PORTRAIT, genre littéraire
Montaigne demandait pourquoi il n'était pas loisible « à un chacun de se peindre de la plume » comme tel personnage dont il cite l'exemple « se peignait d'un crayon ». Le développement du portrait littéraire (dont les Essais sont justement l'une des premières manifestations systématiques) est en effet lié au modèle pictural (le terme lui-même est un terme de peinture) et plus précisément à l'apparition de la peinture de chevalet : bien que l'Antiquité ne l'ait pas ignoré (on connaît la fonction des portraits dans l'œuvre des historiens anciens, Tite-Live ou Tacite), le portrait s'est élaboré en tant que genre au milieu du xviie siècle, dans la société précieuse qui se réunissait autour de Mlle de Montpensier et qui, sous l'influence en particulier des romans de Mlle de Scudéry (où les portraits sont multipliés), en a fait un divertissement de société (dont on pourra trouver un échantillon dans l'une des scènes du Misanthrope). La princesse et ses familiers collaborent à quatre recueils — ou « galeries » — de portraits qui paraissent de 1659 à 1663. Les textes qui y sont rassemblés obéissent à deux exigences qui tirent toutes deux leur origine de la peinture, mais qui peuvent paraître contradictoires : il faut que le portrait ressemble au modèle (on retrouve cette loi dans le théâtre de Molière, qui oppose aux « portraits faits à plaisir » de la tragédie les portraits fidèles de la comédie), mais ce n'est pas tout d'y faire reconnaître le modèle, il faut encore y faire reconnaître la « manière du peintre ». On voit alors se fixer les caractéristiques qui seront celles du portrait dans les siècles suivants : « Comme autant de coups successifs de crayons, des énoncés parallèles cernent et définissent une image qui, comme celle du peintre, est statique et intemporelle » (J. D. Lafond). Technique accumulative donc et fixité : par une addition de traits physiques et moraux, on pense « épuiser » un objet, atteindre une essence soustraite au temps. On pourra rattacher cette ambition à la nature essentialiste de l'esthétique classique (ce n'est pas par hasard si l'époque voit paraître également Les Caractères de La Bruyère), de même qu'on rattachera à sa nature idéaliste la pratique réelle de l'« imitation » (la peinture, dans la littérature précieuse, se fait à l'aide de termes très généraux et tend à l'éloge). Ainsi élaboré, le portrait pénètre tous les genres : Mémoires (Retz, qui relève surtout des traits moraux, Saint-Simon qui, lui, cherche souvent dans la notation de traits physiques la révélation d'un caractère), lettres (Mme de Sévigné) et même sermons (Bourdaloue).
Le portrait se perpétuera au xviiie siècle, où il déborde même la littérature pour gagner la musique, en devenant purement psychologique. Ainsi Mozart dit lui-même avoir composé le mouvement lent de sa Sonate pour piano en ut majeur (1777) « tout à fait d'après le caractère » de son élève Rosa Cannabich : « Tel est l'andante, telle elle est. » Quelques années plus tard, le jeune Beethoven est renommé à Bonn pour sa maîtrise dans les jeux de société où, selon son ami Wegeler, on lui demandait souvent « de représenter par son jeu le caractère d'un personnage connu ». Il en subsistera quelque chose au temps même du romantisme, ainsi dans le Carnaval où Schumann esquisse les portraits musicaux de Chopin, d'Ernestine von Fricken (« Estrella ») et de Clara Wieck (« Chiara »).
Au xixe siècle, le portrait sera encore affiné et nuancé par Sainte-Beuve dans ses œuvres de critique biographique (Portraits littéraires, etc.) ; immédiatement et comme naturellement, il trouve sa place dans le roman (d'où il était d'ailleurs issu), peignant des personnages fictifs et non plus[...]
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Écrit par
- Bernard CROQUETTE : agrégé de l'Université, maître assistant à l'université de Paris-VII
Classification
Média
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