marjane Satrapi, exilée en France à la suite de la révolution islamique, une œuvre qui connut par la suite un grand succès aux États-Unis.

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Pour citer cet article

Dominique PETITFAUX. ROMAN GRAPHIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 02/07/2018

Médias

<em>A Contract with God</em>, W. Eisner - crédits : Will Eisner Studios, Inc.

A Contract with God, W. Eisner

<em>Moi, ce que j’aime, c’est les monstres</em>, E. Ferris - crédits : Emil Ferris/ Monsieur Toussaint Louverture

Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, E. Ferris

Autres références

  • BANDE DESSINÉE

    • Écrit par
    • 22 913 mots
    • 15 médias
    ..., passe de 500 000 exemplaires par numéro en 1993 à 150 000 exemplaires en 1999, et en 1996 le groupe Marvel Comics est même déclaré en faillite. Tournant le dos aux recettes commerciales, des artistes se lancent dans des œuvres plus difficiles, que l’on appelle graphicnovels (« romans graphiques...
  • EISNER WILL (1917-2005)

    • Écrit par
    • 846 mots
    • 2 médias

    Bien que peu connu du grand public européen, l'Américain William (dit Will) Eisner a joué à plusieurs reprises un rôle essentiel dans l'évolution de la bande dessinée. Né le 6 mars 1917 à Brooklyn, il étudie à l'Art Students' League, puis, en 1936, publie ses premiers ...

  • LITTÉRATURE FRANÇAISE CONTEMPORAINE

    • Écrit par
    • 10 290 mots
    • 10 médias
    ...élargissent le spectre à l’architecture (Fanny Taillandier, Laurence Cossé), à l’urbanisme (Aurélien Bellanger), développent des formes mixtes, comme les romans graphiques (Frédéric Pajak, Manifeste incertain, 2012-2020), produisent, comme leurs aînés, des livres d’artistes, œuvrent à la fois en peinture...
  • POE EDGAR ALLAN (1809-1849)

    • Écrit par
    • 5 554 mots
    • 3 médias
    ...illustrateurs de talent comme Reed Crandall, Bernie Wrightson et déjà Richard Corben (Le Corbeau, 1965). Celui-ci va devenir l’un des meilleurs adaptateurs en roman graphique et, à l’instar de l’écrivain, proposer plusieurs versions des contes, dont La Chute de la maison Usher, vision fantasmatique et érotique...