PRINTEMPS ARABE ou RÉVOLUTIONS ARABES
Transitions et incertitudes du changement de régime
Après l'enthousiasme initial qu'a représenté « la politique de la rue » se pose la question de l'organisation de la scène politique, voire dans certains cas de la reconstruction d'un système politique, en sachant que les chemins de la transition ne vont pas tous obligatoirement dans le sens de la démocratisation. Les trajectoires nationales retrouvent là encore leurs spécificités.
Démocratiser par les élections ?
En Tunisie, l'héritage d'une bureaucratie étatique (celle-là même qui a créé la Tunisie postindépendance) et la riche tradition intellectuelle (universitaires, journalistes, membres de la société civile), qui avaient été étouffés par le carcan policier du régime de Ben Ali, reprennent une place centrale pour guider la transition avec le gouvernement intérimaire, une initiative de Charte citoyenne (document consensuel issu de la société civile et pouvant servir de base pour la Constituante), la création de multiples partis, puis l'élection d'une Assemblée constituante en octobre 2011. « L'instance supérieure de réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique » a assuré une réinstitutionnalisation des processus grâce à un dialogue entre forces politiques émergentes, jeunes générations et membres de la société civile qui a permis l'adoption d'une nouvelle loi électorale en mai 2011 et l'organisation des élections. L'armée est restée au-dessus de tout soupçon et est demeurée en retrait, parfaitement légaliste. Les élections, organisées sous contrôle d'une instance indépendante, enregistrent une participation massive (plus de 90 p. 100 des électeurs inscrits). Les Tunisiens votent, après avoir fait la queue plusieurs heures devant les bureaux, pour départager 1 519 listes. Les grands vainqueurs sont les islamistes d'Ennahda (90 sièges sur 217) et les listes présentées par des personnalités qui ont toujours lutté contre le régime Ben Ali.
Les processus tunisiens sont à la fois les plus ouverts, les plus structurés et les mieux organisés (Commission chargée de la corruption, Commission sur les abus de la répression...), même si les questions des règlements de comptes locaux, de la purge de l'administration (en particulier de la police), du processus de réconciliation nationale (au ministère de l'Intérieur, dans les médias, dans le système judiciaire) restent pendantes et délicates à régler.
Reconstruire un système
En Égypte, l'incertitude est beaucoup plus grande. L'armée, qui a une légitimité révolutionnaire (et ne souhaite pas la perdre), mais dont une instance, le C.S.F.A., détient le pouvoir, souhaite se retirer le plus vite possible (car toute entrée en politique la diviserait), tout en gardant la main sur le pouvoir afin de préserver ses intérêts. Les instances militaires ont cédé face à la pression de la rue sur nombre de sujets – l'armée a notamment accepté les poursuites judiciaires contre certains des artisans de la répression, contre Moubarak et ses deux fils, contre des dirigeants du parti présidentiel, des gestes symboliques extrêmement forts –, tout en maintenant un contrôle paternaliste sur les évolutions (en publiant des communiqués sur Facebook).
Le C.S.F.A. a ainsi fixé une feuille de route dont la première étape a été, en mars 2011, le référendum précipité sur la réforme constitutionnelle (portant sur certains articles seulement), et la loi sur les partis (adoptée à la fin de mars 2011 sans consultation préalable), ouvrant sur les législatives qui débutent en novembre. L'armée réaffirme régulièrement ne pas être intéressée par le pouvoir, mais, paradoxalement, dans sa volonté de garder la main sur le processus, elle laisse peu de marge de manœuvre aux civils. L'enjeu est la redéfinition des[...]
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Écrit par
- Philippe DROZ-VINCENT : professeur des Universités en science politique
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